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Court, moyen et long : les 3 grands crus du FIFIB

L’édition 2015 du Festival international du film indépendant de Bordeaux (FIFIB) vient de s’achever. Retour sur trois réalisations d’auteurs qui ont livré une histoire dans des lieux où ils ont vécu.

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Court, moyen et long : les 3 grands crus du FIFIB

Comment rendre compte de cette dense semaine de programmation fifibienne ? Exercice impossible. Il faut y être allé, avoir pénétré les salles obscures, avoir été tantôt ému tantôt déçu. Ne pas résister pourtant à l’envie de parler de ces 3 films, toutes sélections confondues, pour en dégager, presque par surprise, une ligne conductrice. Dans un environnement omniprésent, parfois familier parfois violent, les réalisateurs ont raconté une histoire qui leur est proche, ont-ils dévoilé avec pudeur lors de la rencontre avec le public.

« Common Moods », 2015. L. Carrera – C. Coupau (DR)

« Common Moods » de Clémentine Coupau

Clémentine Coupau est avant tout plasticienne (diplômée de l’École des beaux-arts de Bordeaux, ville où elle est née) et cela ne peut échapper au regard dans son court métrage présenté lors d’une projection unique dans le cadre de la sélection de films d’artistes du Frac.

Son film est, en premier lieu, une aventure sensorielle, « une esthétique du générique » selon ses propres mots. Dans un grand appartement vide et blanc, six personnages cohabitent durant une journée. Chacun est voué à une activité solitaire : découpage de papier, claquettes, jeu en bois, nettoyage de vitres. Les visages, filmés en gros plans, sont concentrés, les gestes appliqués. Si ce n’est ces bruits de matières, aucune parole échangée. Une expérience que Clémentine Coupau appelle « habiter le silence ».

Au-delà du son, la lumière devient personnage aussi et change d’humeur, naturelle elle inonde l’appartement, puis devient plus intime autour du feu et aveuglante enfin sous les néons. Côté référence, difficile de ne pas penser aux toiles d’Edward Hopper, cette maîtrise du cadre, des lignes, la mince frontière entre l’intérieur et l’extérieur matérialisée par ces grandes baies vitrées découvrant les vertes collines de Taunus en Allemagne, la douceur des images. Malgré tout, là où les personnages du peintre étaient désespérément isolés, ceux de Clémentine Coupau sont subtilement liés, de ce lien indescriptible qui n’a plus besoin d’être dit pour être ressenti. De ce presque rien d’action, elle compose, au-delà d’une œuvre belle à voir et à entendre, un discret mais touchant hommage à l’amitié.

« Souvenirs de la gehenne » (DR)

« Souvenirs de la gehenne » de Thomas Jenkoe

Voici un film qui a une histoire particulière avec le FIFIB, projet lauréat l’an dernier du concours Aquitaine Film Workout organisé en partenariat avec la région. Ce prix, qui défend la jeune création, a permis à Thomas Jenkoe le financement de la post production de son film au sein de structures locales. Soit l’étalonnage lors d’une résidence chez Phileas production et le montage son au Studio Cryogene prod à Bègles.

Dressons les faits maintenant, la ville de Grande-Synthe dans le nord de la France subit les affres d’une crise économique et sociale aux conséquences politiques désastreuses. Ici, dans cette cité anciennement industrielle dont le dernier fleuron Arcelor Mittal est sur le point de fermer, le racisme ne se cache plus et le Front national récolte à chaque élection plus de suffrages qu’à la précédente. C’est dans ce contexte bien gris que Thomas Jenkoe, natif du coin, revient sur une affaire qui avait secoué l’opinion dix ans auparavant.

En 2012, un crime raciste avait couté la vie à un jeune adolescent maghrebin. S’emparant du dossier d’instruction, il met en scène les propos du tueur au moment de son arrestation. En voix off (celle de Thomas Jenkoe), son témoignage brut de décoffrage (âmes sensibles s’abstenir) pas encore passé à la moulinette de la langue de bois. A l’écran, des longs plans fixes de jour comme de nuit sur le désastre architectural de cette ville sortie de terre juste après guerre. Une « ville-champignon », dit Thomas Jenkoe, qu’il filme en 16/9 et cinémascope comme une entité vivante avec ces barres d’immeubles, ces grues, ces chantiers de rénovation, son port maritime.

Ce paysage urbain pour le moins chaotique préfigure la vie des habitants, amenés eux aussi à prendre la parole, regrettant parfois le temps passé d’un mélange des communautés plus serein. Thomas Jenkoe ne justifie rien, n’excuse rien et ne banalise jamais les propos recueillis mais, par la voie du documentaire, il montre une réalité qui nous claque au visage et nous empêche de détourner le regard. Un constat d’urgence prémonitoire, pendant le tournage, un deuxième meurtre a eu lieu… Présenté au Cinéma du réel à Paris (où il a été primé) et au festival du cinéma de Brive, œuvrons pour que ce film soit entendu, il le mérite.

Sortie en salle au printemps 2016.

« Ce sentiment de l’été » de Mikhaël Hers

Après le tendre portrait de groupe de son premier film « Mémory lane », le deuxième film de Mikhaël Hers était pour le moins attendu et l’impatience pour le moins comblée. Un constat partagé par le jury du festival qui lui a attribué le Grand prix le qualifiant d’ « intense, surprenant et libre dans sa narration ».

Changement d’ambiance et des personnages un peu plus âgés, un poil plus mature, une histoire plus dramatique que les hésitations de sa bande de grands ados. Sasha, 30 ans, meurt de façon soudaine, on ne sait pas vraiment de quoi, on ne l’a vu qu’une fois. Mais Sasha est la copine de Laurence et la sœur de Zoé que nous allons accompagner durant trois étés.

Le début d’une longue marche « de l’ombre à la lumière ». Comment continuer à vivre ? Le scénario tient sur une feuille de papier c’est vrai mais peu importe puisque l’esprit est ailleurs. Paris, Berlin, New York la relation que tente de tisser Zoé et Lawrence va dépasser les frontières. Elle va les amener à revenir sur des chemins déjà foulés, des territoires familiers pour l’un ou l’autre… et pour le réalisateur Mikhaël Hers. « Je retrouvais des endroits que j’avais envie de filmer, ils devenaient des personnages à part entière. »

Ainsi va des parcs de Berlin, des toits-terrasses de New-York et Paris ou des montagnes d’Annecy. La lumière se fait diffuse et chaude, les images tournées en super 16mm offrent un grain presque palpable, une matière imparfaite un peu comme la vie qui avance malgré tout. Car on ne se remet jamais d’un deuil, on le porte en nous et parfois, au détour d’une photo ou d’une ancienne chambre d’enfant, on vacille encore. Tout sonne terriblement juste, les mots, les situations, les regards, les silences et les moments volés comme cette partie de frontball dans Manhattan, improvisée au tournage. Le duo Andersen Lies (déjà parfait dans Oslo 31 août) et Judith Chemla fonctionne à merveille et les seconds rôles ne sont pas en reste.

Parvenant à nous rendre intime quelqu’un que l’on n’a pas connu, Mikhaël Hers, parfait équilibriste, échappe à tout mélodrame. Il compose une fois de plus un film solaire et sensible sur le délicat thème de l’absence.

Sortie en salle le 17 février 2016.


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