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La marche des lycéens prouve « la solidarité française »

Partie le 13 janvier de Bordeaux, une dizaine de marcheurs pour la liberté est arrivée à Paris dix jours plus tard, après avoir parcouru plus de 500 km entourés d’une centaine de soutien. Reçus ce lundi à l’hôtel de Région, ces Aquitains ont retracé leur périple au président Alain Rousset.

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La marche des lycéens prouve « la solidarité française »

La marche pour la liberté, l'unité et le vivre-ensemble est partie de Bordeaux le 13 janvier (photo extraite de la page Facebook de la marche)
La marche pour la liberté, l’unité et le vivre-ensemble est partie de Bordeaux le 13 janvier (photo extraite de la page Facebook)

Leurs ampoules aux pieds ont disparu, mais le sourire reste gravé sur leurs visages. Après dix jours de marche et plus de 500 km parcourus pour faire Bordeaux-Paris, cette dizaine de jeunes Aquitains renouent tant bien que mal avec leur vie quotidienne.

Partis le mardi 13 janvier en réactions aux évènements dramatiques qui ont secoué la France, ces lycées ne s’attendaient pas à vivre tant de rencontres, à découvrir une vie en communauté. De villes en villages, ils ont transmis leur message « de liberté, d’unité, de vivre-ensemble ». Ce lundi, le président de la région Alain Rousset a souhaité les entendre.

L’idée de la marche émerge chez Redouane, 17 ans. Inscrit au lycée Michel de Montaigne de Bordeaux, il est abasourdi par la nouvelle de l’attentat contre la rédaction de Charlie Hebdo :

« Le mercredi [7 janvier], je vais voir les réseaux sociaux. Je vois ce qui se dit, la haine qu’il y a. Le lendemain, je remarque les regards. Il y avait un malaise. Il y avait de la peur, de l’appréhension. Certaines personnes semblaient mettre tout le monde dans le même sac. »

Lui y compris. Il en discute avec son meilleur ami Samy. « Il faut faire quelque chose ! » lance-t-il. Il opte pour la marche :

« La marche c’est symbolique, c’est aller vers l’autre. »

Les marcheurs pour la liberté reçus à l’hôtel de région. (XR/Rue89 Bordeaux)

Il propose l’idée à Samy et aussi à Zelda, lycéenne syndiquée à la Fidl, qui se renseigne auprès de la préfecture et obtient les dossiers nécessaires. Jeudi après-midi, la décision est prise : ils iront jusqu’à Paris en marchant.

« On a voulu rejoindre Paris pour aller à Charlie Hebdo mais aussi pour dépasser les frontières régionales. Après on n’est pas des pros, on a fait le trajet sur Google map », précise Redouane.

150 à entrer dans Paris

Le dimanche 11 janvier, lors de la marche républicaine, les lycéens distribuent quelques tracts et l’accueil est bon. Mardi 13, au matin, ils prennent leurs sacs à dos et entament dix jours de marche dans le froid.

« On faisait 20 à 30 kilomètres par jour. On voulait marcher le plus possible mais on ne voulait pas non plus louper trop de cours ni marcher la nuit, explique Jean-Baptiste. Comme on voulait qu’un maximum de gens nous rejoigne, on ne pouvait pas imposer un rythme trop fort pour des personnes plus âgées ou qui n’en avaient pas les capacités. »

Le bus complète le trajet. Les neufs lycéens au départ viennent de filières de sciences économiques et sociales, littéraires et scientifiques. Au fil des kilomètres, des dizaines de soutiens les rejoignent. Dans les derniers kilomètres, ils sont 150 à entrer dans Paris.

« Tous les milieux sociaux étaient là, affirme Ségolène. Autour de nous, certains s’étaient fait virer de chez eux par leurs parents ou étaient en famille d’accueil. »

Les rencontres compensent les courbatures

Dès le troisième jour, à Angoulême, des pépins de santé apparaissent. Ils sont quatre à se rendre chez le médecin pour des extinctions de voix, des problèmes aux pieds, aux genoux. Mais pas question de renoncer.

