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Arpad Schilling, « loser » en colère, appelle à l’aide

Après s’être exprimé sur la situation de la Hongrie sous Viktor Orban, à l’occasion des Tribunes de la presse actuellement à Bordeaux, Arpad Schilling sera à l’affiche du TnBA. « Loser », la dernière création du metteur en scène hongrois, a connu un accouchement difficile, à l’image du thème de la pièce, sur les dilemme d’un artiste engagé contre un régime autocratique. Entretien.

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Arpad Schilling, « loser » en colère, appelle à l’aide

Le metteur en scène hongrois Arpad Schilling au TNBA (SB/Rue89 Bordeaux)
Le metteur en scène hongrois Arpad Schilling au TNBA (SB/Rue89 Bordeaux)

Arpad Schilling sur les planches du TNBA, ce sera les 28 et 29 novembre dans le cadre du festival Novart, qui accueille la dernière création du plus connu des metteurs en scène hongrois. Mais ce dernier était dès ce vendredi sur la scène de la salle Vitez dans le cadre des Tribunes de la presse, pour parler des parallèles troublants entre son pays sous le régime autocratique de Viktor Orban, et la Russie de Poutine. Ces deux leaders surgis du « chaos » et se maintiennent au pouvoir en flattant les bas instincts nationalistes et xénophobes de leur peuples, tout en bridant leurs libertés.

Cela, Arpad Schilling entreprend de le dénoncer dans « Loser », le perdant, c’est- à-dire l’intelligentsia de son pays, prête à troquer leurs idées pour un plat de lentilles. Rue89 Bordeaux s’est entretenu (en anglais) avec l’artiste, qui se bat pour continuer à travailler dans son pays, et lance un vibrant appel au sursaut des consciences. « La seule solution, c’est l’éducation », plaide le patron de la compagnie Krétakör, effrayé par la démagogie et le cynisme qui gagnent l’Europe entière.

Rue89 Bordeaux : Votre pièce Loser (The party) s’inspire de la situation politique de votre pays, la Hongrie. Qu’en dit-elle ?

Arpad Schilling : Je joue mon propre rôle dans la pièce, celui d’un metteur en scène qui décide d’être plus engagés et critique dans son travail. Mais autour de lui, ses proches – sa femme, ses étudiants… – préfèrent le divertissement, et se sont accommodés au pouvoir en place. On voit comment le personnage change petit à petit d’opinion et finit par collaborer avec le régime. C’est un échec de la responsabilité et de la morale.

J’ai voulu parler de ce problème car aujourd’hui en Hongrie, les intellectuels et les artistes critiques ont été éjectés du débat public par le gouvernement. Ce dernier contrôle de plus en plus les médias d’Etat, et les autres sont détenus par des entrepreneurs amis, qui ne laissent aucune place aux discours critiques, contraints de se déplacer sur Internet. Aucun média officiel n’a par exemple parlé de la manifestation contre la taxe sur Internet que projetait le gouvernement, bien qu’elle ait rassemblé près de 40000 personnes, le plus important mouvement à Budapest depuis 2010 et le retour au pouvoir du Premier ministre Viktor Orban. Le message était clair et fort mais personne ne l’a entendu en Hongrie.

Qui sont les « losers » de la pièce ?

Jusqu’en 2010, j’étais régulièrement invité à la télévision publique, je ne peux désormais plus y aller. Je fais partie de ces « losers » des temps anciens dont parle Orban, ces gens de gauche ou libéraux, qui ont selon lui eut le temps de chercher la bonne direction depuis la chute du régime communiste en 1989, mais ne l’ont jamais trouvé.

Or 90% des intellectuels et des artistes vivent des deniers publics et se retrouvent face à un problème existentiel. Dans le théâtre, le cinéma, la musique, les gens préfèrent abandonner leurs idées pour survivre. La culture alternative doit regagner les caves, les milieux underground, comme pendant le communisme. On n’est plus en république, un système rentré dans les moeurs en France, où chacun est conscient de sa citoyenneté et exerce son droit de se lever, de s’exprimer, de manifester.

D’ailleurs Orban a fait adopter une constitution, et le nom officiel du pays a changé, la République de Hongrie est devenue la Hongrie tout court, c’était un message fort. On ne vit plus dans une vraie république, on vote pour un roi et on laisse le pouvoir aux experts. Je lance un appel à l’aide aux intellectuels : s’il vous plaît, n’abandonnez pas !

Avez vous été la cible de censure ?

La pièce a été présentée deux fois dans un théâtre contemporain de Budapest, cela n’a pas été problématique. En revanche, lorsque j’avais demandé des subventions publiques, elles m’ont été refusées par le ministère de la culture. Et ils n’ont plus répondu à mes sollicitations. Aussi, je suis allé déchirer leur courrier devant le ministère, et j’ai mis la vidéo sur internet.

