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Vendanges : tous les gars du monde veulent tenir la grappe

Période marquante en Gironde, les vendanges ont offert 6 246 postes en 2013, et déjà plus de 3 500 enregistrés fin septembre. Bien rémunérés, les postes de vendangeurs requièrent peu de compétences et attirent les profils les plus divers – chômeurs, retraités, étrangers, étudiants… Mais les places sont chères et se loger, compliqué.

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Vendanges : tous les gars du monde veulent tenir la grappe

Vendanges au château La Tour Figeac à Saint-Emilion (photo OD/Rue89 Bordeaux)
Vendanges au château La Tour Figeac à Saint-Emilion (photo OD/Rue89 Bordeaux)

Au Château La Tour Figeac, grand cru classé de Saint-Emilion, le ballet des saisonniers a débuté la semaine dernière. En ce premier jour de vendanges, l’heure est à la signature des contrats et aux retrouvailles.

« Ce sont toujours les mêmes qui reviennent, explique Corinne Lantheaume, l’assistante du propriétaire, c’est beaucoup plus facile à gérer, et quand certains ne peuvent pas, ils passent le message. »

C’est comme ça que chaque année, elle constitue son équipe d’une trentaine de saisonniers, exclusivement aquitains. Un minutieux mélange qui ne se fait pas au hasard.

« On aime avoir un groupe diversifié, s’ouvrir à l’extérieur, mais il faut veiller à un équilibre, indique-t-elle. Si je laissais faire, j’aurais deux familles, mais en cas de dispute on perd la moitié des effectifs. Une année, j’ai eu des difficultés avec une personne. C’était le chauffeur de trois autres vendangeurs… »

Vendanger pour payer son permis ou divorcer

Alors depuis, elle mixe les profils et dans l’enceinte du château, on peut voir travailler de concert une lycéenne qui veut payer son permis de conduire, une femme de ménage et son mari soudeur, des sans domicile fixe, des ouvriers viticoles et une vendeuse. Certains ne passent pas inaperçus. C’est le cas de Sylvie, grande blonde avec un foulard élégamment noué autour du cou. Pourtant dès 9 heures, elle met son tablier, s’attèle à la table de tri et commence à papoter avec ses collègues. Comme elle le faisait déjà il y a deux ans, à ses débuts à la Tour Figeac. En temps normal, elle est secrétaire.

« Petite j’ai toujours fait les vendanges, alors quand il m’a fallu de l’argent pour payer l’avocat au moment de mon divorce, j’y ai tout de suite pensé », explique-t-elle.

Pour d’autres, ce rituel est historique comme cette Bordelaise venue en famille dans le château où sa grand-mère ramassait déjà le raisin. Il n’existe pas de profil type de vendangeurs car il s’agit des rares postes ouverts à tous. Sans doute les plus faciles à décrocher, les moins discriminatoires. A 19 ans, c’est d’ailleurs le seul emploi qu’Alisson est parvenue à trouver en attendant de passer ses concours. Et certainement le plus intéressant, puisque selon la politique salariale du château, il est possible de percevoir jusqu’à 1000 € en dix jours pour des journées de 8 heures, avec la plupart du temps le repas offert le midi.

Mais avec les progrès et la précision des machines, les emplois se sont concentrés sur les prestigieuses propriétés de Saint-Emilion, du Libournais, du Sauternais et du Médoc. Pôle Emploi a recensé 6246 offres entre septembre et novembre 2013, et déjà plus de 3500 fin septembre cette année. Mais les candidats sont nombreux…

(Photo OD/Rue89 Bordeaux)

2000 saisonniers espagnols

A l’Association départementale pour l’emploi et la formation en agriculture (Adefa) Bruno Meunier constate la disparition des étudiants au profit des demandeurs d’emploi, des retraités, des salariés qui bénéficient d’un congé spécial pour les vendanges et des étrangers. Cette dernière catégorie est très représentée dans le vignoble girondin. Sur les 4500 offres que diffuse l’Adefa, près de 2 000 sont pourvues par des Espagnols.

Selon la CGT, ce phénomène s’accroît, la rémunération pour ce type de travail étant plus élevée en France que dans la plupart des pays européens. Mais il reste difficile de le chiffrer précisément. Seul signe de cet afflux, la CFDT a dû éditer des plaquettes sur les droits des saisonniers en espagnol, portugais, roumain, bulgare et arabe.

Addalla avait perçu 800 € en un mois l’an dernier, alors il est revenu cette année. Mais il n’a pu travailler que vingt jours. « Il y a plus de chances ici qu’en Espagne », concède-t-il malgré tout.

Hafdala fait également partie de ces saisonniers étrangers. Ingénieur et titulaire d’un master en comptabilité, il vit à Grenade. Depuis deux ans, il a perdu son travail dans une multinationale. Ici, on lui a dit qu’il y avait des opportunités, alors il est venu. Le résultat est décevant : à Libourne depuis quatre mois, il n’a travaillé qu’un jour et il dort dans sa voiture. Le reste du temps, il patiente sur un parking avec une vingtaine de compatriotes à attendre qu’on l’appelle.

« Je me doutais que je vivrais un temps dans la voiture, mais je pensais qu’au bout de quinze jours, je pourrais louer un logement. »

Au Château La Tour Figeac à Saint-Emilion (photo OD/Rue89 Bordeaux)

Des difficultés pour loger les saisonniers

La société de prestation de services viti-vinicole Banton Lauret qui a un vivier de 1400 saisonniers, reconnaît qu’il est difficile pour les étrangers de se loger. Pourtant, ils ne se découragent pas puisqu’ils sont toujours aussi nombreux et diverses nationalités sont représentées.

« Ils dorment dans les voitures, sous les ponts, certains squattaient même les anciens dépôts de la SNCF à Libourne (avant d’être expulsés en juillet dernier, NDLR) », reconnaît Philippe Lauret.

Pour ne pas avoir à faire face à ce type de problèmes, certains employeurs préfèrent recruter des locaux. Les contrôles en matière de logements des saisonniers se sont durcis et  nombre de propriétaires ne respectaient pas les conditions requises : une douche et un WC pour six personnes, un lavabo pour trois et un coin cuisine. La surface doit être au minimum de 6 m2 par personne, le nombre de personnes par pièces est limité à six, interdiction d’installer des lits superposés et chaque couple doit disposer d’une chambre.

L’accueil doit être équivalent à celui d’une auberge de jeunesse, ce qui suppose des travaux que les propriétaires viticoles n’ont pas l’envie ou les moyens de réaliser. Selon Philip Durand-Teyssier, président du syndicat viticole de Lalande de Pomerol, ce durcissement a mis fin au véritable esprit des vendanges avec « java tous les soirs ».

Pour répondre à cette problématique, de rares initiatives émergent. Pauillac a ainsi créé une aire d’accueil pour les saisonniers, une exploitation légumière dans le Médoc a transformé une partie de son terrain en camping réservé aux saisonniers et les collectivités locales envisagent depuis plusieurs années de réaliser une maison des saisonniers dans le Libournais qui pourrait notamment les accompagner dans leurs recherches de logements.

Des mauvaises conditions d’accueil qui n’empêchent pas les saisonniers de divers horizons de graviter toute l’année autour des propriétés viticoles, uniques pourvoyeurs d’emplois dans certains secteurs.


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