L’idée n’est pas nouvelle et peut faire glousser, mais Bordeaux Métropole est fière de l’avoir concrétisée : le 30 mai dernier, les 28 communes de la métropole bordelaise ont offert aux habitants volontaires 346 goulues gallinacées (par paire car une poule ne supporte pas la solitude).
Le but : éviter que les restes de repas ne finissent dans la poubelle et réduire ainsi le volume des ordures ménagères et le coût de leur traitement. Car la poule mange tous nos déchets organiques ou presque : épluchure de légumes, croûtes de fromages, pain, restes de viande… Ce volatile vorace peut ingurgiter jusqu’à 200 kg de déchets en une année.
En outre, les poules offertes, des poules rousses pondeuses, fournissent environ 200 œufs par an.
En échange, les propriétaires s’engagent à peser pendant un mois les détritus qu’ils donnent aux poules, à garder les volatiles au moins deux ans et à avoir un poulailler fermé et abrité d’au moins 8 m2.
Réticences
Les poules s’inscrivent ainsi dans l’application du programme national « Zéro gaspillage, zéro déchet », dont Bordeaux Métropole est un des territoires lauréats. Dominique Alcala, maire de Bouliac (33) et élu en charge de la collecte, du tri et du traitement des déchets à la métropole nous explique la genèse et l’intérêt du projet :
« L’idée nous a été inspirée par l’action du maire de Barsac (33), Philippe Meynard, premier en Gironde à avoir fourni, en 2013, et pour une somme modique (2 euros la bête), des centaines de poules aux villageois volontaires. Quand j’ai annoncé le projet, beaucoup d’élus se sont esclaffés, y compris le président, Alain Juppé. Finalement, la métropole s’est dit prête à tenter le coup. La réduction des biodéchets peut paraître anecdotique mais représente 308 tonnes pour les 28 communes. C’est marginal par rapport aux centaines de milliers de tonnes de déchets produits, mais cela participe à la volonté de la métropole de baisser ses déchets de 7 % d’ici 2020. »
Si certains maires se sont montrés un peu récalcitrants, craignant les nuisances sonores, les mauvaises odeurs et de nouveaux conflits de voisinage, aucun n’a refusé que sa municipalité participe.
La remise des poules pour toutes les communes concernées s’est faite le samedi 30 mai à Mérignac, Lormont ou encore Bordeaux – au marché Saint-Genès –, dans le cadre de la semaine de développement durable.
Des motivations écologiques, pédagogiques et… gustatives
Cereza Claudine, 57 ans, résidant au Bouscat, est venue sur la place de l’Eglise de Mérignac récupérer ses deux volatiles et un certificat d’adoption. Sa motivation ?
« J’avais envie. Je suis comme les bobos de la ville, je trouve que c’est un animal sympa, qui, de surcroît, mange nos ordures. J’ai eu des poules quand j’étais petite. Comme j’ai un grand jardin, je perpétue la tradition familiale. J’ai déjà protégé mon potager en conséquence pour empêcher qu’elles grattent la terre ou picorent mes légumes ! »
Pour Jean-François Lannuzel, habitant de 41 ans de Saint-Aubin-de-Médoc (33), la motivation était double, écologique et pédagogique :
« Sensibles à l’écologie, nous avons un composteur et roulons en voiture électrique. Les poules complètent notre démarche. Nous sommes une famille de six personnes dont quatre enfants : nous produisons beaucoup de déchets et nous voulons que nos enfants côtoient la nature, la faune. C’est une expérimentation, concède le père de famille. Les enfants sont impatients : ils ont assisté au montage du poulailler et ont trouvé des noms pour les poules. »
Christine Bataille, 50 ans, également domiciliée à Saint-Aubin est venue récupérer les gallinacées avec son mari, Harmonie, leur fille, accompagnée de son copain. « D’habitude, le samedi matin, ils font la grasse matinée », confie Christine, amusée.
