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Attentats à Paris : pourquoi IL a tiré sur le Carillon

Julien Martin n’est pas seulement journaliste à « L’Obs », il est aussi un habitué de ce café visé par les attentats. Dans ce texte, que Rue89 Bordeaux a voulu partager suite aux événements tragiques, il essaie de comprendre pourquoi Le Carillon a été pris pour cible.

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Attentats à Paris : pourquoi IL a tiré sur le Carillon

Une fleur dans chaque impact de balle sur la devanture du bar-hôtel Le Carillon (DR/L'Obs)
Une fleur dans chaque impact de balle sur la devanture du bar-hôtel Le Carillon (DR/L’Obs)

IL ne connaissait pas les horaires des « happy hours », pourtant affichés en toutes lettres sur les vitres du Carillon : 18h-20h. IL est arrivé avec une heure et demie de retard. De rage, IL a puni ceux qui, plus ponctuels, buvaient leur bière ou sirotaient leur mojito en terrasse à moindres frais. Pour quelle autre raison, sinon ? Comme j’aimerais me poser sérieusement cette question.

En réalité, IL savait très bien où IL allait. On ne saura possiblement jamais s’IL visait le Carillon en particulier. Mais il est difficile de croire qu’IL a choisi ce genre de bar par hasard.

Chacun a son QG. Le mien, c’est le Carillon. Et je crois que je l’aime précisément pour les raisons qui font qu’il le déteste. Ce bar n’a pas de genre. Il est tout et rien à la fois. Il n’est pas trop bourgeois, il n’est pas trop bohème. Il n’est pas très propre, il n’est pas très sale. Il n’est pas à la mode, il n’est pas ringard. Il n’est pas communautaire, il y a toutes les communautés.

C’est pour cela qu’IL a dégainé. En janvier dernier, il fallait être journaliste, juif ou policier pour être tué. Aujourd’hui, tout le monde est menacé. Y compris quand on est musulman, si on ne vit pas comme IL l’entend. La peur doit être généralisée.

Alors, vendredi soir, IL est venu répandre l’effroi. Peut-être étaient-ils plusieurs, mais de ses yeux désormais pleins de larmes, ce responsable du Carillon n’en a vu qu’un :

« IL est descendu de sa voiture et IL a tout canardé. Les gens tombaient, tombaient… »

Au lendemain de l’attaque, sur le trottoir, il y avait du sable. Pour couvrir le sang. Sur la devanture rougeâtre, il y avait de petits autocollants. Pour marquer chaque impact de balle. Dix-sept au total. Il y eut plus de tirs. Mais combien de projectiles sont-ils venus se loger dans les entrailles des clients ? Le décompte morbide faisait état, samedi soir, au Carillon et au Petit Cambodge qui lui fait face, de quinze morts et dix blessés en urgence absolue.

Il y avait aussi des bougies, qui tentaient de résister au vent, et des fleurs, beaucoup de fleurs, des roses blanches le plus souvent. Des dessins, des poèmes, un drapeau tricolore.

Si on fermait les yeux, cependant, si on écoutait, seulement, on pouvait croire que rien n’était arrivé. Au milieu des pleurs silencieux des badauds, des journalistes à la recherche de témoignages, des généreux venus offrir leur sang à l’hôpital voisin, un homme, la soixantaine, gavroche vissée sur le crâne, devise à haute voix.

Il martèle :

« Les musulmans ne sont pas des terroristes, mais les terroristes sont des musulmans. »

Une jeune et grande fille noire le corrige :

« Il n’y a pas que des terroristes musulmans, il y en a de toutes les races ».

Le sexagénaire essaye de se reprendre :

« Bien sûr que l’islam, ce n’est pas que ça, mais il y a des dizaines de milliers de personnes qui aspirent à cet islam-là. Et puis, ils crient ‘Allahou akbar’ ! »

Un autre homme, plus jeune, très bien mis, intervient à son tour :

« Parce qu’ils se revendiquent comme tels, ils seraient de vrais musulmans ? Si je dis ‘shabbat shalom’, est-ce que je deviens juif ?

« Il faut arrêter », tranche une quatrième oratrice, à la voix aussi douce que ferme.

« Ici, c’est un quartier cosmopolite. C’est pour ça qu’ils l’ont visé. »

Dans le populaire et très mélangé dixième arrondissement de Paris, de tels débats, animés mais courtois, sont récurrents. Après les attentats de janvier, on en entendait fréquemment au Carillon. Samedi, on croyait presque que rien n’avait changé. A la différence près que la terrasse était fermée.

La grande terrasse d’angle, cette cible facile, tellement facile. Bondée la semaine, débordée le week-end, au point d’avoir valu plusieurs fermetures administratives à ses gérants. Voilà maintenant que c’est la police judiciaire qui l’ordonne. Sauf que cette fois, ce n’est pas de notre faute. Mais, comme d’habitude, je sais que je reviendrai bientôt y boire des pintes. Malgré LUI.

Ancien journaliste de Rue89, Julien Martin est journaliste à l’Obs


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