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Le marathon, une course devenue marché

Après le marathon de Paris dimanche, celui de Bordeaux Métropole se courra samedi prochain, déjà un succès pour sa première édition. Côté coulisses, l’organisateur Lagardère Unlimited Events a fait le plein de sponsors, au grand dam de certains participants qui critiquent aussi le prix des dossards. La Métropole invoque la préservation des deniers publics.

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Le marathon, une course devenue marché

Le parcours du Marathon de Bordeaux Métropole sillonne le Port de la Lune avant de traverser Mérignac, Pessac et Talence.
Le parcours du marathon de Bordeaux Métropole, premier marathon nocturne de France (DR)

Sur la page Facebook officielle du marathon de Bordeaux Métropole, et dans toute la communication de l’évènement, le logo a été modifié de façon très notable le 4 février dernier : on y a ajouté la mention « Nissan électrique », du nom d’une gamme de voitures, ce qui a suscité des déceptions chez certains commentateurs, l’un critiquant « l’odeur des finances » au détriment de « celle du sport », un autre estimant qu’avec Nissan, « les 70 boules d’inscription n’avaient pas lieu d’être ». Un troisième, ironique, se plaît à imaginer une voiture offerte au vainqueur – ce qui n’est pas prévu.

Comme le remarque Frédéric Gil, le directeur général Éducation, Sports et Société à la Mairie de Bordeaux qui supervise le marathon pour la Métropole, « les gens ne sont pas encore très habitués à la pratique du naming ». Quant à lui, le choix de la marque Nissan ne le dérange pas dans la mesure où il s’agit de promouvoir des véhicules électriques qui se caractérisent par « une empreinte carbone raisonnable ».

La Métropole conserve d’ailleurs un droit de véto sur le naming – comme sur celui du nouveau stade – et n’a donc pas rejeté celui-là, qui a l’avantage de fournir à l’événement une flotte de 25 véhicules utiles à son bon déroulement.

Sportif ou homme-sandwich ?

Pour l’un des premiers inscrits au marathon, la pilule n’est pas du tout passée. Guillaume a réclamé en vain le remboursement de son dossard en envoyant aux organisateurs plusieurs mails, dont voici un extrait :

« Tous les éléments extérieurs laissaient penser qu’il s’agissait d’une initiative totalement gérée par les collectivités locales : le nom du marathon, les logos de la communauté de communes et celui de la ville de Bordeaux, etc. C’est ce changement et le fait que l’on soit mis devant le fait accompli que je trouve agaçant. C’est mon droit de ne pas avoir envie de faire l’homme-sandwich pour Nissan et Lagardère. »

La Mairie de Bordeaux, à l’initiative de ce projet de marathon, aurait-elle pu l’organiser sans l’expertise d’un groupe privé tel que Lagardère ?

« Non, affirme Frédéric Gil, car nous voulions que cela pèse le moins possible sur les finances publiques, or nous, collectivités, n’avons pas des commerciaux capables d’aller démarcher les partenaires et les marques qui contribuent à l’équilibre financier de l’événement. »

Lagardère dans les starting-blocks

Le dossier a donc été confié au Stade Bordelais-ASPTT, club sportif fort de ses 5000 licenciés, qui a lancé une consultation à laquelle ont répondu trois candidats : Amaury Sport Organisation (Tour de France, marathon de Paris), OC Sport (marathons de Nice, Genève, régates de haut niveau) et Lagardère Unlimited Events (marathons de Hambourg et Auckland). Ce dernier était le seul à ne pas réclamer de subvention d’équilibre, alors que les deux autres tablaient sur 150 000 euros. C’est Lagardère qui, assumant tous les risques, a été retenu.

Seul financement public impliqué jusqu’à présent : une subvention de 50 000 euros pour le Stade Bordelais-ASPTT afin de couvrir les « frais d’animation du parcours » le jour J. Le club se verra également reverser par le groupe Lagardère une somme prévue au contrat de dix euros par participant (marathon) ou équipe participante (marathon duo ou relais) au-delà de 10 000 dossards, soit un total d’environ 55 000 euros.

Succès garanti dès la première année

Lagardère Unlimited Events a-t-il fait une affaire ? Très probablement. Signé pour une période de cinq ans, le contrat qui relie la filiale événementielle au Stade Bordelais-ASPTT (et donc indirectement à la Métropole) prévoit la possibilité pour Lagardère de se retirer dans les trois premières années moyennant le versement d’un dédommagement de 150 000 euros.

On peut parier qu’à l’heure qu’il est, le groupe a déjà oublié cette clause, occupé à fêter l’engouement massif et immédiat du public pour le marathon de Bordeaux, prévu initialement pour 7000 participants et finalement relevé à 20 000 coureurs.

