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Ces boîtes attendues dans les murs d’Euratlantique

Les chantiers vont se multiplier cette année dans le futur quartier d’affaire bordelais. Les responsables de l’opération s’activent pour débaucher les entreprises susceptibles de s’y installer. S’ils jugent improbable l’arrivée à Bordeaux de sièges de grandes entreprises, ils croient fermement à la réussite du projet.

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Ces boîtes attendues dans les murs d’Euratlantique

La halle Debat-Ponsan, quai de Paludate, sera partiellement reconvertie en commerces et bureaux (SB/Rue89 Bordeaux)
La halle Debat-Ponsan, quai de Paludate, sera partiellement reconvertie en commerces et bureaux (SB/Rue89 Bordeaux)

Cinq ans après le démarrage de l’opération d’intérêt national (OIN) Euratlantique, pilotée par l’Etat, les premières pierres des bâtiments emblématiques du futur quartier vont bientôt être posées rive gauche. A commencer par celle, ce vendredi, de la gare Belcier, l’extension censée absorber le doublement du trafic de voyageurs escompté en 2017 avec l’arrivée de la ligne à grande vitesse Paris-Bordeaux.

Non loin de là, quai de Paludate, des prostituées font encore le pied de grue, sans doute plus pour longtemps. En face des chais, des bâtisses décaties et des boîtes de nuit, les pelleteuses sont en action pour faire place nette à l’équipement phare, la MECA (le fonds régional d’art contemporain), dont le chantier commencera en septembre. A côté, ce qui reste de la halle Ponsan, les anciens abattoirs de la ville, va être reconverti (par Eiffage) en programme de bureaux, commerces et hôtel chics, sur 21 000 m².

Des grues comme aux Bassins à flot

Le site accueillera également le nouveau siège social de la Caisse d’Epargne Aquitaine Poitou-Charentes, où seront rassemblés les 450 salariés actuellement dispatchés entre Mériadeck et Bordeaux-Lac. Même démarche pour le cabinet d’audit et de conseil Mazars, qui va concentrer quai de Paludate ses 100 collaborateurs œuvrant dans l’agglomération. Pas de logements prévus ici, à l’exception d’une résidence étudiante de 160 chambres.

D’autres travaux vont débuter non loin de là, derrière le Marché d’intérêt national (MIN), avec notamment un projet de tour mixte (bureaux et logements de luxe) de 19 étages, bâtie par le groupe Carle et Midi 2i. Et se poursuivre sur l’îlot d’Armagnac, avec 50 000 m2 qui sortiront de terre au sud de la gare.

A part l’immeuble de bureaux du Prélude, déjà livré dans cet îlot, Euratlantique n’a pas encore de réalisations visibles à présenter. Et la zone de l’OIN, qui s’étend sur trois communes (Bordeaux, Bègles et Floirac) n’est pas encore parsemée de grues, contrairement aux Bassins à flot.

Bordeaux prioritaire chez les investisseurs

A deux ans de l’entrée en gare Saint-Jean du TGV, cela n’inquiète pourtant pas outre mesure Stéphan de Faÿ, le nouveau directeur général de l’EPA (établissement public d’aménagement) Euratlantique, nommé par l’État en remplacement de Philippe Courtois :

« Aujourd’hui 180 000 m2 (dont 60 000 de logements) sont pré-commercialisés (vendus avant le début de la construction, NDLR), sur les 2,2 millions prévus à terme (avec 18000 logements). C’est absolument remarquable après seulement 5 ans. Mais tout ne sortira pas de terre avant l’arrivée de la LGV. »

A titre de comparaison, le calendrier prévisionnel de 2013 table sur la construction de 340 000 m2 d’ici 2020 dans la ZAC Bordeaux-Saint-Jean-Belcier.

« C’est la volonté de l’EPA de ne pas créer rapidement une offre artificielle, qui rendrait possible aux promoteurs de geler le foncier pour faire de la spéculation, analyse Patrice Dupouy, président de l’Observatoire de l’immobilier Bordeaux Métropole (OIB). S’il n’y a donc pas encore grand-chose à vendre, Bordeaux figure bien dans les priorités des investisseurs au niveau national : ils connaissent les grands projets, et se positionnent quand il y a des pré-commercialisations. Les plus gros veulent investir dans la durée, à l’image d’ANF Immobilier, déjà propriétaire du siège de CDiscount aux Bassins à flot, et porteur d’un projet très ambitieux de 46 000 m2 dans l’îlot d’Armagnac. »

Attentisme

Qui sont ces investisseurs, qui posséderont donc les murs d’Euratlantique ? Le nom d’ANF Immobilier, par exemple, ne vous dit sans doute pas grand-chose. Cotée à la Bourse de Paris, cette société appartient à Eurazeo, un grand fonds d’investissement français, actionnaire majoritaire d’Accor ou Europcar (entre autres).

