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Au Signal, la grève de la faim dans l’indifférence

Des copropriétaires de la résidence Le Signal à Soulac sont en grève de la faim depuis 12 jours. Ils veulent bénéficier du fonds Barnier après leur expulsion du bâtiment menacé par l’érosion. Fatigué, l’un d’eux vient d’arrêter et les autres sont dans un état de faiblesse critique. Corinne Lepage accuse la mairie de « laisser pourrir la situation ».

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Au Signal, la grève de la faim dans l’indifférence

Dans un entretien accordé à Rue89 Bordeaux, Corinne Lepage, avocate des copropriétaires du Signal et ex-ministre de l’environnement, a tenu à remonter loin dans l’histoire controversée de cet immeuble, à une époque où la ruée vers les stations balnéaires était une manne pour les communes en bord de mer :

« Si cet immeuble existe, c’est grâce à Monsieur Pintat père, maire dans les années 1960 (Son fils Xavier Pintat est l’actuel maire de Soulac, NDLR). Certes ce n’est pas le maire qui délivrait le permis de construire à l’époque, mais il s’était impliqué pour que ce bâtiment soit réalisé. Il en voulait même d’autres. Ceux-ci n’ont jamais vu le jour. Pourquoi ? Parce qu’on a compris qu’il ne fallait pas construire là. Soixante ans plus tard, les propriétaires se retrouvent dépossédés de leurs biens alors qu’ils n’y sont pour rien. »

Le rêve d’un appartement au soleil

Liliane habite en région parisienne. En 1990, elle avait acheté un appartement à la résidence Le Signal pour venir y passer les vacances d’été d’abord, puis 5 ou 6 mois par an une fois à la retraite :

« Je serai venue autant que possible, jusqu’à ce que je ne puisse plus monter jusqu’au 4e étage. »

D’ici-là, elle comptait bien profiter des beaux jours face à l’océan. Mais l’érosion du littoral en a voulu autrement et Le Signal est depuis condamné à disparaître du paysage soulacais après que le Préfet a ordonné à ses occupants de quitter les lieux en janvier 2014.

Depuis le 20 mars 2015, Liliane, 65 ans, fait la grève de la faim avec quatre autres copropriétaires. Ce mardi, l’un d’entre eux, extrêmement fatigué vient de jeter l’éponge. Bien que le moral soit au plus bas, les autres refusent toujours de s’alimenter et continuent leur grève dans des conditions difficiles, malgré le sentiment d’être ignorés par les pouvoirs publics.

Les grévistes rejettent les indemnités « dérisoires » proposées par l’État et réclament au tribunal administratif de bénéficier du fonds Barnier, dispositif permettant d’être indemnisé en cas d’expulsion pour « risque grave et imminent », que le tribunal a refusé d’appliquer dans le cas du Signal.

Les tempêtes se succèdent et les solutions tardent à venir

Jusqu’à ce mois de janvier 2014, Liliane avait, comme tout le monde, vu passer les tempêtes sans pour autant s’inquiéter. Elle était rassurée par les promesses du maire de Soulac, Xavier Pintat, faites au Syndicat des copropriétaires :

« Il nous avait assuré à plusieurs reprises qu’il mettait tout en œuvre pour trouver une solution à l’érosion de la côte de Soulac », précise Jean-José Guichet, président du syndicat des copropriétaires.

Entre temps, Klaus est venu avaler plus de dix mètres de dunes en 2009. Xynthia a fait plus fort en 2010 avec quinze mètres. Des 200 mètres qui séparaient Le Signal du trait de côte en 1967, l’année de sa construction, il n’en reste aujourd’hui que douze.

« C’est dorénavant trop tard, se lamente Danielle Duprat, copropriétaire. Il fallait mettre en œuvre les solutions bien plus tôt. On a trop attendu et les coûts avoisinent aujourd’hui les 15 millions d’euros, plus que le coût estimé de l’immeuble ! »

En effet, l’immeuble a été évalué par le Service des domaines en 2014 à 8 millions d’euros rapporte Corinne Lepage :

« Malgré cette estimation, la proposition d’indemnisation faite aux copropriétaires est de 3 millions d’euros. Dans celle-ci les frais de la démolition du bâtiment sont inclus et représentent la moitié. Il leur reste l’autre moitié à se partager », précise l’avocate.

Amélie et Le Signal : « deux poids, deux mesures »

Mais Danielle Duprat ne baisse pas les bras pour autant. Aux côtés des grévistes, elle a mis sur pied une exposition qui permet de comprendre la situation : photos du Signal, comparatifs avec d’autres sites menacés par l’érosion et en particulier la côte de Wimereux.

« Dans le Pas-de-Calais, ils ont indemnisé des villas à leur juste valeur grâce à la loi Barnier, précise Danielle Duprat. Le dossier a été porté par le maire et le tribunal a reconnu que l’érosion avait provoqué un mouvement de terrain. Ici, le maire ne s’est pas occupé du dossier du Signal, il a pourtant bien traité celui de l’Amélie où lui et sa famille possèdent de nombreux biens ! »

Si l’Amélie a bénéficié des investissements nécessaires par la Ville pour sa protection – une digue rallongée de 150 m après les tempêtes de 2014 pour un montant de 2,5 millions d’euros –, c’est aussi dû à l’implantation du camping municipal qui « présente un intérêt économique significatif » pour la ville.