Ils doivent aussi faire face aux ragots sur Internet (bonne occasion pour louper des cours, pour se faire remarquer) et gérer les sollicitations médiatiques. La règle sera claire : pas question de changer de route pour rencontrer un journaliste, pas question de faire des plateaux télés.

Si les jours de marche sont particulièrement éprouvant physiquement, les rencontres compensent les courbatures. Jean-Baptiste s’enthousiasme :

« On a rencontré des gens tellement incroyables, avec une telle générosité, une telle bonté. On s’est pris une grande claque. On a fait un bond indescriptible en maturité ! »

La marche, une expérience qui permet de « renaître »

Régulièrement, les marcheurs se retrouvent sans le sou, sans nourriture. La solidarité se noue alors avec les hommes et femmes croisés. Les dons sont nécessaires, autant que les nombreux messages de soutien reçus.

Pêle-mêle, ils citent un homme de 85 ans les suivant durant trois kilomètres, Guy marchant plus vite qu’eux, mais aussi Fabienne, Christophe ou encore un Iranien exilé politique. Durant leur périple, ils estiment avoir parlé avec près de mille personnes. Redouane évoque aussi « René », de son vrai nom Laurent, croisé à Tours.

« Il nous a demandé de l’appeler ainsi car cette expérience de la marche lui a permis de renaitre. Il avait grandi avec Wolinski et se sentait touché par le malaise dans la société. Il nous disait avoir perdu goût à la vie. Il fait partie de ces gens qui attendaient juste qu’on leur tende la main. »

Nohan, Rémi, Ségolène et Jean-Baptiste, marcheurs invités à l’hôtel de région (XR/Rue89 Bordeaux)

A Bordeaux, Victoria et Lucie vivent la marche par procuration. Obligées de rester à Bordeaux, elles sont en contact permanent avec leurs camarades. Victoria organise par téléphone les prochaines étapes :

« Je mettais en relation les marcheurs avec ceux qui voulaient les rejoindre. J’ai eu énormément d’échanges. »

Un peu frustrées de ne pas avoir plus marché, Victoria et Lucie ont rattrapé le groupe durant les derniers kilomètres.

Changer l’opinion des gens sur la jeunesse

Cinq jours après leur départ, une fois arrivés à Châtellerault, les Bordelais sont rejoints par trois Périgourdins de Sarlat, Nohan, Anthony, 19 ans, son petit-frère Lucas, 13 ans. Les deux premiers sont amis, et décrits comme les punks et les anars du groupe.

« C’est quelque chose qu’on n’oubliera pas, explique Anthony. En fait, on s’est prouvé à nous-mêmes qu’on pouvait vivre ensemble grâce à nos différences. On était tous très différents. Et dans la vie quotidienne, on ne se serait pas croisé, pas calculé. »

C’est exactement l’objectif que recherchait Redouane :

« Ça nous a permis de changer l’opinion des gens sur la jeunesse : comme quoi on serait fainéant ou que rien ne nous intéresserait… Le but était vraiment de faire passer un message pour éviter les amalgames, pour vanter la liberté d’expression et le vivre-ensemble. »

Robin, lycéen membre de la marche de la liberté. (XR/Rue89 Bordeaux)

En ce sens, lors des différentes étapes, les marcheurs organisent des rencontres dans les lycées. L’accueil est plus ou moins chaleureux.

