Média local avec zéro milliardaire dedans

L’impression 3D jette l’ancre à Bordeaux

Deux boutiques proposant d’imprimer en trois dimensions ont ouvert à Bordeaux, où des start-up se lancent sur ce créneau. La technologie intéresse des particuliers désireux de créer ou de réparer des objets, mais est pour l’heure surtout utilisée par des pros pour leurs maquettes et prototypes.

Cet article est en accès libre. Pour soutenir Rue89Bordeaux, abonnez-vous.

L’impression 3D  jette l’ancre à Bordeaux

Le sculpteur David Dumas et son Tridi conçu avec une imprimante 3D (SB/Rue89 Bordeaux)
Le sculpteur David Dumas et son Tridi conçu avec une imprimante 3D (SB/Rue89 Bordeaux)

L’imprimante 3D est-elle un outil révolutionnaire permettant de fabriquer presque n’importe quel objet chez soi, ou un nouveau gadget high-tech pour geeks ? De tels appareils sont en tous cas depuis peu à la disposition du grand public, avec l’ouverture à Bordeaux de deux boutiques, parmi les premières de France dédiées à cette technologie : l’Espace 3D de la Poste, à Mériadeck, et IdeOkub aux Chartrons.

Quand on pousse la porte de ce magasin, rue Camille-Godard, deux imprimantes 3D turbinent. Couche après couche, elles déposent du plastique fondu permettant de reproduire un modèle informatique préalablement enregistré dans la machine. Il s’agit en l’occurrence de pièces reproduisant en miniature une œuvre géante de David Dumas, sculpteur et designer, qui a également conçu spécialement une statuette pour impression en 3D, la Tridi.

« J’aime le fait de pouvoir arriver vite à concevoir un volume, explique l’artiste, qui réalise et expose ce jeudi et jusqu’à dimanche sont travail chez IdeOkub. Chez moi, j’en ai pour plusieurs jours à fabriquer une maquette en inox ou en plexiglas. Là, j’obtiens en quelques heures ce que j’ai dessiné sur mon ordinateur. »

Entrez dans la troisième dimension

Quel est le profil type des clients attirés par la troisième dimension ?

« Pas le quidam qui a cassé une boucle de son sac à dos, c’est un mythe, estime Olivier Guillou, fondateur d’IdeOkub. La réalité, c’est que quand on veut imprimer un objet, il faut d’abord qu’il ait été modélisé par des graphistes 3D, c’est à dire des bacs +5 disposant de logiciels à 20000 euros. Cette prestation se vend, c’est plus compliqué dans un cadre perso. »

La Poste comme IdeOkub travaillent surtout avec des professionnels : architectes, designers ou étudiants réalisant des maquettes, constructeur de maison individuelle faisant cadeau à ses clients d’une petite reproduction de leur futur foyer. Cela répond donc soit à des besoins de communication, soit pour réaliser des prototypes. Ce que confirme Bastien Dupuy, cofondateur de la société D33D, qui travaille auprès du Fab Lab Co@bit de l’IUT de Bordeaux :

« Le seul problème inhérent à cette technologie, c’est de savoir dessiner des pièces. Les avantages ? Réaliser des pièces rapidement par rapport au fraisage-tournage, de consommer moins de matière, car on dépose de la matière plutôt que d’en enlever, et d’avoir une très bonne précision, au dessous du dixième de millimètre. Nous la voyons dans une perspective d’innovation, qui permet de développer des prototypes dans quasiment tous les matériaux, sauf grâce à des fils chargés en bois, en pierre, en bronze… On fait énormément de pièces d’assemblages, on vient par exemple d’aider un particulier qui veut lancer un nouveau modèle de VMC (ventilation mécanique). En France, les gens ne comprennent pas vraiment la finalité de l’impression 3D, beaucoup pensent que ça se limite à faire des petits jouets… »

 

Olivier Guillou espère multiplier les enseignes IdeoKube partout en France (SB/Rue89 Bordeaux)

Sabre de Dark Vador et camion teuton

Mais l’intérêt existe, et la technologie n’est pas totalement inaccessible à M. Tout-le-monde, grâce à certains modèles librement disponibles en ligne, et à des logiciels comme Sketchup (gratuit) ou Autocad, utilisé par les architectes. L’imprimante 3D permet alors de matérialiser certaines idées :

« Un jeune est reparti tout fier avec son sabre laser de Dark Vador, poursuit Olivier Guillou. Mais c’est idiot de reproduire des objets que l’on trouve pour rien dans le commerce, comme une coque de téléphone portable. J’ai en revanche eu un plaisancier qui a dépensé 180 euros pour reproduire le raccord de gonflage pour l’annexe de son bateau. Cela peut paraître un peu excessif, mais certains sont prêts à aller loin pour lutter contre l’obsolescence programmée et continuer à utiliser leurs vieux objets. »

C’est ainsi que l’envisage Marie-Astrid, « s’il manque une pièce pour réparer une fenêtre, par exemple ». Cette cliente de la Poste vient à Meriadeck pour découvrir le fonctionnement d’une imprimante avec son fils de 11 ans, Pierre-Adrien, « féru de nouvelle technologie, qui modélise déjà des petits fichiers en 3D et envisage des études d’horloger ».

