Les Ultramarines avaient fait les choses en grand pour la « der ». Une parade de 4000 supporters partie de la place de la République, jusqu’au stade. Une procession de chants et de fumigènes, pour se mettre en train avant le match.
Un « tifo » géant sur les 4 tribunes avait été prévu par les ultas. Ils ont consacré plus d’un mois, jour et nuit, pour préparer cette célébration. Les supporters du Virage Sud arboraient pour la plupart un T-Shirt préparé spécialement pour l’occasion, et portant deux mots tout simples « Adieu Lescure ».
Un nom mythique pour Thierry, 53 ans, dont 40 à suivre les Girondins. Il a vu passer tous les grands joueurs, et même le Pelé de Santos quand il était enfant.
Lescure il l’a toujours connu, allant à l’école dans le quartier, et faisant du sport dans les installations qui jouxtent le stade. Partir, de là, ça lui fait bizarre. C’est une partie de son enfance qui s’en va.
Au « Rond Point », la transition est en marche
Pour le patron du « Rond Point », c’est aussi un peu de sa génération qui disparait. Revenu sur Bordeaux il y a 4 ans, il a repris le bar qui sert de point de rencontre aux supporters, avant et après le match. Il amène son fils au stade à l’occasion… C’est à dire rarement, puisque pendant les matchs, il travaille !
La vie du quartier va changer. Mais pour lui, les supporters des Girondins ne représentent pas son unique clientèle. Car le rugby prend peu à peu ses quartiers ici. Drapeaux et maillots de l’UBB sont partis à la conquête des murs.
Et on y trouve des personnes satisfaites de voir les Girondins partir, comme René, venu prendre un verre à sa débauche. Le foot à Lescure, c’est pour lui « trop de bordel », et il est content de voir arriver le rugby, et un public plus convivial.
Plus convivial ? Les serveuses du « Rond point » confirment le caractère plus festif du rugby, mais n’ont jamais eu de problèmes avec les supporters de football. Elles aussi vont regretter ce public, elles l’ont toujours connu.
Le déménagement, il ne posera pas de problème à Romain qui vient de Poitiers une à deux fois par an voir un match des Girondins, depuis 10 ans. Ce soir, il est venu en famille pour profiter de cette dernière. Pour eux, le nouveau stade, ça sera plus facile.
« C’est un stade magnifique, comme les stades allemands et anglais. Le football évolue et c’est normal que Bordeaux le fasse aussi. »
Il reviendra au nouveau stade avec ses enfants.
On part vers un no man’s land déshumanisé
Pour les ultras, l’amertume est plus visible. Fatalistes, ils se sont résignés à ce départ, mais entendent bien faire résonner leur voix pour que le nouveau stade ne soit pas aseptisé.
Maxou, 38 ans et ultra depuis 1987, a connu les plus belles campagnes. Il est catégorique :
« Ça me fait un effet terrible, c’était un des derniers stades en ville. On part vers un no man’s land déshumanisé, où on ne respire plus. »
Au delà du stade et du match, c’est l’ambiance qu’il y a autour du stade qu’il apprécie, cette vie de quartier.
Il faut dire que c’est l’effervescence les soirs de match, avec ces stands de merguez qui fourmillent, et les petits restaurants qui jouxtent le stade. Un « truc » qu’apprécie Maxou, qui allait gamin discuter avec les « vieux » supporters aux buvettes de fortune où au zincs des bars du coin.
Les vieux supporters, c’est pour eux que ça sera le plus dur, me dit le serveur du « Xaintrailles ». Pour ce restaurant où beaucoup d’habitués venaient manger une fois le match terminé, ce sera aussi compliqué.
Le futur stade ne fait pas rêver
Au « Xaintrailles », nous croisons Ludovic, ancien Devil, dont le groupe a disparu en 2004. Mais il a gardé le scapulaire au cœur, ayant connu les grands déplacements… et les pires, comme Parme en 1999, au soir d’une défaite mémorable (6-1).
