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Des Girondins rebelles des vins naturels

Quatre viticulteurs girondins participent actuellement au salon des vins naturels de Rue89, à Paris. Ces praticiens de l’agriculture bio et de la biodynamie, parfois en butte contre les règles des appellations, expliquent le sens de leur démarche.

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Des Girondins rebelles des vins naturels

La vigneronne Valérie Godelu, dimanche au salon Rue89 des vins (Pierre France/Rue89 Bordeaux)
La vigneronne Valérie Godelu, dimanche au salon Rue89 des vins (Pierre France/Rue89 Bordeaux)

Ses breuvages sont un nectar, mais en 2017, ils tronqueront l’appellation Sauternes pour celle de « vin de table ». A l’issue d’un conflit entre l’ODG (organisme de défense et de gestion) du Sauternais, le vignoble Rousset-Peyraguey d’Alain Déjean ne pourra plus se revendiquer de la prestigieuse AOC, à partir du millésime 2010.

« Au milieu du Sauternais, à 400 mètres du château Yquem, cela va faire tâche d’avoir 6 hectares produisant du vin de table, rigole le viticulteur girondin. Mais j’explique aux gens pourquoi à Sauternes on ne veut que des vins issus de la chimie, dans lesquels on doit mettre des levures, des enzymes et des sulfites. »

Paysan à Preignac (Gironde), où il est le représentant de la sixième génération de vignerons, Alain Déjean est l’un de ces rebelles, partisans du vin naturel – biologique et biodynamique –, qui tiennent salon à Paris jusqu’à ce lundi. Très couru, l’événement organisé à La Bellevilloise par Rue89, est un lieu de dégustation, de vente directe, mais aussi de débats, comme celui sur les AOC auquel participe Alain Déjean ce dimanche.

« Venue au bon vin par la table »

Trois autres viticulteurs girondins sont aussi sur le salon, qui leur permet notamment de nouer des contacts avec des négociants et des restaurateurs parisiens.

« C’est une reconnaissance du travail qu’on fait », souligne François Decombe, du château La Haie, dans le Blayais.

Lui a décidé il y a 6 ans de cultiver ses 6 hectares en biodynamie, car il trouvait son vin « trop agressif », et le voulait « plus souple, plus parfumé ». Originaire de Lorraine, et désireuse de changer de vie après avoir travaillé dans le monde de la banque, Valérie Godelu est aussi « venue au bon vin par la table » :

« Je suis très gourmande, et les vins naturels sont simplement meilleurs que les autres », affirme la viticultrice en versant aux visiteurs sur son stand des rasades de « No wine is innocent », une cuvée spéciale du nom du blog co-organisateur du salon.

Trop atypique

Installée en 2008 à Tauriac après des études d’œnologie à Beaune, la jeune femme s’emploie à vinifier sans artifices : elle passe par « un laboratoire d’œnologie indépendant », quand 80% de ses confrères sont conseillés par un labo « juge et partie », qui « ne leur dira jamais de ne rien ajouter à leur vin, car ils vendent à côté des produits œnologiques (levures, soufre…) ». Elle utilise des barriques anciennes – « pour ne pas boiser le vin ».

Comme elle cultive entre autres des cépages de malbec vieux de 40 ans – « alors qu’ils sont souvent arrachés au bout de 25 ans car on estime qu’ils ne produisent plus assez » –, Valérie Godelu assure que son vin, « Les trois Petiotes », fait un tabac auprès de personnes âgées :

« Elles ont l’impression de retrouver la saveur du vin de leur enfance, avant l’arrivée de l’œnologie moderne. »

En revanche, ses crus sont jugés « atypiques » par Quali-Bordeaux, et pour la plupart trop singuliers pour bénéficier de l’appellation Côte de Bourg à laquelle ils pourraient prétendre…

Les vins d’Alain Déjean s’appellent encore Sauternes jusqu’en 2017 (PF/Rue89 Bordeaux)

Bio-bio

Le goût doit aussi beaucoup aux pratiques agricoles de la vigneronne : son vin est labellisé AB (agriculture biologique), ses vignes cultivées en biodynamie, et envisage une certification. Mais au fait, quelle est la différence entre les deux ? Limpide, répond-elle :

« La bio empêche l’utilisation de produits de synthèse – engrais ou pesticides chimiques –, et autorise seulement l’utilisation de cuivre et de soufre naturel. La biodynamie va plus loin que ça : on réalise des opérations en fonction du calendrier lunaire, et on utilise certaines préparations pour améliorer la vie du sol, comme des composts ou des tisanes à base de plantes.

