Rue89 Bordeaux : Près de 27000 travailleurs handicapés sont à la recherche d’un emploi en Aquitaine, 11 000 en Gironde. Un chiffre en nette progression. Comment l’expliquez-vous ?
Jean-Paul Parisot : La situation économique générale peut expliquer en partie ce phénomène : le chômage augmente pour tous, donc nécessairement aussi pour les handicapés. Mais il est important de noter que le niveau de chômage chez les personnes handicapées, qui a augmenté de près de 10% entre 2013 et 2014, a connu une hausse deux fois supérieure à celle qui frappe les travailleurs dits valides. De surcroît, cette progression a été très rapide depuis 2009 : la demande d’emploi des personnes handicapées a augmenté de 82% (46% pour les demandeurs d’emploi « tous publics »).
« Je ne veux pas passer mes journées chez moi »
Au chômage depuis 2012, Patricia M’Voutou Moulier, 42 ans est reconnue handicapée des suites d’une poliomyélite.
« Je boîte, j’ai un problème au niveau du nerf sciatique, je ne peux pas marcher sur de longues distances, je ne peux pas rester debout longtemps et je ne peux pas porter des charges supérieures à 10 kilos », explique-t-elle.
Titulaire d’un BTS de gestion financière obtenu au Congo dont elle est originaire, cette mère de deux enfants, arrivée en France en 2001, avait pourtant réussi à effectuer un remplacement en tant qu’hôtesse de caisse dans un Simply Market en 2011. Mais son contrat arrivé à terme en 2012 n’a pas été reconduit.
« On m’a reproché de ne pas être polyvalente et de ne pas pouvoir faire de mise en rayon », précise-t-elle.
Depuis, elle envoie des CV aux entreprises et s’il elle obtient de nombreux entretiens, elle ne parvient pas à se faire embaucher.
« Je ne mentionne pas dans mon CV mon handicap, sinon je sais que je ne serais jamais retenue, et c’est lors de l’entretien que les problèmes commencent : beaucoup de recruteurs ne se privent pas de me demander pourquoi je cherche à travailler, arguant que je devrais me contenter de l’allocation adulte handicapé (AAH). »
Mais cette aide de 800 euros par mois n’est pas accordée ad vitam et en mars 2015, Patricia M’Voutou Moulier ne la percevra plus. Et ce n’est pas les 299 euros mensuels versés par Pôle Emploi, dans le cadre de l’Allocation de solidarité spécifique (ASS), qui lui permettront de boucler ses fins de mois.
« Je ne veux pas dépendre des aides ni passer mes journées chez moi. »
La crise touche donc davantage les « plus faibles ».
Oui. D’autant que le chômage des handicapés est un chômage de senior : près de la moitié des demandeurs d’emploi en situation de handicap ont plus de 50 ans, soit deux fois plus que chez les autres demandeurs d’emploi. Et chacun sait que la question de l’embauche des seniors est la plus délicate. Les personnes handicapées sont également davantage touchées par des situations de chômage de longue durée.
Dans une société où la notion de performance est érigée en valeur, les discriminations à l’égard des personnes handicapées se renforcent-elles ?
Oui, il existe un vrai problème de représentation. Il faut le marteler : le handicap ne signifie pas nécessairement une perte de productivité. Une personne handicapée moteur peut par exemple être un excellent informaticien. Bien sûr, il ne faut pas non plus se voiler la face : embaucher une personne handicapée demande parfois des aménagements. Mais nous avons les moyens de gommer matériellement et financièrement ces différences.
Pourtant près de la moitié des entreprises de plus de 20 salariées assujetties à l’obligation d’emploi de personnes handicapées (OETH) choisissent de ne pas embaucher de personnes handicapées et de verser en contrepartie une contribution financière à l’Agefiph…
En effet, mais il n’est pas toujours possible pour une entreprise de trouver une solution passant par la voie d’un recrutement de personnes handicapées. Sans sombrer dans l’angélisme, il faut néanmoins reconnaître que de moins en moins d’entreprises sont récalcitrantes. Reste que trop souvent, elles préfèrent la voie de la contribution à l’ Agefiph et surtout de l’emploi indirect. C’est la raison pour laquelle nous proposons un service Alther qui les informe et leur propose d’élaborer avec elles un plan d’action à même de faciliter l’emploi des personnes handicapées.
