Jeudi 11 juin, lors de l’élection premier secrétaire fédéral du Parti socialiste de Gironde, Chrystel Colmont, maire de Macau, signe la liste d’émargement de Bordeaux Nord. Avec 73 voix en faveur de Thierry Trijoulet, contre 3 à Matthieu Rouveyre, cette section apporte un contingent décisif au candidat mérignacais de la motion A, qui remporte l’élection par 23 voix d’avance – 1216 contre 1193.
Problème : Chrystel Colmont n’a jamais émargé le 11 juin. Elle était retenue au bureau des maires de la communauté de communes Médoc Estuaire, en mairie d’Arsac. L’édile médoquine en atteste dans un courrier signé (réellement…) le 15 juin. Un témoignage de son collègue Dominique Fédieu, maire de Cussac Fort Médoc, confirme la présence de l’élue à cette réunion « jusqu’à 22h30 » (les bureaux de vote étaient ouverts jusqu’à 22H).
Ces pièces, que Rue89 Bordeaux a pu consulter, appuyaient une lettre adressée lundi par les partisans de Matthieu Rouveyre à Laurence Harribey, première secrétaire fédérale adjointe et présidente de la commission de recollement chargée de vérifier la régularité du vote.
« Résultats surprenants »
Assurant que le cas de Chrystel Colmont n’est pas isolé, ils réclament l’invalidation de l’ensemble des votes de la section de Bordeaux Nord. Cela placerait le premier fédéral sortant en tête : c’est ce calcul qui a fondé Matthieu Rouveyre à se déclarer vainqueur dans la nuit de jeudi à vendredi, alors que Thierry Trijoulet venait d’annoncer son élection comme « nouveau patron du PS girondin ».
Le camp Rouveyre fait aussi état de « résultats surprenants », en particulier le score du conseiller municipal bordelais à Bordeaux Nord, où il n’obtient que 3 voix, alors que la motion B, celle des frondeurs du PS, qui soutient le premier fédéral sortant, en avait glané 15.
Mais mardi, Laurence Harribey, par ailleurs soutien déclaré de Thierry Trijoulet, a confirmé l’exactitude du premier dépouillage des voix réalisé jeudi soir, donnant la victoire au premier adjoint de Mérignac. Elle s’en explique à Rue89 Bordeaux :
« Le rôle de la commission, c’était de vérifier à partir des PV et des listes d’émargement si comptage était exact, vu l’étroitesse du résultat. Il était important d’attendre tous les PV, dont certains ont été envoyés par courrier. Que sur 107 sections et 2000 votants on retombe 4 jours après sur le même nombre de suffrage, c’est signe que le boulot avait été fait correctement. Nous contrôlons la forme, sans intervenir sur le fond, qui relève des instances nationales. Les candidats peuvent faire des remarques et des réserves, mais ce n’est pas le rôle de la commission de recollement de juger. J’ai certes noté un certain nombre de choses, dont des erreurs de signature. Mais la jurisprudence est très claire : cela n’annule pas la totalité du vote d’une section. J’ai proposé de retirer une voix à chacun des candidats, puisque rien ne dit pour qui a voté ce faux électeur. En outre, le PV a été signé par les secrétaires de section, y compris par le représentant de M. Rouveyre. »
« On n’est pas chez les Bisounours »
Pas question donc de remettre en cause le vote des militants, poursuit Laurence Harribey, d’autant que des bizarrerie ont eu lieu dans les deux camps.
« Je suis profondément choquée qu’on puisse en arriver à de telles extrémités, estime Andrea Kiss, maire du Haillan et signataire du courrier adressée à Laurence Harribey. De la triche, on en a vu de tous temps et dans tous les camps, on n’est pas chez les Bisounours. Mais là c’est grave, car l’imitation de signature est pénalement répréhensible. »
Le faux et l’usage de faux sont en effet punis de trois ans d’emprisonnement et de 45000 euros d’amende, rappellent en effet dans cette lettre ses signataires. Et si pour l’heure, les partisans de Rouveyre ne semblent pas chauds pour porter l’affaire à Solférino, ils n’excluent pas une action devant la justice civile
« C’est tout juste si ça ne finit pas au tribunal de La Haye », soupire Philippe Dorthe, conseiller régional et départemental, et responsable de la section de Bordeaux Nord.
Isoloir en cuisine
Soutien de la motion A, Philippe Dorthe est accusé de ne pas avoir pourvu d’un isoloir son bureau de vote (« l’isoloir, c’est les cuisines du bar-restaurant de Bacalan où se déroulait le vote », répond-il), et se retrouve mis en cause dans les témoignages produits par les partisans de Matthieu Rouveyre. Il aurait fait pression sur Chrystel Colmont pour l’obliger à voter Thierry Trijoulet, poussant la maire de Macau à ne pas se rendre aux urnes.
« Je savais qu’elle était motion A, et je l’ai appelé plusieurs fois, c’est mon travail, se justifie le conseiller régional. C’est dommage qu’un maire ne vienne pas voter… Quant à la fausse signature, il faut savoir que personne ne connaît madame Colmont à Bordeaux Nord, où elle s’est inscrite lorsqu’elle a rencontré des problèmes avec sa section de Macau, mais ne vient jamais (Rue89 Bordeaux n’est pas parvenu à joindre Chrystel Colmont ce mercredi). De plus, il y avait beaucoup de monde dans le restaurant, et il n’est pas difficile de voter en lieu et place de quelqu’un, car on ne demande jamais les cartes d’identité. »
Philippe Dorthe n’a pas vu qui avait bien pu voter à la place de Chrystel Colmont – « Je suis allé chercher des militants retraités qui ne pouvaient pas se déplacer » – et retourne le soupçon de manipulation contre le camp Rouveyre – « Beaucoup d’éléments laissent penser que l’affaire du faux vote était connue en amont », comme le témoignage de Dominique Fédieu, obtenu dans la nuit du vote.
« Pas question de laisser la Gironde aux frondeurs »
Pour Philippe Dorthe et Gilles Savary, un autre partisan de la motion A, l’origine de la crise se trouve en tous les cas dans l’attitude de Matthieu Rouveyre :
« Quel gâchis et quel scénario curieux, relève le député de Gironde sur sa page Facebook. En refusant, après le vote des motions, une gestion collégiale et partagée de la fédération et en prenant en otage les militants d’un pseudo apolitisme et surtout d’un “tout ou rien” consistant à se présenter au poste de Premier Fédéral sans candidater aux instances fédérales, Matthieu, s’est exclu tout seul du jeu ! »
Les partisans de Matthieu Rouveyre reprochent au camp Trijoulet d’avoir refusé la main tendu et le partage des responsabilités après l’élection de jeudi dernier. Et les motifs sont politiques, assurent-ils :
« La fédération girondine, 5e de France par le nombre d’adhérents, est un enjeu pour Solférino (siège parisien du PS, NDLR), qui a donné des consignes strictes pour passer en force, analysent sous couvert de l’anonymat des militants proches de Rouveyre. S’il ne s’est pas rallié à la motion B (celle des frondeurs, NDLR), Matthieu n’a jamais caché ses engagements à l’aile gauche du parti. Et pas question de laisser la Gironde aux frondeurs. »
La fédération parait en tous cas durablement coupée en deux, et il ne va pas être simple de recoller les morceaux, a fortiori si des recours sont lancés.
« Cet épisode va laisser des cicatrices, estime Andréa Kiss. Je crains qu’un certain nombre de militants ne partent en claquant la porte, ou sur la pointe des pieds. »
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