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Corps et âmes (4) : la vie de Francis tatouée sur sa peau

A Bordeaux, Francis est une figure du quartier Saint-Pierre que l’on remarque par l’impressionnant nombre de tatouages qui couvrent son corps. Les touristes l’interpellent pour une photo ou un selfie sans jamais se douter un instant que, sur sa peau, est écrite l’histoire de sa vie.

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Corps et âmes (4) : la vie de Francis tatouée sur sa peau

« Qui ne connait pas Francis dans le quartier Saint-Pierre ne connaît pas Saint-Pierre ! » affirme-t-on dans la rue du Parlement-Sainte-Catherine. Ce patron d’un restaurant italien, que les clients fréquentent pour ses plats au bon rapport qualité/prix mais aussi pour le « personnage atypique », est réputé pour son bagout et sa gentillesse, mais aussi pour les tatouages qui couvrent sa peau :

« Il n’y a plus de place “con” et pourtant ma vie n’est pas finie hé », dit-il avec son accent du sud-ouest à couper au couteau.

Francis, 68 ans, « branque » de tatouage (WS/Rue89 Bordeaux)

« Anar de chez anar »

Âgé aujourd’hui de 68 ans, Francis est né « dans la commune de Caudéran ». Il a vécu toute sa vie à Bordeaux et se souvient « des voitures qui circulaient rue Saint-Catherine ». A la mort de son père, communiste antifasciste sicilien, il avait à peine 8 ans. Il garde l’image d’ « un homme maigre, tout le temps malade, et affaibli par ses séjours dans les camps de concentration nazis ».

Sa mère, Allemande, a du s’occuper seule de lui, de son frère et de ses deux sœurs « avec la rigueur des pays du Nord ». Francis enchaine alors les études et les cours de gym « jusqu’à l’âge de faire l’armée ». Il concède, avec un brin de fierté, avoir été « un cas » pour ses supérieurs militaires, ajoutant qu’il était devenu « ingérable ».

« Anar de chez anar », Francis ne veut pas « s’emboucaner » avec la vie. Il est « piqué au bonheur » et heureux dès qu’il a mis « un pied hors du lit » :

« Je suis tout simplement content de vivre. Le reste ne m’intéresse pas. La religion et la politique, c’est pas la peine de me tchatcher avec ses conneries. De toute façon, dans la vie, t’es tout seul, et tu n’as pas intérêt à te louper. Le bien, le mal, c’est toi qui te le gère et ce n’est pas aux autres de te dire ce qu’il faut faire. »

Cet ancien videur, qui ne boit pas et ne fume pas, est « amoureux des gens » et explique, comme le lui a appris sa mère, qu’il y a toujours du bien chez quelqu’un :

« Elle me disait : tu prends le meilleur et tu lui laisses sa connerie. »

Tatouer ses idées

Les premiers tatouages de Francis « ont été fait à l’ancienne, à main levée, chez un tatoueur qui soudait ses aiguilles lui-même ». Il s’est fait « taper » d’abord un bras, et puis un autre « pour équilibrer » :

« Je voulais des tatouages symboliques, qui reflètent mes idées. J’ai choisi les motifs d’indiens d’Amérique parce que leur mode de vie était conforme à mes croyances, à ma façon de considérer la nature. »

A l’époque, dans les années 1980, les tatoueurs à Bordeaux se faisaient rares et n’avaient pas pignon sur rue. Il n’existait qu’une vingtaine de boutiques de tatouage dans toute la France (contre plus de 4 000 aujourd’hui) et la mode était aux pin-up, aux flammes et aux motifs chinois. Avec son caractère transgressif, le tatouage a longtemps été associé à la marginalité et à la criminalité.

« On te prenait pour un taulard ! Tu passais pour le méchant alors qu’aujourd’hui même un banquier est tatoué. »

Pour afficher une certaine liberté ou pour défier les tabous, Francis assume tous ses tatouages. Ces dessins indélébiles racontent des événements qui le sont tout autant dans sa vie, comme ce prénom tatoué à l’intérieur du poignet :

« C’est le prénom de ma nana, comme si elle me tenait toujours la main. Depuis on est séparés et je ne le recouvrirai jamais. »

Jusqu’à ce que la mort s’en mêle

Parmi les moments douloureux, c’est la disparition d’un ami qui s’écrira en premier sur la peau de Francis. Incapable d’assister à son enterrement, il a donné rendez-vous à son tatoueur à l’heure de l’incinération du corps. A 15h, ce jour-là, « Ciao Bello » apparaît à l’encre noire sur le bras : « il me sortait toujours ça pour me dire bonjour ! »

Suivra ensuite la mort de sa mère, et puis de son frère. Pour chacun, il empruntera au peuple Maori de la Nouvelle-Zélande les motifs de Ta Moko :

« Ces motifs sont une forme de narration, explique-t-il. J’en ai fait un sur chaque oreille, l’un pour ma mère, l’autre pour mon frère. Les membres des tribus Maori qui portent ces marques sur le visage racontent l’histoire de leurs familles. Ils ont un sens. Il y en a qui se font tatouer des motifs sans se poser de questions et volent l’histoire de famille d’une autre personne. S’ils mettent les pieds là-bas, crois moi qu’ils se font casser la gueule aussitôt ! »

Ce n’est pas seulement ce que reproche Francis à l’envahissante mode actuelle du tatouage :

« Une mode est éphémère mais un tatouage est pour la vie. Il y en a qui se tatouent les mains ou le cou avec un rat ou un crâne, ou carrément des larmes sur la joue, signe fort des prisonniers qui ont commis un crime… Ils ne savent pas ce que ça veut dire mais ils vont bientôt le regretter. »


#Saint-Pierre

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