Par exemple, la prêle est riche en silice, qui a un pouvoir asséchant. Cela crée un environnement moins propice au développement de champignons comme le mildiou. Et cela permet de baisser les doses de cuivre, qui devient toxique pour le sol à haute dose. »

Pas de quoi éviter des pertes sévères, comme lorsqu’en 2013, année très humide, donc propice au mildiou, la jeune femme a perdu les trois quarts de sa récolte. Mais pas plus catastrophique que ça, n’en déplaise aux pourfendeurs de la bio : selon Valérie Godelu, « le pourcentage de perte est le même qu’en agriculture conventionnelle ».

Où sont mes racines ?

Et si veiller à la vigne, désherber à la main… exige beaucoup plus de travail – Valérie est seule permanente pour exploiter trois hectares, quand un de ses voisins en conventionnelle est seul pour 13 hectares –, elle estime que son expérience « fait réfléchir les gens » :

« Quand je suis arrivée, ils imaginaient que je n’aurai aucun raisin. Maintenant, ils voient que cela marche et que selon les années, on perd ou on gagne dans les mêmes proportions. »

Viticulteur en biodynamie dans l’appellation Pomerol, Olivier Techer considère lui que « les rendements sont plutôt inférieurs les années pluvieuses, mais au moins égaux, voire supérieurs les années sèches ». Pourquoi ?

« On fait en sorte que les racines de nos vignes aillent profondément dans le sol pour puiser des nutriments et des minéraux, elles peuvent donc trouver plus facilement de l’eau. Par ailleurs, on laisse la terre enherbée en surface, cela permet de garder la rosée du matin, donc une certaine fraicheur, et cela évite que le soleil tape directement le sol. En outre, l’herbe héberge des prédateurs des prédateurs de la vigne. Lorsque ma mère a arrêté de traiter la vigne contre les araignées rouges, elle a réalisé que celles-ci ne pullulaient pas, grâce à la présence d’insectes prédateurs dans les herbes et les haies. »

Issu d’une famille comptant six générations de vignerons, Olivier Techer est le fils d’une ingénieur agronome, qui, à partir de 1983, a réorienté leur château Gombaude-Guillot – « Elle a changé les choses petit à petit, et en 1992, a réalisé qu’elle était passé en bio ! »

Chai Guevara

Mais à l’instar d’Alain Déjean, qui n’est que l’un des deux vignerons en biodynamie sur les 152 du Sauternais, et auquel ses « voisins ne parlent plus », les viticulteurs bio de Pomerol ne sont qu’une poignée.

« Cela progresse très lentement, signale Olivier Techer. Avant on nous prenait pour des tarés, maintenant on a un petit succès d’estime, une reconnaissance. Mais on doit encore se battre contre des patrons de châteaux qui pulvérisent des pesticides sans bacs récupérateurs sur leurs tracteurs. On leur demande de s’équiper, il nous disent qu’ils vont s’en occuper, mais  ne le font pas. Ils ne veulent pas mettre 3000 euros là dedans, alors qu’ils trouvent des centaines de milliers d’euros grâce aux fonds de la PAC pour financer de nouveaux chais. »

Pour les rebelles du vignoble qui n’ont pas hérité des terres de leurs familles, il s’agit d’abord de joindre les deux bouts. Valérie Godelu, qui s’est endettée pour acheter des terres, ne se verse pas encore de salaire, et pourra peut-être se dégager un smic dans quelques années.

« Heureusement, mon mari a gardé son travail pour faire bouillir la marmite. On a baissé notre niveau de vie. Mais je fais un métier qui me passionne. »


#agriculture biologique

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Photo : WS/Rue89 Bordeaux

Photo : SB/Rue89 Bordeaux

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