« Dans un lycée des métiers près d’Etampes, les gens n’étaient pas réceptifs, ne comprenaient pas pourquoi on était là, se souvient Zelda. Le débat était en revanche incroyable. C’est un des meilleurs moments de la marche. Au début, on ne savait pas comment aborder le sujet. »

Contrairement à leur volonté, ils apparaissent comme promouvant le message « Je suis Charlie ». Lors du débat, ils évitent le ton péremptoire et donneur de leçons et « une fois les mots juste trouvés, ils ont été touchés au cœur » dit Robin. Zelda continue :

« Au final, toutes les personnes présentes ont marché avec nous jusqu’à la sortie de la ville. Deux d’entre eux sont même venus avec nous jusqu’à Paris. Peut-être qu’ils n’étaient pas tous d’accord avec nous, mais ils avaient envie de nous soutenir. »

C’est là aussi que Ségolène fait une rencontre inoubliable. Le groupe s’arrête dans un restaurant d’une petite commune. Elle remarque un habitué qui aide le patron, visiblement débordé par leur arrivée.

« A la fin du repas, je sors et il était dehors en train de fumer. Il me lâche alors qu’il avait été dessinateur chez Hara Kiri. Ce hasard m’a marqué. »

« Il faut montrer cette solidarité française ! »

A Etampes, sept personnes du lycée privé musulman de Lille grossissent les rangs. Cette présence a créé un souvenir impérissable à Redouane :

« Une juive nous attendait et m’a prise dans ses bras. Elle était émue. Elle est aussitôt tombée dans les bras d’une fille venue du lycée musulman. Ce sont des beaux moments, comme quand on était en cercle bras dessus, bras dessous et que tout le monde prenait la parole. On a vu qu’on était tous de milieux sociaux différents. C’est ça en fait la France ! C’est cette fraternité ! »

D’autant que communiquer n’était pas leur volonté première, selon Robin :

« Avant de prôner ce message de vivre-ensemble, on a voulu se l’appliquer. Quand on était 25 ou 45, c’était compliqué, mais on se devait de le faire. Tous les soirs, on faisait un débriefing pour que chacun se sente bien dans le groupe. Il y avait des petites embrouilles, mais il y avait un profond respect de l’autre. »

Anthony et Clément, marcheurs pour la liberté. (XR/Rue89 Bordeaux)

Tous s’accordent à dire qu’ils ont été profondément transformés par cette marche.

« C’est difficile de raconter aux parents, de tout raconter, explique Jean-Baptiste. C’est en nous, à jamais ! Il faut qu’on essaie de partager les valeurs et montrer cette solidarité française ! »

« Ça ne sert à rien de dire comment penser »

Reçus ce lundi à l’hôtel de région, les lycéens ont eu l’occasion d’envoyer un message au président de la région Aquitaine, Alain Rousset. Ils voudraient plus d’éducation civique juridique et sociale en cours et plus de débats et de dialogues à l’intérieur des lycées. Sinon, « on risque d’oublier, si ce n’est pas déjà le cas » prévient Hugo.

« Quand on a débattu dans les lycées, on a vu que beaucoup de lycéens ont des choses à dire, explique Jean-Baptiste. Or on n’a pas le droit de donner notre opinion, qu’elle soit bonne ou mauvaise. »

Face aux remises en question des versions officielles, face au complotisme, Robin donne sa vision de la liberté à Stéphane Delpeyrat-Vincent, vice-président à la région en charge de la jeunesse :

« Il ne faut pas rentrer dans une opposition brutale. Avec de l’échange et la compréhension, on peut leur donner les moyens de changer eux-mêmes leurs idées. Ça ne sert à rien de leur dire qu’il faut penser de telle manière ! C’est le meilleur moyen pour les braquer ! »

L’après-marche est en cours. Monter une exposition avec les clichés qu’a pris Florian du début à la fin, dessiner leur périple, écrire leur marche sont évoqués.

Et pour l’avenir ? Jean-Baptiste charrie Redouane : « Il faut que tu deviennes Premier ministre, toi ! » Victoria conclut : « En tout cas, on ne va pas s’arrêter là. » Preuve en est, profitant du festival de la BD d’Angoulême, les marcheurs ont obtenu de nombreux dessins et caricatures sur leur aventure. La marche continue.

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