Pour lui c’est clair, ce déménagement « c’est de la connerie ». Le stade il ne l’a vu dépasser les 40 000 personnes qu’à deux occasions : contre la Juve en 1985, et lors des célébrations du titre de 1999.
Il ne voit pas l’intérêt de partir au Lac, si ce n’est pour faire augmenter les prix des places et des abonnements. Le prix de l’abonnement en virage va en effet augmenter de 10%, mais restera un des plus bas de Ligue 1, quand le Virage Sud gardera un tarif préférentiel.
C’est aussi la place plus grande accordée aux entreprises et aux places de standing qui inquiète, comme le note Maxou, avec une augmentation à prévoir du nombre de place VIP et de loges au Lac.
Les ultras sont beaucoup à craindre que le club s’oriente vers un stade « moderne », à la parisienne, où les supporters sont une variable d’ajustement, et où les groupes d’ultras sont mis de côté.
La transition se prépare. Au stade, le match est haché, et pour cette dernière les Girondins rejouent le « kick and rush ». Lescure s’offre cependant un grand moment d’émotion lorsqu’il fête la dernière de Marc Planus, l’enfant du club, d’une longue ovation. Un moment partagé au « Rond Point » où les habitués acclament aussi le joueur.
Le Virage Sud s’embrase une dernière fois
C’est bientôt la fin, et on se dirige à l’endroit où il faut être ; le Virage Sud, le kop des Ultramarines. Au coup de sifflet final, c’est l’explosion, le stade s’embrase. Les fumigènes sont de sortie.
L’émotion se lit dans les yeux de Patrick, 65 ans, qui vient au stade depuis son enfance. Il regrettera Lescure et son ambiance. Le nouveau stade ? C’est un peu loin pour lui, et il ne pourra pas aller refaire le match dans les bars du coin.
L’ambiance, pour la dernière, a été comme souvent dominée par les Ultras. Thierry, que l’on retrouve, a été un peu déçu de voir le peu de relais des tribunes latérales et de la présidentielle, comme souvent. Heureusement cette fois, les deux tribunes se sont levées à la fin du match pour une dernière ovation.
Les Ultramarines ne pouvaient pas quitter leur enceinte ainsi, sans une dernière célébration.
Dernière danse à Lescure
Après le match, c’est dans le stade que la fête continue, exceptionnellement ouvert jusqu’à une heure du matin. Dans le Virage Sud, la majorité des Ultramarines sont restés pour chanter encore une fois à la gloire des Girondins.
Une scène a été prévue derrière le Virage pour une apothéose étincelante. Avec un groupe local habitué du virage, on reprend des chants de supporters et les ultras font à leur stade une dernière couronne de fumigènes.
Dans les travées du Virage Sud, les Ultramarines veulent repartir avec un souvenir. Beaucoup tentent de récupérer des sièges. Pieds, mains s’échinent pour desceller ces sièges, où il ne se sont pas souvent assis. Oui, au Virage Sud, on regarde un match debout !
Ce stade a compté pour eux. Des anciens sont venus de toute la France ce soir, de Paris, de Marseille, de Saint-Étienne. Devant la scène du concert s’agite une farandole de maillots qui rappellent l’histoire des ultras. 38 années de Virage Sud valent bien une dernière danse enflammée.
Cette ambiance, accompagnera-t-elle les Girondins dans leur future demeure ?
Les ultras préparent la transition. Qu’ils soient dégoutés ou fatalistes, ils iront au nouveau stade et organisent déjà la première. Même si ses airs de zone industrielle ne les font pas rêver, même si beaucoup sont déçus de quitter cette vie de quartier qu’ils affectionnent, ils continueront à suivre leur club.
Mais pour la génération qui aura connu le Parc Lescure et ses heures de gloire, ce stade gardera son charme unique. Lescure restait en Ligue 1 l’un des derniers vestige d’avant le foot business.
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