Le Crédit Mutuel Nord Europe est quant à lui actionnaire de référence de La Française AM, propriétaire du Prélude, immeuble longtemps boudé et dont la SNCF, qui s’y est récemment installé, n’est que locataire.

Si les terrains d’Euratlantique trouvent ainsi facilement preneurs, les promoteurs et investisseurs n’ont en revanche pas toujours des clients pour occuper les lieux. Patrice Dupouy, président de l’OIB, et directeur associé du cabinet Tourny Meyer, confirme un certain « attentisme » des entreprises : crise oblige, elles ont revu à la baisse leurs besoins en surfaces. Ainsi, en 2014, seulement 5 transactions, sur 217 dans la métropole, ont concerné des installations dans des locaux de 2000 m2 ou plus. « Or 50% de ce qui se fait à Euratlantique est d’une surface de 5000 m2 minimum », souligne-t-il.

La maison du projet Euratlantique (WS/Rue89 Bordeaux)

En outre, les sociétés préfèrent, selon Patrick Dupouy, attendre le bon moment pour déménager :

« Les grands comptes du tertiaire supérieur, la cible d’Euratlantique (banques, assurances, cabinets…) vont là où ça se passe mais elles ne veulent pas essuyer les plâtres. Elles veulent que le quartier se structure, tant au niveau stratégique, pour leur image de marque, que social – être sûres que leurs salariés auront sur place des services, de la restauration, des moyens de transport… Chez Tourny Meyer, on s’en est rendu compte un peu tard pour l’immeuble Prélude, le premier immeuble de bureaux livré îlot d’Armagnac, qu’on a mis un petit moment à remplir… »

Et qui, selon le site web de l’agence, a encore des bureaux disponibles… Aussi, poursuit Patrice Dupouy, pour qu’il y ait une « explosion » d’Euratlantique, il faut passer à la vitesse supérieure, en allant démarcher des entreprises, « endogènes » (locales) comme « exogènes » (venant d’autres régions ou pays).

« Avec les dents »

Ce dernier point est évidemment crucial pour la réussite de l’opération : elle ne créera pas les emplois rêvés si elle se contente de déplacer des entreprises de l’agglomération, déshabillant Paul pour habiller Jacques. C’est pourquoi Euratlantique ou Bordeaux Gironde Investissement (BGI), bien aidés par l’entregent d’Alain Juppé ou de son adjointe Virginie Calmels, jouent aux VRP pour Bordeaux.

La volonté affichée par Alain Juppé de dépasser  les 25% d’emplois exogènes sur les 15 000 espérés à terme, paraît toutefois compliquée à réaliser : dans les précédentes opérations du même calibre (EuraLille, EuroMediterrannée à Marseille), cette proportion oscillait entre 20 et 25%.

Stéphan de Faÿ, le nouveau directeur général de l’EPA Euratlantique (SB/Rue89 Bordeaux)

Aussi, Stéphan De Faÿ, le patron d’Euratlantique, parle volontiers « d’aller chercher les entreprises avec les dents », notamment grâce à ses réseaux tissés auprès des investisseurs lorsqu’il était directeur général adjoint de l’Epadesa (établissement public d’aménagement de la Défense Seine Arche). Mais pour lui,  comparaison avec les deux autres opérations d’urbanisme précitées, n’est pas raison :

« Pour EuroMed, les questions de sécurité à Marseille pèsent sur le choix des entreprises. Quant à Lille, le différentiel de loyers avec Paris n’était à l’époque pas si extraordinaire que ça. Le point radicalement différent aujourd’hui, c’est le coût du logement, vraie épine dans le pied de Paris. La crise accélère le décrochage complet entre les capacités réelles des salariés et l’offre disponible, on voit beaucoup de cadres obligés de dormir dans leur voiture ! Du coup, entre Saint-Denis et Bordeaux, où le m2 de bureau est à des prix équivalents (180 euros) si un chef d’entreprise se préoccupe de ses salariés, de leur qualité de vie et de leur pouvoir d’achat, sans avoir à augmenter leur salaire, son choix est vite fait. »

La ville préférée des cadres parisiens

Un coût de la vie estimé en 15 et 20% moins cher qu’à Paris, le beau temps (présumé), une région magnifique et une ville dynamique… N’en jetez plus : Bordeaux est la destination que privilégieraient les salariés français, selon un sondage. Des tendances que Stephan de Faÿ prend très au sérieux :