C’est-à-dire ?
De plus en plus d’entreprises préfèrent remplir leur obligation en passant par la sous-traitance et travaillent donc en lien avec des établissements et services d’aide par le travail (ESAT), que l’on appelait CAT auparavant. C’est le constat d’une récente analyse du ministère du Travail. Cette hausse de l’emploi indirect est une évolution récente qui pose de nombreux problèmes car elle ne répond pas à la nécessité de l’intégration des personnes handicapées dans le monde de l’entreprise. Les personnes handicapées ne doivent pas rester cloisonnées dans des milieux protégés… Ce serait une grave régression.
Que préconisez-vous pour que la situation s’améliore ?
Tout d’abord, il est clair que lorsque la situation économique globale sera meilleure, celle des personnes handicapées s’arrangera de fait. Mais cela ne suffira pas. Pour que l’accès à l’emploi des personnes handicapées soit facilité, il faut développer des leviers efficaces. Et notamment soutenir de manière qualitative et quantitative la solution de l’alternance qui permettra une vraie intégration des personnes handicapées dans le monde de l’entreprise et au-delà dans nos sociétés.
La restructuration de Cap Emploi en Gironde aboutit à la fermeture de l’agence sur la rive gauche pour ne garder que l’agence rive droite qui deviendra en 2015 l’unique agence pour la Gironde. 28 salariés ne sont toujours pas fixés sur leur avenir professionnel (voir encadré ci-dessous) !
Depuis deux ans, l’État a voulu revoir l’organisation de Cap Emploi dans un nouveau schéma régional. Il y a un an déjà, des regroupements ont eu lieu dans les Landes et dans le Pays Basque. Le processus était en cours en Gironde. Il y a eu un appel d’offre auquel ont participé Girpeh Aquitaine pour l’agence de la rive droite, et Rénovation pour l’agence de la rive gauche. La décision a été prise ce vendredi de retenir la proposition de Girpeh Aquitaine et de centraliser les services sur la rive droite. Les deux organismes n’ont pas encore approuvé le plan de réintégration des salariés mais les pourparlers sont toujours en cours et des entretiens avec les salariés sont prévus. La volonté est d’assurer avant tout la continuité des services auprès des 4000 personnes concernées et de mettre en place les équipes afin d’y arriver.
Incompréhension au sein du Cap Emploi « sacrifié »
A la veille de la semaine pour l’emploi des personnes handicapées, Cap Emploi 33 rive gauche – CUB rive gauche, Médoc, Bassin d’Arcachon – s’inquiète pour ses 28 salariés (dont 5 travailleurs handicapés) après l’annonce de la restructuration et la disparition de son agence annoncée pour fin 2014. Jean-François Boissonnade, responsable des relations employeurs, fait part de sa stupéfaction et son incompréhension, estimant « que la mécanique froide et implacable de l’appel d’offre voulu par Agefiph (avec l’adhésion du Fiphfp et de l’Etat) va à l’encontre de la mission de celle-ci qui est de favoriser l’insertion professionnelle et le maintien dans l’emploi des personnes handicapées ».
« Tout cela s’est déroulé dans des conditions particulièrement troubles et malsaines au détriment une fois de plus des salariés. Ce qui confirme que la maltraitance professionnelle est aussi l’apanage des milieux dits d’utilité ou de service public. Avec cette décision, on sacrifie une équipe efficiente et engagée qui œuvre depuis plus de 20 ans pour l’insertion professionnelle des personnes en situation de handicap et dont les états de service sont particulièrement élogieux. Certes, il est convenu que les salariés qui le souhaitent pourraient postuler auprès de la structure gagnante mais certains resteront inéluctablement “sur le carreau”. »
« Jusqu’à aujourd’hui, deux structures se partageaient en bonne intelligence le territoire de la Gironde pour mettre en place l’offre de service Cap Emploi. En 2014, notre agence a accueilli 1200 nouvelles personnes et proposé 650 emplois dont 40% en CDI. En tout, nous avions accompagné cette année 2000 personnes vers l’emploi et la formation. Que vont-elles devenir et un changement aussi brutal qu’inutile ne va-t-il pas leur porter préjudice ? »
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