« Il y a deux poids deux mesures entre L’Amélie et Le Signal, déclare Corinne Lepage. On dépense des millions pour le quartier de l’Amélie et on ne fait rien pour Le Signal. Le quartier de l’Amélie était classé en zone rouge et il est passé comme par miracle, depuis un récent redécoupage, en zone bleue foncée (La zone bleue est une zone urbanisée exposée à des risques sans atteindre ceux de la zone rouge où les risques d’inondations sont à craindre, NDLR). »

L’injuste loi de 1807 appliquée au Signal

Dans le cas du Signal, propriété privée, le tribunal administratif avait estimé que le problème d’érosion était de la responsabilité de ses propriétaires, comme le stipule la loi de 1807.

« Le maire ne nous a jamais prévenus par rapport à la loi de 1807. Il ne nous avait jamais dit que c’était de notre responsabilité, bien au contraire ! » ajoute Danielle Duprat.

Par ailleurs, Corinne Lepage conteste cette décision :

« Deux questions se posent sur la loi 1807, la première concerne sa constitutionnalité, et la deuxième son application. Le problème du Signal est lié à l’érosion massive des côtes, ses occupants ne sont pas responsables de celle-ci. Par voie de conséquence, considérer que les travaux pour y faire face relèvent des propriétaires est infondé. Le tribunal a considéré que l’érosion marine n’était pas un cas où la loi Barnier est applicable. Mais nous ne sommes pas dans un problème d’érosion marine, nous sommes dans un problème d’affaissement de terrain dû à cette érosion. »

Une résidence entièrement vandalisée

Depuis leur expropriation, les copropriétaires ne pouvaient plus disposer de leurs appartements. Laissé à l’abandon, Le Signal est saccagé et ses anciens occupants déplorent le manque de sécurité :

« Il s’agit d’une expropriation de fait selon la définition de la cour européenne des droits de l’homme, précise Corinne Lepage. Les propriétaires n’avaient plus le droit de retourner dans leurs appartements ou d’en disposer. Ce qui est tout à fait illicite. Si cette mairie avait fait les travaux nécessaires bien avant, les habitants ne seraient jamais partis. »

Depuis, plus de 35 plaintes pour vandalisme ont été déposées par les copropriétaires du Signal. Ils assistent impuissants à la dévalorisation de leurs biens :

« C’est une volonté délibérée de la mairie de laisser périr l’immeuble, accuse Corinne Lepage. L’expropriation a été organisée par celle-ci et elle a laissé vandaliser l’immeuble volontairement. »

Des singes au zoo

Au pied de leur résidence, tournant le dos à celle-ci comme pour éviter la douleur de voir le projet de toute une vie partir en ruine, les grévistes sont logés dans deux containers habitables.

« Je comprends leur désarroi, ce qui se passe est totalement inadmissible, ajoute Corinne Lepage. J’ai demandé un rendez-vous avec le nouveau préfet, pour l’instant je n’ai pas de réponse. J’espère qu’une réunion sera mise en place rapidement à la Préfecture pour apporter des garanties qui permettront aux copropriétaires d’interrompre leur grève. »

Face à la fatigue qui prend le dessus sur la volonté des copropriétaires, Jean-José Guichet regrette le manque d’implication et d’intérêt des élus pour ces événements :

« Des curieux passent jeter un coup d’œil comme s’ils venaient voir des singes au zoo, déplore Jean-José Guichet. La mairie n’a même pas eu la bonne idée de tirer un câble pour leur fournir l’électricité. »

« Nous avons reçu un bouquet de fleurs »

Les grévistes se contentent d’un poêle à pétrole pour le chauffage, éteint la nuit par sécurité. Sous la surveillance d’un médecin lui aussi propriétaire, Liliane avoue cependant ne pas savoir de quoi l’avenir sera fait et affirme que la grève est reconduite « au jour le jour ». Mais la situation inquiète Danielle Duprat :

« On leur a demandé d’arrêter mais ils disent vouloir aller jusqu’au bout. Ça fait chaud au cœur de voir des témoignages de soutien. Mais nous n’avons vu défiler que les élus du Front national venus à l’occasion des élections départementales et un jeune de l’extrême gauche venu proposer sa salle de bain pour une douche chaude. »

Comme ce dernier, beaucoup de Soulacais manifestent régulièrement leur soutien par l’apport de couvertures et des boissons chaudes. « Nous avons reçu un bouquet de fleurs », précise Liliane. Une Soulacaise déclare émue :

« Je ne pensais pas que des citoyens pouvaient faire une grève de la faim sans qu’un représentant de l’État soit obligé de s’en préoccuper. En tout cas, moi, je n’avais jamais rencontré des vieilles dames grévistes de la faim. »


#érosion du littoral

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