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Bordeaux Rock ravale les pierres du rock bordelais

Bordeaux, qui se targue d’être une des places fortes du rock en France, a pris son temps pour créer son festival. La 11e édition de Bordeaux Rock vient de se dérouler du 22 au 25 janvier dans plusieurs lieux bordelais. Tournée des bars.

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Bordeaux Rock ravale les pierres du rock bordelais

Cockpit au Bootleg (JL Séré)
Cockpit au Bootleg (JL Séré)

C’est en 2004 que l’association Bordeaux Rock et le festival du même nom sont nés grâce à la persévérance de quelques passionnés nostalgiques d’une époque pionnière que les moins de trente ans ne peuvent pas connaître sauf en fouinant sur Youtube (tapez « Stilettos Bordeaux » ça fera plaisir à son président José Ruiz).

C’est en janvier que le rendez-vous est pris, histoire de démarrer l’année musicale sur de bonnes résolutions. Pour cette édition 2015, l’association a affirmé une fois encore l’éclectisme de ses goûts quitte parfois à déconcerter le petit peuple des rockeurs pur jus fans de rythmique guitare-basse-batterie basique et rentre dedans… Ce festival, ce n’est pas moins d’une quarantaine de groupes, artistes solo, djs sur 4 jours, qui permet d’avoir un début d’idée de ce qui se fait dans la nouvelle génération de la scène rock au sens large. Très large même…

« Nous ne sommes pas ou plus un festival de rock stricto sensu », me dit son programmateur en chef Aymeric Monségur. « On aimerait bien sûr avoir de plus grosses affiches mais notre rôle est plutôt de faire connaître des groupes en devenir comme cette année par exemple, Cockpit, Bourbon, A Call at Nausicaa, Fellini Felin, etc. »

Au Bootleg, le rock se fait espérer

A tout seigneur tout honneur, commençons par la tête d’affiche, les Américains White Fence qui ouvraient le bal au Bootleg avec en première partie deux groupes locaux dont on retiendra l’énergie sans génie pour Cockpit (ils seront bien meilleurs quelques jours plus tard en première partie de Mush à Barbey) et la bière dégustée au bar pour Volage. C’est pas que c’était bon mais ce n’était pas mauvais non plus. Ou l’inverse.

La salle est comble, le public rock est là, bon enfant, bonne pâte, docile comme il nous a habitué à l’être depuis longtemps… Je rêve qu’un jour le public rock retrouve ses accents rebelles censés le définir et chasse sous les sifflets et les canettes tous ces groupes qui se croient arrivés parce qu’ils ont pondu trois chansons bancales… Tout se passe comme si les gens avaient pris l’habitude de s’emmerder pendant les concerts au point d’être passifs quoiqu’il arrive… Haaa le public bordelais (soupir)…

White Fence arrive mais le contraste n’est pas aussi spectaculaire qu’espéré. Leurs chansons pop passéistes sans mélodies ni substance laisse mon encéphalogramme semblable à un abyssal néant émotif. On sent le métier, le rodage mais la posture aussi : pas un mot pour le public, ni bonjour ni merde, pas le moindre échange, on ne saura jamais s’ils étaient contents d’être à Bordeaux. On ne saura jamais s’ils étaient heureux de jouer leur musique. On ne saura jamais s’ils sont heureux de faire ce métier. A vrai dire on s’en tape tant ils ont semblé être seulement là pour faire une date française de plus sur le dos des finances fragiles de Bordeaux Rock.

Je rentre chez moi vers 3h30 après avoir donné un coup de main aux entrées pour la soirée électro avec Volcan vs Hord, Mondowski, Ambre vs Henry Spencer et Panoptique. Les Bordelais de The Year of no Light se pointent parmi les premiers fans pour soutenir cette prog de potes à eux qu’ils disent de qualité. On peut faire confiance à la sûreté de leurs goûts.

Je ne suis pas fâché de quitter le Bootleg où l’organisation a laissé à désirer toute la soirée. Pour renouveler leurs cartes d’adhérents associatifs, les gens ont fait la queue plus d’une heure dans le froid sans la moindre explication. Pour couronner la chose le Bootleg a augmenté sa cotisation au dernier moment à l’encontre de l’accord passé avec Bordeaux Rock.

