Les rythmes scolaires ne sont certes pas le motif déclencheur de la grève interprofessionnelle de ce jeudi. Dans l’éducation nationale, les syndicats qui appellent à cesser le travail (CGT, FO, Solidaires, FSU) dénoncent d’abord « les politiques d’austérité poursuivies par les gouvernements successifs » et le gel des salaires depuis 2010.
Mais l’intersyndicale critique également « l’alourdissement des missions des personnels et la dégradation de leurs conditions de travail en raison notamment de l’application de la réforme des rythmes scolaires, dont nous pouvons dresser un constat négatif ».
Les organisations citent « l’instauration de tâches supplémentaires pour les personnels enseignants et territoriaux, l’allongement des temps de travail engendrant de la fatigue pour les enfants ainsi que pour les personnels concernés », ou encore « l’insécurité des conditions d’accueil des enfants ». Elles demandent donc à la ministre de l’Éducation nationale de « suspendre son application ».
Tableau noir
Diantre. Le tableau est-il aussi noir dans les écoles de Bordeaux, après deux trimestres de nouveaux rythmes scolaires ? Pour y voir clair, la mairie de Bordeaux a commandité une étude au cabinet Ares. Il a réalisé un questionnaire envoyé en mars à 396 personnes : enseignants et directeurs de 84 écoles de la ville, parents, acteurs associatifs intervenant dans le cadre des TAP (temps d’activité périscolaire) et même des enfants de CM2. 324 personnes d’entre eux ont répondu, et une « première restitution succincte » des résultats a été faite à la Ville, explique Emmanuelle Cuny, adjointe en charge de l’éducation.
Le premier enseignement confirme le ressenti des parents, et il est pour le moins paradoxal : alors que la réforme des rythmes scolaires devait permettre aux enfants de respirer, « tout le monde trouve que la fatigue est beaucoup plus importante « , notamment à cause de l’école le mercredi, relève Emmanuelle Cuny :
« L’allègement du temps de classe se traduit par un allongement du temps à l’école. Par exemple, des parents qui pouvaient venir à la sortie à 16h30, et ne peuvent plus y être à 16h, laissent leurs enfants à la garderie et les récupèrent plutôt après 17h. Surtout, avec classe le mercredi, les enfants doivent se lever 5 matins d’affilée, puis, pour beaucoup rester à l’école toute la journée. Avant, même si leurs parents travaillaient et qu’ils allaient en centre de loisir le mercredi, ils pouvaient arriver plus tard, à 9h ou 10h. Et pas mal d’enfants partaient le mardi soir chez leurs grands parents, ou, lorsqu’ils étaient en petite section pouvaient retourner en crèche le mercredi. »
TAP à deux balles ?
En outre, poursuit Emmanuelle Cuny, « la pause méridienne de 2h15 en maternelle est jugée trop longue les deux jours où il n’y a pas de TAP. Nous sommes en train de réfléchir au raccourcissement de cette pause. »
« Oui, il y a de la fatigue, surtout en maternelle les jeudi et vendredi, après 3 jours d’école consécutifs, confirme Vincent Maurin, directeur d’école à Bacalan. C’est moins flagrant en élémentaire, où les enfants ont deux après-midi libre », poursuit cet élu du SNUIpp-FSU, syndicat majoritaire chez les enseignants, qui se dit satisfait de la « remise à plat » permise par le questionnaire de la Ville.
« Mais je me méfie des leçons – et des conséquences budgétaires – qui pourraient être tirées de ce constat, et qu’on impose du repos à tous plutôt que de chercher des activités qualifiantes, qui apportent un vrai plus. Si on transforme les TAP en sieste ou en activité allongée sur tapis, on aura certes économisé des animateurs. Mais si on veut que cette réforme ait un sens, il faut y mettre des moyens. »
Sauce bordelaise
Faute de pouvoir modifier fondamentalement les orientations d’une mesure nationale, la Ville présentera les « ajustements » qu’elle entend préconiser après les vacances de Pâques, indique Emmanuelle Cuny. L’harmonisation des horaires de sortie entre les maternelles et les primaire, lorsque ceux-ci terminent leur TAP à 16h30, fait partie des améliorations qui devraient être apportées.
Pas question en revanche de revenir sur quelques fondamentaux des rythmes scolaires sauce bordelaise, souligne néanmoins l’adjointe :
« Il est exclu de faire classe le samedi matin, car 97% des Bordelais s’étaient prononcés pour le mercredi. On aurait un taux d’absentéisme record dans les écoles, et il faut tenir compte du contexte local : nous avons plus de 40% de familles monoparentales, et les enfants partent le week-end chez papa ou maman, qui n’habitent pas forcément à Bordeaux. »
Les horaires et modalités des TAP ne devraient pas non plus bouger.
« Les enseignants de maternelle ne sont pas du tout satisfaits, reconnaît Emmanuelle Cuny. Ils auraient préféré que les TAP se déroulent en fin de journée, parce que les enfants ont du mal à faire la différence entre le temps scolaire et ces activités. Mais ce ressenti n’est pas partagé par les associations qui interviennent et trouvent que cela fonctionne bien. Pour les enfants en élémentaire, nous avons des retours positifs de tout le monde sur les 2 heures de TAP une fois par semaine. Le seul problème, c’est la disparité territoriale par rapport aux temps de transports, beaucoup plus importants pour des écoliers de Caudéran qui vont au musée en centre-ville, par exemple. C’est quelque chose qu’il faut faire évoluer. »
Des rythmes et des bouchons
Vincent Maurin est plus sévère encore :
« La volonté de concentrer 2 des 3 heures de TAP pour investir les structures de la ville, est un échec. On a recensé beaucoup de bugs liés aux transports, des bus pris dans les bouchons, et des enfants qui à l’arrivée n’ont pu faire qu’un quart d’heure de piscine ou de patinoire. Il faudrait que ce soit les structures qui se décentralisent dans les écoles, en y créant des activités. Je crois qu’ils sont en train d’y réfléchir. »
Pour l’ancien conseiller municipal communiste, la réforme des rythmes scolaires ne doit pas accentuer les inégalités :
« On a besoin de rééquilibrer l’offre périscolaire, en donnant des moyens supplémentaires aux quartiers en politique de la ville, qui n’ont pas les personnels des grandes maisons de quartiers du centre-ville. »
Moyens constants
Emmanuelle Cuny prévient néanmoins que les aménagements des rythmes devraient se faire à moyens constants, c’est à dire pour un coût de 2 millions d’euros.
« Les parents sont plutôt contents de cette réforme et des activités proposées, même si les gamins sont crevés, et que l’insatisfaction est générale sur l’organisation en maternelle, souligne Emilie Houdent, représentante des parents à l’école Solferino. Le problème, c’est le cadre horaire sur lequel il n’y a aucune flexibilité. Si on voulait par exemple arrêter l’école à 15h30 pour que les enfants passent vraiment moins de temps à l’école, cela supposerait du personnel supplémentaire au centre de loisir, donc de mettre plus de sous. »
Pas vraiment la tendance actuelle du gouvernement, qui en laissant le champ libre aux collectivités locales dans l’application des nouveaux rythmes, et en ne leur accordant que des crédits limités, a pris le risque d’une réforme à plusieurs vitesses.
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