Pourquoi se sont-ils portés volontaires ? « Pour avoir des œufs », répond du tac au tac la mère de famille avant d’ajouter :
« Nous avons longuement hésité car nous craignions que les poules attirent les renards et les rats. Finalement, nous avons construit un grand enclos de 12 m² et le projet a fédéré toute la famille : ma fille, qui souhaite devenir architecte d’intérieur, a réalisé les plans avec son compagnon, mon conjoint a construit le poulailler sur mesure. »
Adoption réussie
Dix jours plus tard, chez la plupart de nos témoins, l’adoption est réussie :
« Elles mangent énormément, jusqu’à 400 g de restes par jour, et de tout. Ce sont de vraies poubelles sur pattes !, s’étonne Claudine. Je leur ai offert un joli poulailler avec une échelle et un pondoir, eh bien elles préfèrent dormir ailleurs ! J’ai essayé de les attraper pour les y mettre, mais c’est très délicat car elles sont vives. Peut-être iront-elles dans leur maison lorsqu’elles commenceront à pondre. Je vais essayer de les éduquer ! »
Du côté de Jean-François à Saint-Aubin, cela a été « plus sportif que prévu » :
« Le premier jour, nous les avons perdues car elles se sont échappées du poulailler en s’envolant au-dessus du grillage pourtant haut de 1,70 m, avoue-t-il. Nous les avons retrouvées plus tard en train de gambader dans le jardin. J’ai dû leur courir après pour les faire rentrer dans l’enclos. Aujourd’hui, elles regagnent d’elles-mêmes le poulailler à la nuit tombante, mais refusent encore de monter à l’étage. Quant à nous, on s’organise, un peu comme à l’arrivée d’un nouvel enfant dans le foyer : on ne sait pas trop comment s’y prendre, et on finit par se débrouiller. Hormis quelques fientes sur la terrasse, on commence à cohabiter sans problème. Et les résultats sont là : à deux, elles consomment environ 330 g de déchets par jour, soit 9,4 kg environ de déchets retraités au bout d’un mois. Et l’une des deux poules a pondu son premier œuf ! »
Chez Christine Bataille, « globalement tout va bien, mais il leur a fallu une semaine d’adaptation : jusqu’il y a quelques jours, elles faisaient la fine bouche, elles ne mangeaient que des grains et refusaient les déchets. Hier, elles ont picoré tout le gras d’un rôti, un peu de salade, quelques épluchures d’asperge cuites (mais pas crues) et la chair du melon mais pas ses pépins ! A la tombée de la nuit, elles rentrent aux abris, l’instinct sans doute ! Il faut dire que nous habitons en lisière de forêt : les bruits d’animaux, les grenouilles qui coassent près d’une mare et le passage, tous les soirs, de sangliers et parfois de chevreuils peuvent les effrayer. Sinon, ce n’est pas trop contraignant : je nettoie leur poulailler de 12 m2 un peu chaque jour car je veux éviter que cela attire les mouches et de marcher dans leurs fientes. Mes enfants et mon mari m’aident pour leur donner à manger et voir si les poules vont bien, mais pour le nettoyage, j’attends toujours ! »
30 % de nos déchets sont alimentaires
Il est encore trop tôt pour dire si l’opération est réussie. En tous cas, l’engouement rencontré à Barsac a de quoi rabattre le caquet des sceptiques :
« Nous avions tablé sur la vente de 500 poules pondeuses. En fait, il s’en est vendu 1500, s’étonne encore Dominique Cavaillols, premier adjoint et maire par intérim de Barsac. L’engouement est énorme. Tous ont été ravis de la production d’œufs frais, au goût incomparable. Certains laissent même leurs poules entrer dans la maison ! Quelques enfants ont la surprise de découvrir le soir au retour de l’école, les volatiles qui les guettent au portail et ne les quittent plus d’une semelle : de vraies mamans poules ! »
Côté réduction des déchets, les résultats sont là aussi : « Environ 30 % de nos déchets sont d’origine alimentaire, précise le maire intérimaire. Grâce aux composts et aux poules, c’est autant qui ne part pas à l’incinérateur ! Et pour ceux qui ne disposent pas d’un terrain, mais qui sont attirés par l’aventure, nous avons aussi un poulailler municipal, qui comptera 30 poules en juillet, précise l’élu : les habitants apportent leurs déchets tous les mercredis et récupèrent des œufs en échange. »
Barsac poursuit son engagement écologique : commune « zéro pesticides » depuis 10 ans, le petit village de 2100 habitants a adopté six brebis tondeuses, un âne et deux chèvres pour brouter ronces, orties, chardons afin d’entretenir à moindre coût et sans recourir aux herbicides les espaces verts qui recouvrent l’ancienne station d’épuration.
A Bordeaux métropole, ce test grandeur nature qui a coûté 6000 euros environ, sera peut-être poursuivi s’il s’avère être un succès.
« Si les gallinacées ne finissent pas tous en poules au pot », plaisante Dominique Alcala.
Aller plus loin
- Sur Rue89 Bordeaux : l’article sur l’expérience à Podensac
- Le guide pour bien prendre soin de ses poules
- A lire : « Tout pour ma poule » d’Elise Rousseau, éd. Delachaux et Niestlé, 17,90 €.
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