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Les chauffeurs routiers allument les feux de détresse

Salaires insuffisants, conditions de travail difficile, accumulation des tâches et absence de reconnaissance : les routiers se plaignent d’un quotidien dégradé. Depuis lundi, ils sont en grève à l’appel d’une intersyndicale réunissant FO, la CGT, la CFDT et la CFE-CGT. Rue89 Bordeaux les a rencontrés à la zone de fret de Bruges dont ils bloquent l’entrée.

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Les chauffeurs routiers allument les feux de détresse

Les grévistes dans la zone de fret de bruges (MO/Rue89 Bordeaux)
Les grévistes dans la zone de fret de bruges (MO/Rue89 Bordeaux)

Ce n’est pas l’outil de travail des routiers qui pose problème : ils roulent aujourd’hui avec du matériel plus sécurisée et en meilleur état que par le passé. Ce dont se plaignent les chauffeurs, ce sont des conditions d’exercice de leurs métiers où les tâches à effectuer et  leur responsabilité s’accroissent alors même que les salaires ne suivent pas.

Routier gréviste, syndicaliste à FO (MO/Rue89 Bordeaux)

A Bordeaux, ils ont choisi de bloquer la zone de fret de Bruges où de nombreuses marchandises transitent et où sont présentes des entreprises poids lourds du transport de marchandises comme Geodis Calberson ou DHL, et dont les dirigeants sont très influents dans les syndicats patronaux. Ce mercredi, ils font également le blocus de l’entreprise Naviland Cargo, à Bègles.

Les grévistes réclament une revalorisation de leurs salaire de 5%, faisant valoir la baisse des charges patronales prévues notamment dans le CICE (crédit d’impôt compétitivité emploi), ou celle des cours du gazole.

Le patronat ne propose qu’une hausse de 1 à 2%. Et les routiers ont d’autres revendications, explique Jérôme Juge, secrétaire adjoint à Force Ouvrière  :

« L’abrogation du délai de carence de 5 jours en vigueur dans les transports, le 13e mois et une amélioration des conditions de travail. »

« On nous demande plus que notre boulot »

David Abreu (MO/Rue89 Bordeaux)

Après 12 ans d’ancienneté dans le transport routier, David Abreu, ancien militaire, gagne 10, 37 euros de l’heure. Avec l’un de ses collègues, il a fait le déplacement depuis la Charente où il réside pour dénoncer ses conditions de travail qui traduisent aussi selon lui un manque de considération croissant vis-à-vis des routiers :

« Autrefois, le client destinataire déchargeait lui-même la marchandise mais aujourd’hui c’est au chauffeur-routier de le faire. Or j’ai souvent plus de 3,5 tonnes de marchandises dans mon camion et d’après la loi, je ne devrais pas la décharger moi-même. On nous demande de faire plus que notre boulot mais on a pas assez de considération pour nous, on nous prend pour des moins que rien. »

Les routiers se plaignent également de l’accroissement des tâches administratives. Mohamed travaille dans une entreprise de transport frigorifique mais ne souhaite ni donner son nom de famille, ni le nom de sa boite, histoire d’éviter tout problème.

« Tout le monde se dédouane sur les routiers »

Au vu de sa charge de travail , il estime qu’il n’a pas volé ses 2500 euros de salaires mensuels, d’autant plus que certaines tâches sont très éloignés de son métier original:

« Les papiers dont on doit s’occuper, c’est pratiquement du travail de secrétariat. Il faut contrôler à chaque fois qu’on embarque bien la bonne marchandise. Sachant qu’on a en moyenne 300 colis, ça prend du temps ! Tout le monde se dédouane sur les chauffeurs. On a le dos large : le moindre souci, c’est de notre faute. »

Idem pour le nombre d’heures travaillées et l’amplitude de travail. Certaines semaines, les employés travaillent plus d’heures avec des journées dépassant parfois les dix heures de travail ce qui entraine une fatigue accrue.  Ces heures ne sont cependant pas comptabilisées en heures supplémentaires.

Grand turn-over

Bernard Juge, routier gréviste (MO/Rue89 Bordeaux)

Les patrons procèdent à un lissage des heures pour faire des économies ; elles sont artificiellement réparties sur d’autres semaines appelées « basses » et durant lesquelles le routier travaille moins. Ce dernier va donc fournir un effort supplémentaire – alors qu’il exerce une activité déjà usante – sur une période rapprochée mais n’en verra pas les effets sur son bulletin de salaire.

Le temps de repos n’est souvent pas respecté non plus comme l’explique Michel Kokou routier depuis 1999 et qui travaille  dans la région :

« Légalement, on a droit à 45 heures de coupures consécutives pour faire office de week-end mais dans les faits on peut très bien n’avoir que 36 heures de repos d’affilé et les 9 heures restantes qui doivent alors être octroyées sous trois semaines ne le sont soit jamais, soit un jour férié. »

Son analyse de la situation est la suivante :

« C’est un secteur où il y a un grand turn-over lié aux conditions de travail et aux salaires. Aujourd’hui, les grosses entreprises travaillent à flux tendus ; il faut aller vite, livrer vite mais en dépensant le moins possible. Certaines entreprises font par exemple des économies sur le panier-repas des salariés en jonglant avec les horaires de travail. »

D’après lui, dans certaines grosses entreprises, les patrons évitent de les faire travailler en continu entre 11h et 14h30, un procédé qui leur évite de payer le déjeuner, et privilégient des plages horaires plus courtes, de 5 à 6 heures. Conséquence : les salariés travaillent moins et donc gagnent moins, parfois pas plus de 1000 euros par mois.

Caviar à la louche ou pâté de campagne

Un routier solidaire (MO/Rue89 Bordeaux)

Kévin Vaccariazzi en arrêt-maladie est venu à Bruges par solidarité avec les autres routiers. Dans son entreprise, il a dénoncé les conditions de travail et en fait les frais depuis selon lui. En conflit avec son employeur, il cumule avec son collègue 9 procédures de licenciement.

« Dans notre entreprise de transport de matières dangereuses, les gens qui font le même travail ont de grosses différence de salaires, il y a aussi des primes qui sont octroyés à titre individuel, du travail dissimulé aussi. »

Son collègue, Bernard Faudry est routier depuis 20 ans. C’est à l’armée qu’il a passé son permis poids-lourds. Après un passage dans plusieurs entreprises où il a connu des sorts divers, de la succession de CDD à des pratiques socialement plus vertueuses, il travaille aujourd’hui pour une société de transports de matières dangereuses.

Il porte un regard sévère sur les transporteurs : « Ils ne se sont jamais autant gavés, ils mangent du caviar à la louche et nous du pâté de campagne. »

Joint ce mercredi matin, FO a déclaré continuer le blocage de la zone de fret de Bruges. Les grévistes ont également installé un nouveau point de blocage à Bègles et menacent de bloquer chaque jour un lieu supplémentaire.


#conditions de travail

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Photo : DR/Marc Didier

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