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Les entreprises des Bassins à flot naviguent à vue

Dans les papiers depuis 2010, le projet d’aménagement d’ensemble des Bassins à flot est aujourd’hui entre deux eaux : alors que les chantiers battent la mesure, l’avenir des entreprises, notamment celles liées au nautisme aujourd’hui installées sur le site, reste flou.

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Les entreprises des Bassins à flot naviguent à vue

Les Bassins à flot entre deux eaux (Simon Barthélémy/Rue89 Bordeaux)
Les Bassins à flot entre deux eaux (SB/Rue89 Bordeaux)

Dans les hangars des Bassins à flot, le sujet de la restructuration du site suscite comme une vague de lassitude. Du côté du Bassin n°1 – là où sont amarrés l’I-Boat et la Dame de Shanghaï – les commerces et entreprises du hangar 21 ont vu leur titre d’occupation arrivé à terme le 31 décembre 2014.

Pourtant, en ce froid matin de janvier, plusieurs boutiques sont encore ouvertes. C’est le cas de l’entreprise Moto-Kits École, installée ici depuis 22 ans. Dans son minuscule local, Thierry Libaros, le patron, le concède :

« On fait le forcing, depuis le 1er janvier, on est des squatteurs ! En même temps, personne n’est venu nous voir, on n’a aucune nouvelle du port ou des promoteurs choisis dans le cadre de l’appel à projets pour la réalisation des restructurations. On entend qu’ici tout doit être démoli au premier semestre 2015. Mais au fond, on est complètement dans le flou…En 2013, on nous avait annoncé qu’il faudrait partir en juin 2014, puis l’échéance avait finalement été repoussée, et à la mi-décembre, on a reçu un courrier nous annonçant que le bail prendrait fin le 31. »

En colère, il raconte être allé aux réunions organisées par la Cub, la Mairie, le Port et les promoteurs.

« C’était bidon : on nous disait que des solutions de relogement nous seraient proposées. Mais c’est faux, on nous a mené en bateau. »

Le port de plaisance des Bassins à flot a attiré les entreprises liées au nautisme (WS/Rue89 Bordeaux)

« Ici les promoteurs ont la main mise »

Quand il tente de s’intégrer dans les projets commerciaux des promoteurs choisis, Kaufman & Broad et Eiffage, il déchante vite :

« Ils nous proposaient des surfaces qui ne nous convenaient pas, comme des plateaux de très grande surface qui ne correspondent pas du tout à mes besoins, le tout à des loyers bien plus chers que ceux proposés par le Port. Je me demande s’ils ont vraiment envie qu’une école de conduite moto reste ici… Au fond, ici, ce sont les promoteurs qui ont la main mise… »

Amer, il vient juste de trouver un nouveau local, boulevard Alfred-Daney et devrait vite déménager.

« Le loyer sera plus cher, et la piste de moto-école qui jusque-là se situait juste devant mon local du Hangar 21, sera désormais à 2 km de ma nouvelle boutique… Mais, au moins, je vais continuer. »

« Occupant sans titre »

Installé, lui aussi, Hangar 21, David Delabi, le gérant de l’entreprise de location de matériel pour réception et événement, Souchon Location, est lui aussi « un occupant sans titre » depuis le 1er janvier 2015.

« Pour l’instant nous n’avons pas de solutions de relogement, mais ce n’est pas faute d’avoir cherché. Le hic c’est que les promoteurs ne nous proposent que des surfaces de 200 m2 alors que nous occupons actuellement 2000 m2, à des tarifs qui plus est, 3 à 4 fois supérieurs à ceux d’aujourd’hui. Il faudrait en fait que je délocalise mon entreprise hors de Bordeaux pour pouvoir rentrer dans mes frais, mais cela me condamne à terme par rapport à ma clientèle », détaille-t-il.

Avec lui, ce sont 15 salariés qui ne savent pas trop à quelle sauce ils vont être mangés.

« Il paraît que les permis de démolir ont été déposés », glisse-t-il.

Pragmatique, il reconnaît que le quartier méritait d’être rafraîchi. Mais s’avoue doublement déçu. D’un côté par le manque de concertation en amont du projet :

« Je me suis installé ici en 2008, si on m’avait dit alors qu’en 2015, je devrais partir, je n’aurais pas autant investi dans des installations, par exemple. »

De l’autre par l’aspect architectural des logements déjà sortis de terre, cours Lucien-Faure notamment :

« Ce n’est vraiment pas beau et pas en cohérence avec ce lieu. On voit bien que l’on est dans des logiques purement spéculatives qui se font au détriment de la qualité et de l’existant. Le hangar 21 va être rasé alors même qu’il est en bon état. Il est le témoin d’une histoire qui méritait d’être conservée. »

Les Bassins à flots, en plein chantier (AC/Rue89 Bordeaux)

« On ne sait plus sur quel pied danser »

Passé le cours Henri-Brunet, le long du Bassin n°2, situé en face de la Base sous-marine, l’atmosphère n’est pas non plus à l’optimisme. Même si, le non renouvellement des titres d’occupation, qui avait été annoncé pour fin 2014, ne prendra finalement effet qu’au 31 décembre 2015.