La Hongrie n’est pas une vraie dictature, mais un régime autocratique au milieu de l’Europe, où un artiste assez connu en dehors de son pays peut perdre tout support s’il est trop critique. On est finalement arrivé à monter la pièce, grâce au TnBA, au festival autrichien de Graz, à un théâtre bruxellois…

« La Hongrie bafoue les valeurs de l’Europe »

Comment jugez vous le comportement de l’Union européenne vis-à-vis de la Hongrie ?

La Hongrie est un membre à part entière de l’UE, avec des droits, et il est compréhensible que Bruxelles ne condamne pas plus vigoureusement un gouvernement élu démocratiquement, puis réélu en 2014. D’un autre côté, l’Europe incarne des valeurs, une civilisation, où le seul interdit est de ne pas agresser son voisin. Et la Hongrie bafoue ces valeurs, par ses atteintes à la liberté d’expression, sa discrimination envers la minorité Rom ou les homosexuels, ou encore en étant le seul pays européen à refuser de livrer du gaz à l’Ukraine agressée par la Russie…

On observe ainsi pour la première fois comment réagit l’Europe face à des Etats qui bafouent ses règles, qu’il s’agisse de la Hongrie sur les droits de l’homme, mais aussi de la France par rapport aux critère des Maastricht, ou de la Grande-Bretagne qui refuse de payer sa part.

« Loser » sera présenté les 28 et 29 novembre à Bordeaux, dans le cadre de Novart (DR)

Votre précédente pièce présentée en France, « Noéplanète » parlait des Roms, qui font souvent office de boucs émissaires, ici comme en Hongrie…

En Hongrie, les Roms forment 10% de la population. Ce sont des citoyens hongrois à part entière, et non des migrants comme en France, mais ils ont de moins en moins de droits et sont victimes de racisme car ils ont la peau plus sombre. On dit qu’ils ne veulent pas travailler, que ce sont des voleurs et des criminels. Pas question d’évoquer les problèmes sociaux, culturels ou d’éducation que connaissent les Roms, c’est trop complexe, le langage est simplifié à l’extrême et utilisé contre eux.

« Le monde n’est pas noir et blanc »

Que vous inspire la montée de l’extrême-droite partout en Europe ?

Ce qui me fait peur, c’est qu’en Europe, de plus en plus de politiques de droite comme de gauche utilisent la démagogie et populisme. Ils renoncent à éduquer les gens, et préfèrent parler un langage simpliste, blanc/noir qu’ils pensent mieux compris par la population. Avant la Révolution française, on vivait dans une société blanche/noire : si on naissait dans une famille aristocratique, on était aristocrate, sinon tant pis, c’est la vie (en français dans le texte, NDLR). Et c’est pour ça que le peuple français a coupé la tête du roi, pour vivre dans une société plus complexe.

Dire que les Roms ou les gitans sont tous des criminels, que les hommes sont forts et doivent avoir le pouvoir, que les femmes sont faibles et doivent faire la vaisselle, et que les enfants doivent suivre leurs parents, c’est parler le langage des rois. Et renoncer à ce pourquoi des millions de gens sont morts en Europe. La simplification, c’est le chemin de la Russie, de la Chine ou des pays arables. Regardez par la fenêtre : le monde n’est pas noir et blanc.

Vous évoquiez le succès de la manifestation contre la taxe internet. Est ce un espoir pour la Hongrie ?

Oui, car on y a entendu des critiques contre Orban qui ne se limitaient pas à ce projet, finalement enterré. Et on a vu beaucoup de jeunes qui descendaient pour la première fois dans la rue. Le problème c’est qu’il n’y a pas d’opposition solide dans le pays.

Mais la question fondamentale, finalement, n’est pas de décider pour qui voter, mais d’avoir la réelle liberté de ne pas voter. De ne plus se prononcer contre une personne ou contre un parti, mais contre une mauvaise décision ou un mauvais discours. Ce n’est pas de savoir comment tuer le roi, mais de vivre dans un bon pays.

On voudrait plus d’Europe, qui investirait massivement dans l’éducation, c’est la seule solution. Mais on peut s’interroger sur la réelle volonté de ses dirigeants de rendre les citoyens plus intelligents. Comment Junker, le nouveau président de la Commission européenne, a-t-il pu choisir Tibor Navracsics, représentant du gouvernement de Viktor Orban, comme commissaire à l’éducation et à la culture, c’est à dire quelqu’un qui tord le bras à la démocratie pour s’occuper de l’avenir de nos enfants ? C’était d’un cynisme inimaginable, et pour moi, un grand moment de désespoir.

Y aller

Loser (The Party). Les 28 et 29 novembre, 21h. TnBA, salle Antoine Vitez

Tarif plein : 25€ / réduit : 12€. Abonnés : de 9 à 17€. Dernière minute (jour même) : 15€ / réduit 10€.
05 56 33 36 80. www.tnba.org


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