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Ces lieux libertins qui veulent se libérer du sida

Ce 1er décembre, journée mondiale de lutte contre le Sida, Aides lance une campagne valorisant les lieux qui accueillent des actions de sensibilisation et de dépistage : clubs libertins, saunas gays, restaurants africains… En Gironde, 16 établissements travaillent toute l’année avec l’association. Reportage dans trois d’entre eux.

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Ces lieux libertins qui veulent se libérer du sida

Le Sauna Thiers, dirigé par Jean-Louis Gascon (à droite) accueille des permanences de Aides (SB/Rue89 Bordeaux)
Le Sauna Thiers, dirigé par Jean-Louis Gaston (à droite) accueille des permanences de Aides (SB/Rue89 Bordeaux)

Lorsqu’on sonne à la porte du Sauna Thiers, à Bordeaux, le gérant nous ouvre en caleçon. Au bar, dans le jacuzzi et les salons, les clients déambulent en tenue d’Adam, mais sans Eve à l’horizon, puisque nous sommes dans un établissement gay. « Oui, c’est une soirée naturiste, mais vous n’êtes pas obligé de vous déshabiller », lance Marc Theobald, salarié de Aides.

Un volontaire de l’association discute avec des habitués, y compris pour des hommes, de l’intérêt du préservatif féminin. Un autre s’est isolé dans un salon pour faire un test de dépistage du VIH à un client – très rapide, une petite piqure au doigt suffit pour savoir en quelques minutes si on est porteur ou non du sida.

Le Sauna Thiers accueille des permanences de Aides tous les 10 jours. C’est l’un des 16 établissements girondins (dont 3 des 4 saunas gays bordelais) à travailler de la sorte avec l’association.

« J’y ai tout de suite été favorable car on se sent tous un peu concernés par le sida, explique son patron, Jean-Louis Gaston. Plus il y a de dépistage pour enrayer la maladie, mieux c’est. Car c’est ça le problème : beaucoup de malades ne savent pas qu’ils sont contaminants. Le fait d’aller là où se pratiquent les sexualités libertines, c’est la meilleure démarche possible. Beaucoup de clients apprécient, certains viennent d’ailleurs certains jours parce qu’ils savent que les gens d’Aides seront là. On a par exemple des hommes mariés, qui estiment plus discret de se faire dépister ici qu’avec leur médecin de famille… »

Les gérants du Nikki-Club, établissement libertin à Bordeaux (SB/Rue89 Bordeaux)

Gang bang en toute confiance

Au Nikki-Club, autre lieu libertin de Bordeaux, fréquenté par des hétéros, des homos et des trans, on affirme que la présence d’Aides, qui assure une permanence tous les 15 jours, « apporte du réconfort aux clients » :

« C’est une sécurité, ils assurent un suivi et donnent des renseignements, précise sa gérante, Mélanie Rolland. Nous, on est là pour conseiller les clients, leur recommander de se protéger, mais pas les obliger à le faire. Dans les gangs bangs, certains messieurs vont enfiler des préservatifs à la hâte ou mal se retirer ; on fournit donc des préservatifs féminins qui permettent à la pénétrée de ne plus s’inquiéter de ce qu’il peut se passer pendant l’acte. »

Au Sauna Thiers comme au Nikki-Club, on sent peu de réticences du côté de leurs clients à la présence d’Aides : « 80% des personnes sont ouvertes, et 10% le deviennent une fois qu’on les a mises à l’aise », estime Mélanie Rolland.

« La seule réaction négative est venue d’un salarié, qui avait peur de devoir gérer une crise si un client apprenait ici sa séropositivité, abonde Jean-Louis Gaston. Je pense au contraire que la présence d’Aides nous permet d’avoir de bons conseils. Par exemple, j’ai su quoi faire lorsqu’un jour la capote d’un jeune a craqué : je l’ai aussitôt emmené à l’hôpital, où on lui a prodigué un traitement d’urgence – s’il y a contamination et que c’est fait dans les 48 heures, il est possible d’éviter de tomber malade. »

Parlez moi d’amour

En s’affichant dans ces lieux libertins, l’objectif de Aides est de toucher ces 20 000 personnes qui, en France, ignorent encore leur séropositivité. Afin de faire reculer la maladie – 7000 nouveaux cas chaque année –, elle juge désormais « nécessaire de soutenir les partenaires qui permettent un accès à la santé sexuelle directement dans les activités quotidiennes : les bars, les associations, les lieux de rencontres sexuelles, de loisirs, les structures sociales. Sans cette offre directement proposée sur des lieux de vie, les personnes les plus exposées et ayant un accès réduit au système de santé apprendraient leur séropositivité trop tard. »

« La porte d’entrée pour aborder les gens, ce n’est pas le dépistage, mais de proposer qu’ils nous parlent d’eux, de leur vie sexuelle, affirme Marc Theobald. Et on parle beaucoup, une demi-heure avant le test. »