Bernard Fritz, gérant de Marine 33, une entreprise spécialisée dans la mécanique de plaisance et la vente de bateaux, a appris « la nouvelle du report d’un an » par courrier en septembre. Ce qui ne l’empêche pas de rester sombre :

« En fait, c’est le flou complet, on ne sait plus sur quel pied danser, on entend tout et son contraire et on n’a aucune certitude. Ce que je trouve aberrant c’est qu’un pôle dédié au nautisme est prévu dans le projet d’aménagement. Mais il s’agirait uniquement d’un espace de vente. Les promoteurs ne veulent pas de nuisances, comme ils disent, c’est-à-dire que toutes les activités de mécanique n’auront pas leur place dans le futur site. »

Or, la mécanique est ce qui fait vivre son entreprise, la vente n’étant qu’un plus. Pourtant, au Grand Port Maritime de Bordeaux, Etienne Naudé, le directeur adjoint l’affirme :

« Pour le Bassin n°2, les négociations avec les promoteurs sont aujourd’hui en cours : une partie sera dédiée aux activités techniques liées à la plaisance. »

Quelle place pour la filière nautique ?

Une information qui semble avoir du mal à passer.

« Le projet de réaménagement ne laisse aucune place à la filière nautique proprement dite, puisque seul un show-room devrait y être préservé »,  croit savoir July Debarnot, chargée de l’administratif et femme du gérant d’Accastillage Diffusion.

Ce magasin de vente d’équipement et d’accessoires pour bateaux. L’entreprise a quitté les Bassins à flot pour s’installer début janvier rue de Suffren, à côté de Bordeaux-Lac.

« Nous savions depuis 2013 que nous étions condamnés à partir, nous avons réussi à trouver de nouveaux locaux, mais ici le loyer est deux fois plus cher, poursuit July Debarnot. Tout cela est fort dommage… »

Hangar 27, Hervé Nollet de l’entreprise de chantier naval Rosewest, qui n’a pas, pour l’instant, de solution de relogement, avoue manquer cruellement d’informations claires.

« Le Port claironne qu’il veut maintenir des activités de nautisme mais dans la réalité il ne nous fait aucune proposition concrète. On entend dans les discours officiels que Bordeaux est une ville fluviale mais à part la fête du fleuve et le départ de la solitaire du Figaro, je ne vois pas en quoi, on tente de valoriser cet atout. Je reste optimiste mais ce qui me navre c’est leur incapacité à nous dire ce qui va se passer et quand. »

D’autant que tout n’est pas encore coulé dans le marbre : le volet délégation de service public du port de plaisance proprement dit, actuellement en négociation laisse encore planer de nombreux doutes sur l’avenir du site.

Les jours sont comptés pour les hangars du port de plaisance (SB/Rue89 Bordeaux)

« On ne pouvait pas laisser le quartier à l’état de friche industrielle »

Les seules certitudes concernant l’avenir, les usagers des Bassins à flot les apprennent par voie de  presse. Notamment le feu vert donné à la construction d’un cinéma multiplexe porté par UGC et le promoteur Somifa, retenu pour le réaménagement du Bassin n°2 sur la parcelle du Hangar 27 et de l’ex-Hangar 28, entre la rue Lucien-Faure et les Bassins à flot dont l’ouverture est prévu en 2017.

Au Grand Port Maritime de Bordeaux, Dominique Bichon, le chef du Département de l’Aménagement Foncier, se veut conciliant :

« Les entreprises installées le long des Bassins à flot savent depuis 2011 qu’un projet de réaménagement a été lancé. Certains gérants n’ont pas voulu anticiper. D’autres l’ont fait. Cela prouve bien que c’était jouable. On peut bien critiquer tout ce que l’on veut, mais la question de la rénovation de ce quartier ne pouvait être éludée : c’était devenu une friche industrielle, on ne pouvait le laisser en l’état. »

Conscient des mécontentements, il évoque le délai d’un an accordé aux entreprises du Bassin n°2 afin de préciser les conditions de relogement, même s’il le concède cet ajournement a aussi été motivé par le planning propre à l’opération urbaine. Quant aux occupants sans titre du Bassin n°1, il estime que, pour l’essentiel, tout devrait se régler à l’amiable. Sinon, il faudra en passer par le tribunal administratif.

« Sur le fond, ce projet de réaménagement permettra de revitaliser le quartier et je suis persuadé que l’esprit du lieu sera conservé », conclut-il.

« Garder des emplois productifs aux Bassins à flot »

Un avis que ne partagent pas entièrement Jeanine Broucas, présidente de l’association Vivre et travailler à Bacalan :

« Bien sûr, on ne pouvait pas laisser cette zone en l’état, mais on a un peu trop laissé quartier libre aux promoteurs. Maintenant que des centaines de logements sont déjà sortis de terre, on nous dit que le maintien d’activités industrielles pose problème, en raison des nuisances sonores notamment, mais il aurait fallu prévoir cela en amont. Bien sûr, on nous parle de développement économique avec la construction de la cité du vin, du cinéma ou d’un hôtel quatre étoiles, mais il ne s’agit que d’emplois de services. Quid des emplois liés à l’industrie et à l’artisanat, qui sont de plus haute qualification et qui existent ici depuis des décennies ? »

Ancien conseiller municipal communiste, et directeur d’école à Bacalan, Vincent Maurin met en doute la stratégie économique pour le quartier :

« Il faut garder des emplois productifs aux Bassins à flot et notamment ceux liés à l’économie portuaire et fluviale. Le projet de réaménagement confine les Bassins à flot à n’être plus qu’un espace dont la seule vocation sera touristique, bien loin de la vocation historique du lieu. De plus la construction de milliers de logements risque de faire de ce quartier une cité-dortoir. »

D’autant que comme le précise Jeanine Roucas, la construction de services publics permettant de subvenir aux besoins des nouveaux habitants – crèches, écoles, transports, notamment – se font attendre. Les nouveaux habitants, eux, commencent à arriver.

 


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