L’ambiance entre les diverses chapelles rock bordelaises n’est pas une longue Garonne tranquille…

Le rock bordelais croit aux progrès

Deuxième jour quartier libre pour « le Rock en ville », j’en profite pour me rendre au Wunderbar où se produisent Cheaap, (du bon garage avec un meilleur son que la veille, ça aide) et Bourbon nettement plus pop et mélodique avec au chant et à la batterie son songwriter en chef éponyme Arnaud Bourbon. C’est toujours fascinant d’observer un batteur-chanteur et la concentration que ça demande mais je crois que le plus fasciné de tous c’est lui même. En tout cas le plaisir qu’il a l’air de prendre fait… plaisir et nous avec ! Ses chansons rappellent celles de Sebadoh ou encore Guided by Voices, il y a pire comme référence.

Passée cette mise en bouche agréable, je file avec quelques festivaliers au bar tabac de Saint-Michel. Aller ainsi de club en club avec un seul pass à 3 euros est une belle idée des organisateurs. Sur le chemin on fait connaissance entre mélomanes et on échange ses impressions, ce qui permet d’oublier le froid glacial de janvier.

Au BT, nous attend l’alliance festive de Robert & Mitchum et Jach Ernest. On nous annonçait bonne humeur et fête assortie, on a eu la bonne humeur mais sans la fête. L’excitation des premières compos de cette pop folk grands espaces est vite retombée avec des morceaux mous du genou trop compliqués pour emballer un public pourtant bien disposé.

Avant cela Docteur Culotte avait déboulé à toute berzingue pour soigner nos tympans en distillant son punk rock enfin énervé et maîtrisé à souhait. Le chant est bon, les chansons aussi, le nom est à chier mais l’enthousiasme est contagieux. Dr Culotte, c’est au départ deux couches de talent, formées du chanteur britannique Sol Hess et du dessinateur bordelais de BD Jérôme d’Aviau aux claviers. Ils disent « livrer avec fièvre des chansons d’amour comme s’il n’y avait pas de lendemain ». Paradoxal pour le premier groupe local dans lequel on peut voir un peu d’avenir.

Nouveau départ, cette fois pour le bar El Chicho où doit jouer autour de minuit Atom un groupe cold wave repéré sur la compil de Bordeaux Rock (que je vous conseille). Une belle voix forcément ça attire l’oreille. C’est effectivement confirmé tout le concert durant, sauf que Joy Division, même si c’est encore une bonne référence, l’a fait trente ans auparavant. Bref un vrai potentiel mais un style à trouver…La dernière étape à l’Heretic est abandonnée après une demi-heure d’attente dans le vent givré et un service d’ordre dont la diplomatie a fini par nous convaincre de mettre les bouts. Demain faut que je sois en forme, j’ai JC Satan.

C’est sur scène que tout se joue

En ce samedi soir froid et pluvieux il me faut un courage surhumain pour partir à l’abordage de l’Iboat. Avec JC Satan on est en droit d’attendre quelque chose de plus convaincant puisqu’on est là dans le haut de l’affiche bordelaise actuelle partagée avec Mars Red Sky et The Year of no Light déjà cité. D’emblée on est servi à la hauteur souhaitée.

Là oui on retrouve les bonnes intentions d’un rock en quête de plaisir jouissif, exubérant, excessif. Le Rock, quand c’est bon comme ça, c’est le panard Mesdames Messieurs ! C’est animal, c’est sexuel, ça relève du désir, de l’abandon, du plaisir ! Et le Rock de JC Satan c’est ça ! Il donne dès les premiers accords l’envie de se défringuer, d’exploser ce qui nous étouffe, d’attacher sa cravate autour du crâne, de remplir son attaché case de bières pression, d’ouvrir grand la bouche et de la laisser comme ça, en agitant la langue pour hurler sa jubilation.

Le Rock ça doit être ouvert, curieux, expérimental, imprévisible, transgenre, transgresseur, radical oui !!! Il doit en permanence bousculer tout sur son passage, les convenances, le formatage, les règles d’écriture et partir en guerre contre la frime, la mode, le tribalisme, l’esprit de clan, les chapelles pop, noisy, électro, indé, garage, etc. Surtout le Rock doit partir en guerre contre l’ennui, c’est sa raison d’être, faut-il le rappeler, cet ennui qui colle aux baskets de la jeunesse de tous les pays et pour laquelle rien n’est prévu sinon des kilomètres de daubes abrutissantes servies à pleins wagons par des médias efficaces.