Après avoir été salarié de Aides à Bordeaux, puis licencié pour des raisons économiques, Jean-Pierre est toujours volontaire de l’association, pour lutter contre « les discriminations dont sont victimes les gays, les migrants, les prostitué-e-s, les usagers de drogue ». Il juge essentiel de pouvoir discuter avec les personnes pour comprendre leur attitude face au risque :

« On rencontre des gens qui ont des pénétrations non protégées, mais font le test régulièrement : ils prennent donc des risques, mais ne les font pas subir à d’autres. D’autres nous disent se protéger irrégulièrement, souvent à cause de l’alcool, et reconnaissent être stressés par ça. Alors on se demande comment la personne pourrait faire pour mettre des capotes, même quand elle est bourrée. J’ai aussi vu une personne se mettre à pleurer devant moi, car c’est la première fois qu’elle avouait s’habiller en femme pour sucer au hasard des hommes dans la rue ».

Sokhna Cauvin, de Aides, et Sim’s, patron du maquis Tati Jeanne (SB/Rue89 Bordeaux)

Sérophobie et sorcellerie

Échanger librement sur la sexualité et la santé, c’est le principe des ateliers que Aides organise dans plusieurs restaurants africains de Bordeaux (Chez Mabea, Samanke, Zone 4…). Sokhna Cauvin, salariée de Aides, a l’habitude de patrouiller au volant d’un camion de l’association, dans lequel elle propose aux gens de faire un test de dépistage. Mais si on lui offre désormais volontiers le ti’punch (quand elle n’est pas de service), elle dit avoir « pas mal ramé au départ » :

« Même si je suis métisse, venir parler de cul dans un milieu très masculin… On se faisait pas mal chahuter… Et puis la démarche communautaire n’est pas facile à faire comprendre, on nous disait que le sida ne concerne pas que les Blacks, ou encore que c’est une maladie créée pour lancer un fléau sur l’Afrique. Tout le monde a quelque chose à dire sur le sujet. Car si tu viens de République Centrafricaine, un des pays les plus touchés au monde par le sida (130000 malades pour 4,6 millions d’habitants), tu connais forcément quelqu’un de malade dans ton cercle le plus proche, et qui a beaucoup de difficultés pour se soigner ».

Ce mercredi soir, nous la retrouvons chez Tati Jeanne, un maquis jouxtant le marché des Capucins.

« C’est un endroit vivant, ouvert tous les jours jusqu’à 2h du matin, un lieu de rencontre important quand on fait partie d’une communauté et qu’on migre, indique-t-elle. Sa patronne Jeanne, d’origine ivoirienne, est investie depuis longtemps contre le sida et organise des soirées débat, fréquentées par 15 à 50 personnes. Avec parfois la participation de personnalités, comme le chanteur Asney. On y parle de sexualité de façon légère, et en petit comité.

On a le temps de le faire, et d’enregistrer plus facilement des informations qu’en consultant Internet, où on peut lire tout et son contraire. C’est important car on sait que beaucoup de tabous et de croyances persistent dans les communautés africaines sur le libertinage, l’infidélité… Et surtout la sérophobie : les gens pratiquent la politique de l’autruche, ils préfèrent ne pas savoir s’ils sont malade, de peur d’être rejeté par leur entourage. C’est un frein certain au dépistage et c’est sur ça qu’on essaie de faire levier. »

Prendre le maquis contre le sida

Sim’s, compagnon de Tati Jeanne, confirme la persistance de sujets tabous :

« On a eu des débats houleux, très intéressants et importants. Beaucoup de gens pensent que le sida c’est un mauvais sort qu’on te balance. Et le préservatif est un objet de discorde. Si une nana black en a dans son sac, elle est vue comme une prostituée. Du coup, ce sont les hommes qui doivent en avoir sur eux… Ici on peut en parler sans jugement. Comme Jeanne est engagée, les gens viennent lui parler spontanément de leur séropositivité, de leurs problèmes… Nous sommes un peu des assistantes sociales ! »

Ces établissements sont donc plus que des relais pour l’action de Aides, parfois limitée par ses moyens humains – 5 salariés sur le terrain, 20 volontaires – et leurs réseaux, comme l’affirme Marc Theobald :

« Moi je suis gay, Sokhna est métis, on connaît certains codes des milieux avec lesquels on travaille. En revanche, on a très peu de militants qui fréquentent le milieu échangiste, et ça complique les choses. »

Avis aux amateurs… Cela permettrait d’améliorer les stats en Aquitaine : en 2014, Aides a mené 2000 entretiens, et 1300 dépistages, dans 50 lieux. Parmi les personnes dépistées 30% n’avaient jamais réalisé de test. Et en ciblant les personnes potentiellement les plus touchées – gays, libertins, Africains – le taux de découverte de séropositivité par ce biais est 3 fois supérieur au circuit classique de dépistage.


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