Corinne Vanier, ancienne tenniswoman, directrice France de Lagardère Unlimited Events, garde la tête froide et reste évasive sur le coût global de l’organisation, « autour d’un million d’euros » :

« On est bien sûr très heureux de s’installer aussi vite dans le top 5 des marathons français en termes de fréquentation. Bordeaux était la dernière grande ville à ne pas en posséder. On a bon espoir d’atteindre l’équilibre dès la première année, au lieu d’attendre la troisième comme on l’avait imaginé. Mais le succès, ça se gère, ça a un prix. »

2000 bénévoles mobilisés

Un prix, certes, et un gain non négligeable, si l’on en croit une enquête publiée il y a deux ans par le magazine Challenges sur le marathon de Paris, dont la 39ème édition se disputait ce dimanche : la course rapporterait au groupe Amaury Sport Organisation un chiffre d’affaires de 5,6 millions d’euros et une marge brute de 30%.

Corinne Vanier temporise, en expliquant que le marathon de la capitale est un « modèle hors-cote » aux retombées économiques massives, une « exception » sur le marché des événements sportifs.

Interrogée sur le renfort gratuit qu’apportent les 2000 bénévoles mobilisés et encadrés par le Stade Bordelais-ASPTT, l’organisatrice n’y voit que la preuve du succès populaire du marathon :

« Un tel événement ne peut exister sans ces bénévoles. Pour eux, c’est une manière intéressante de participer à l’aventure, de la vivre de l’intérieur, de s’investir dans un grand projet. Ils recevront bien sûr des cadeaux et repartiront avec des souvenirs forts. »

Un fichier de bénévoles qui sera fort utile, l’an prochain, pour l’encadrement de l’Euro 2016. Le caractère « populaire » de l’événement, revendiqué par toutes les parties organisatrices, permet accessoirement à Lagardère de faire l’économie des prize money, ainsi que l’on appelle les récompenses financières remises aux vainqueurs d’une épreuve sportive. Le marathon de Bordeaux ne rapportera que 500 euros au premier arrivant : on est loin des 50 000 euros versés au vainqueur du marathon de Paris.

Un événement populaire, des retombées touristiques

Mais c’est une volonté assumée par le président du Stade Bordelais-ASPTT, Thierry Beheregaray :

« On voulait vraiment faire un marathon pour tous. L’idée n’est pas d’attirer des compétiteurs internationaux mais de favoriser le  « sporto-tourisme » à Bordeaux en proposant un événement original – le seul marathon nocturne de France – au cœur d’un patrimoine architectural unique. »

Comme les autres parties prenantes au projet, il se félicite de « l’effet marathon » visible ces derniers mois sur le bitume bordelais :

« Toutes sortes de gens se sont mis à la course à pied, c’est flagrant ! »

Le prix du dossard est-il tout aussi « populaire » ? Pas vraiment. 75 euros le marathon, 40 euros le semi-marathon, 25 euros pour le courir en relais avec trois autres personnes : « On est dans la fourchette haute », reconnaît Corinne Vanier, qui ne peut toutefois que constater que « ça n’a pas été un frein, visiblement. » Fin novembre 2014, toutes les courses affichaient complet et des listes d’attente étaient créées.

Un marathon Vigipirate

Difficile, dans ce contexte, d’espérer une baisse des tarifs l’an prochain, même si Lagardère parvient à décrocher un nouveau gros partenaire, comme un équipementier sportif, ce que les délais d’organisation très courts ne lui ont pas permis de faire cette année.

Le seul aléa que l’organisateur n’avait peut-être pas vu venir, à l’automne dernier, c’est le besoin accru de sécurité depuis début 2015, avec une augmentation du niveau d’alerte du plan Vigipirate. Un contexte qui l’oblige à mobiliser davantage de forces de police que prévu, service d’ordre qu’il faut indemniser à la préfecture, ainsi que des renforts privés.

Globalement, sur le plan économique, le marathon de Bordeaux Métropole semble, comme le souligne Frédéric Gil de la Mairie de Bordeaux, un événement « gagnant-gagnant »

« Nous sommes engagés dans une relation de confiance avec Lagardère, en quelque sorte « pacsés » pour cinq ans. Le groupe veut bâtir son calendrier sportif en France et s’implanter à Bordeaux (NDLR : c’est également une filiale de Lagardère qui va exploiter la future grande salle de spectacle de l’agglomération à Floirac). Nous espérons des retombées économiques qui profiteront à la ville. Rendez-vous après cette première édition pour faire le bilan. »

Et vérifier si le cours du marathon continue de monter.


#Bordeaux

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