Voir la 3e Révolution Industrielle en 3D

Depuis son ouverture, le premier Espace 3D de La Poste hors région parisienne attire ainsi les badauds, à défaut d’une foule de clients…

« L’impression 3D, confirme Nathalie Talou Kolesnik, conseillère numérique de l’agence, est souvent perçue comme une façon de recréer des pièces détachées introuvables dans le commerce : des lamelles de rideau, une poignée de four cassée… Nous avons ainsi eu un collectionneur de maquettes de camions allemands, qui a reproduit un rétroviseur manquant dans la boîte achetée d’occasion. »

Le client doit théoriquement avoir modélisé son objet, la Poste ne proposant pas encore ce service, ni de scanner 3D – contrairement à IdeoKub, où on peut par exemple photographier le buste d’une personne pour en faire une statuette. L’entreprise publique offre elle à ses clients la possibilité de personnaliser une bague plastique (7,20 euros) ou de réaliser un bijou en argent à partir d’un dessin d’enfant, par exemple (189 euros).

Nathalie Talou Kolesnik, conseillère numérique 3D à la Poste, présente quelques objets sortis des imprimantes (SB/Rue89 Bordeaux)

Dans ce cas, l’agence bordelaise sous-traite cette commande à d’autres sociétés, car elle ne dispose à Meriadck que d’une imprimante sortant des objets (de 12 cm maxi), utilisant de l’ABS (une matière plastique). Or l’impression, comme on l’a vu, peut fonctionner avec tous types de matériaux, y compris du bois ou du carton, par stratoconception (des contre-formes permettant par exemple de transporter des objets fragiles).

« On joue un rôle de conseil pour aiguiller les clients en fonction de leurs projets, de leurs budgets et des matériaux qu’ils souhaitent employer, souligne Nathalie Talou Kolesnik, pour qui La Poste est ainsi parfaitement dans son rôle : nous avons été les premiers à proposer des photocopieuses dans les années 80, nous nous positionnons sur ce que beaucoup considèrent comme la Troisième Révolution industrielle. »

Le made in France dans la peau

C’est le cas de l’essayiste américain Jeremy Rifkin, selon lequel l’imprimante 3D inaugure une société plus écologique de « prosommateurs » (contraction de producteur et consommateur), qui permettra de relocaliser nos activités. D’autres critiquent ce délire technolâtre, comme l’ingénieur bordelais Philippe Bihouix, car l’impression 3D ne représentera jamais selon eux qu’une part infime des produits manufacturés.

Pour l’heure, « on est au début de l’histoire », reconnaissent les acteurs bordelais du secteur. Mais Olivier Guillou, qui vend également des imprimantes (à partir de 458 euros) perçoit un intérêt grandissant, par exemple du côté d’établissements scolaires qui lui ont acheté des machines. Et il mise sur le développement du secteur, puisque son ambition est de déployer un réseau de points de vente franchisés en France.

D’autres sociétés bordelaises sont en pointe dans ce domaine. C’est le cas de Poietis, lancée par un chercheur du laboratoire de bio-ingénierie tissulaire (unité mixte Université de Bordeaux – Inserm), qui a mis au point d’une technologie unique au monde, l’impression 3D de tissus vivants par laser.

Actuellement made in China, les imprimantes 3D commencent elles aussi à être fabriquées en France, notamment chez D33D, qui, à partir de 1800 euros propose des modèles « de makers pour les makers » (sic), et « open source » : « On vient de cet univers là, indique Bastien Dupuy. Toutes les pièces sont changeables à l’unité, et il est possible de faire évoluer la machine ». Qui peut-elle même être reproduite en 3D, « à l’exception du moteur et de la carte mémoire ». Vertige ou mirage, l’avenir le dira.

Impression d’un bracelet par une machine de la start-up D33D (DR)

#La Poste

Activez les notifications pour être alerté des nouveaux articles publiés en lien avec ce sujet.

Voir tous les articles

Autres mots-clés :

Partager
Plus d'options
Quitter la version mobile