Le Rock doit s’inspirer du plus grand nombre de cultures possibles et laisser au loin les diktats de l’industrie, du clientélisme ou du repli sur soi. Il doit en permanence brouiller les cartes, ternir son image et foncer sans annoncer la couleur !? Partir de rien ou repartir de zéro et tendre au sublime de la marge… avec les moyens du bord… Vous visualisez ? Le bon Rock humidifie nos muqueuses, c’est pour ça qu’on l’aime tant. Il réveille en nous l’animal qui ne dort que d’un œil. Graaaaaahhhh !!!

Que serait le monde sans l’alternative rock ? Que serait le monde sans la possibilité que nous donne le rock d’apporter une touche de folie au conformisme nauséeux et médiocre qui menace sans relâche de nous étouffer ? Que serait le monde sans ce monde parallèle ?

En suivant, Jessica93, présentée comme la sensation française du moment, eut du mal à convaincre plus de 4 morceaux, ses boucles grasses de guitare finissant par tourner en rond et lasser l’auditoire.

Mémoires d’un vieux con

Au terme de ces 4 jours de concerts et de rencontres qui ont affiché complet, j’avoue que je me pose des questions sur ce que le rock peut encore représenter en 2015. Aujourd’hui pléthore de groupes noie le meilleur dans un océan de moins bon banalisé. Ce constat donne envie de citer en le paraphrasant un grand personnage à qui le rock français doit beaucoup (en tant que repoussoir), le général de Gaulle quand il parlait d’Europe :

« Bien entendu, on peut sauter sur sa chaise comme un cabri en disant “le Rock !”, “le Rock !”, “le Rock !” mais cela n’aboutit à rien et cela ne signifie rien. (…) Vous en avez qui crient : “Mais le Rock, le Rock supranational ! il n’y a qu’à mettre tout cela ensemble, il n’y a qu’à fondre tout cela ensemble, les Français avec les Allemands, les Italiens avec les Anglais”, etc. Oui, vous savez, c’est commode et quelquefois c’est assez séduisant, on va sur des chimères, on va sur des mythes. Mais il y a les réalités et les réalités ne se traitent pas comme cela. »

En fait, bien malin aujourd’hui celui qui pourrait donner une définition satisfaisante de la réalité du rock tel qu’il est pratiqué par des milliers de groupes de par le monde et le Bordelais (voir l’article de Guillaume Gwardeath joliment intitulé « De quel rock Bordeaux est-elle le nom ?« ). Mais sans doute le Rock doit-il son salut de toutes ces petites mains qui en assure avec plus ou moins de talent l’existence. Sachant que personne ne mérite de l’indifférence de ce qu’il fait avec cœur et quel qu’en soit la qualité. Enfin bon y a des limites quand même…

Des cigales et beaucoup de fourmis

Je n’ai aucune idée de ce qui va sortir avec le temps de cette effervescence musicale sans grand message (la langue française y est bannie la plupart de temps) qui fera pour longtemps le bonheur des programmateurs de festival et aussi j’espère de celui du public… Ça ne correspondra probablement pas toujours avec mes goûts, représentations et idées que je me fais de la chose, mais je reste très optimiste : il y aura forcément du très bon, du jubilatoire, du « réjouissif » dans tous ce bordel(ais) ambiant, dans cette scène rock vivace comme jamais.

Pour conclure je laisse la parole à un personnage romanesque du Rock bordelais qui a écrit récemment une des plus belles choses qui soit sur la Rock & Roll attitude, ses petites misères et ses grandes joies :

« J’ai remarqué, sans doute parce que je travaille avec un grand nombre de musiciens, que le moment le plus précieux c’est celui où on pratique son instrument. car entre les tournées, les concerts, le démarchage et la diffusion, la communication, les répètes, les enregistrements, le mixage, les résidences, et puis la paperasse, la vie privée, les extras extra-musicaux pour joindre les deux bouts, il arrive par miracle que le musicien ait le temps de prendre son instrument et de travailler, jouer, pratiquer, expérimenter… c’est si rare, quand il prend ce temps de force ou quand par chance ou par choix il en obtient, et qu’il te dit : “en ce moment je joue (de la batterie, de la guitare, du violoncelle…)”. Tu peux voir l’œil qui brille, le sourire gamin. S’il est prêt à supporter tout ça avec patience, c’est uniquement pour ne pas perdre ce rare bonheur. » Julien Perugini (Damage Case, Cocktail bananas).

Merci à toi Julien poète infatigable ! Merci à vous les musiciens ! Merci à vous les galériens ! Et longue vie au Rock & Roll !!!


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