« Je passe un jour par semaine à Paris, où je teste l’appétence pour Bordeaux. Pour les entreprises, s’y implanter est devenu depuis peu une vraie question. La ville est devenue le premier choix des cadres parisiens, or la décision de localisation d’une entreprise n’est plus le fait exclusif d’un patron : le poids des représentants du personnel est une raison essentielle pour laquelle Bordeaux est apparue dans le scope. La LGV est un autre atout, mais seule, elle ne suffit pas à attirer des entreprises, c’est juste un argument de vente. »

Quelles sont les cibles d’Euratlantique ? Stephan de Faÿ écarte sans ambages les mirages de délocalisation de sièges sociaux des bords de Seine aux rives de la Garonne :

« Ma conviction, c’est qu’on n’arrivera pas à attirer de grands centres de décision existants. Ma première cible, ce sont les entrepreneurs : si on veut capter des centres de décision, on ne doit compter que sur les nouvelles entreprises ou sur les nouveaux projets de grands groupes. Et on va s’appuyer sur les entreprises déjà présentes sur le territoire pour renforcer leur implantation. »

Franchir un cap à Euratlantique

Un point de vue que partage Robert Ghilardi de Benedetti, directeur général de Bordeaux Gironde Investissement (BGI), à la recherche d’occupants pour Euratlantique :

« Des sièges sociaux ? Même Lyon qui était légitime n’a pas réussi à obtenir d’installations significatives. Nous prospectons plutôt sur les délocalisations de fonctions back office, ou de directions interrégionales. Car des regroupements sur un site d’activités déjà présentes sur l’agglomération peuvent être synonymes de développements : quand Thales regroupe ses 2000 salariés à Mérignac, pas loin de 500 autres arrivent aussi de Versailles pour intégrer les futurs bâtiments. »

Vice-président de Bordeaux Métropole en charge des Grands projets d’aménagement urbains, Michel Duchène estime lui aussi qu’un transfert peut permettre à une entreprise locale de « franchir un cap, se développer, obtenir des subventions, et embaucher, comme Cdiscount, qui a doublé ses effectifs ».

Mais l’élu bordelais se dit toutefois persuadé que « l’ampleur et les moyens d’Euratlantique intéresseront quelques entreprises un peu médiatiques, qui s’installeront dans l’OIN. Celle-ci bénéficiera d’un pôle intermodal extrêmement important, qui profitera du transfert de 80% des voyageurs de l’avion vers le train. Et les entreprises savent que leurs salariés pourront faire l’aller-retour Paris-Bordeaux dans la journée si nécessaire. »

Bordeaux devra toutefois veiller à ce que son offre de locaux tertiaires ne devienne pas pléthorique : Euratlantique prévoit 450 000 m2 de bureaux, quand seulement 80 000 m2 ont changé de main l’an dernier dans la métropole. Certaines zones d’activités (Bordeaux-Lac, parc industriel de Pessac-Bersol…) pourraient se retrouver fragilisées.

« Calmer le jeu sur les prix »

Stephan de Faÿ assure n’avoir « aucune inquiétude sur l’avenir du tertiaire », et considère que la métropole a « beaucoup d’immobilier de bureau obsolète, qui ne répondent plus aux normes et représentent des charges élevées. On a besoin de purger le marché local ». Le directeur d’Euratlantique affirme en outre vouloir s’appuyer sur les équipements du site pour encourager les activités qui s’y rapportent (ateliers d’artistes près de la Meca, logistique du dernier kilomètre et circuits courts autour du Min).

Il recommande en revanche la vigilance sur la question des prix du logement à Bordeaux, qui continuent de grimper, au risque de plomber l’avantage compétitif de la ville.

« C’est très important qu’une opération comme Euratlantique contribue à calmer le jeu sur les prix. Sans sacrifier la qualité des logements, il faut tirer les prix vers le bas. Dans nos opérations, nous aurons ainsi 35% de logements sociaux, 20% d’accession encadrée à la propriété et 45% d’accession libre. Et dans ce dernier contingent, nous avons imposé aux promoteurs que les prix ne dépassent pas 3600 euros le m2 en moyenne pour un même immeuble, afin d’avoir une graduation de prix qui génère de la mixité. »

Reste à voir les effets sur le niveau global du marché immobilier, dont les prix à la vente pourraient encore augmenter de 20% à 30%, selon certaines agences immobilières, avec… l’arrivée du TGV et des Parisiens.


#Alain Juppé

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