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Guerre des yourtes : une victoire au goût amer

La cour d’appel de Bordeaux jugeait ce mardi l’affaire dite des yourtes de Bussière-Boffy. Huit ans après, la loi Alur a précisé le statut juridique de ces habitats alternatifs, mais les sept de Bussière ont démonté leurs tentes. Vivre autrement demeure un combat.

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Guerre des yourtes : une victoire au goût amer

Le procès en appel des yourtes se tenait mardi à Bordeaux (Collectif Yourtes Natures/DR)
Le procès en appel des yourtes se tenait mardi à Bordeaux (Collectif Yourtes Natures/DR)

Ils avaient reçu le soutien de Stéphane Hessel, de Cécile Duflot, de Monseigneur Jacques Gaillot. La ministre du Logement avait reçu à deux reprises des délégués de l’association HALEM (habitants de logements éphémères et mobiles), membre de leur collectif de soutien. Ils ont contribué à ce que la loi ALUR, promulguée en mars 2014, précise enfin le statut juridique de ces habitats alternatifs.

Mardi, « les sept de Bussière » avaient l’air usés. Éreintés par huit ans d’un harcèlement judiciaire qui n’a pour eux plus de sens.

« On a démonté notre yourte, l’espoir d’un autre mode de vie, parce qu’on en pouvait plus… » lâche Tanya Pinney, avec son joli accent anglais.

A ses côtés, son compagnon Stéphane Geny, et sur le banc, Peter et Jenny Bateman, Enriquieta Docampo Peni et son mari Fernando Ciarra hochent la tête en silence. En arrière, Paul Lacoste, membre du « conseil d’animation » de HALEM, croque les magistrats de la cour d’appel, sur un carnet à carreaux.

« Quand il a été élu, le maire avait dit : “il faut nettoyer le village” ; c’est nous qu’il voulait nettoyer » lâche, toujours indigné, Fernando Ciarra.

Le sexagénaire, « au travail dans le BTP depuis [ses] 14 ans », avait accueilli avec sa femme ces nouveaux venus en quête d’une nouvelle terre, d’une nouvelle vie.

Une vie proche de la nature

Le village de Bussière-Boffy, en Haute-Vienne, ne paye pas de mine. 340 habitants, beaucoup de personnes âgées. Pourtant c’est là que Stéphane, Tanya, Jenny et Peter, décident de poser leurs valoches, et de vivre en accord avec eux-même.

Ils rejoignent une petite communauté autour de Sara Chaumet et son mari Alex Bovet, qui fait le tour des écoles locales avec ses marionnettes. Ensemble ils choisissent un mode de vie simple, proche de la nature, loin du confort des villes modernes mais conforme « à celui de 80% des habitants de cette planète » souligne Alex Bovet.

Sara est la première à dresser sa yourte, sur le terrain du couple, en 2006. Une belle « tente », pour loger sa petite famille – le couple compte deux garçons, une fille naîtra l’année suivante. En 2007 les deux autres familles de la communauté font de même.

Les 7 de Bussière et leur comité de soutien mardi au Club de la Presse de Bordeaux (SM/Rue89 Bordeaux)

Les nouveaux venus ne sont pas mal vus dans le village ; ils rendent de petits services, ouvrent une « crèche alternative familiale », reconstruisent des maisons. Les choses se gâtent avec l’arrivée du nouveau maire, Jean-Paul Barrière. Choc des cultures entre l’huissier de justice à la retraite et les héritiers du Larzac.

« Sous couvert d’appliquer la loi, il l’a utilisée pour expulser ces familles, résume Paul Lacoste. Il a fermé la cantine scolaire, l’école. Modifié le PLU pour placer les terrains en zone non constructible… »

Harcèlement

« S’ils sont dans cette situation, c’est qu’ils l’ont voulu, rétorquent le maire et son conseil, maître Raphaël Soltner. Les lois, vous les appliquez ou pas. Si vous grillez un stop trente ans durant et qu’un jour un gendarme vous colle un PV, c’est du harcèlement ? »

La guerre d’usure qu’enclenche l’édile local envers les « indiens » de Bussière y ressemble. Ces derniers savaient que les terrains étaient inconstructibles; c’est pourquoi ils avaient opté pour des yourtes, assimilables à des tentes.

Jean-Paul Barrière prend un arrêté anti-camping, cassé par le tribunal administratif. Puis dépose plainte le 25 mars 2011. Le procureur de la République embraye et ouvre une enquête le 12 avril 2011. En octobre 2012, le tribunal correctionnel de Limoges relaxe les « sept » de Bussière.

Mais la cour d’appel de Limoges les condamne au printemps 2013 au démontage de leurs habitats sous astreintes et avec amendes individuelles. La mobilisation d’un comité de soutien de 350 personnes et la venue des caméras télés n’auront pas inversé le cour de l’histoire.

Délibéré rendu le 12 janvier

Coup de théâtre le 24 février 2015 : la cour de Cassation censure l’arrêt de Limoges. Pour la haute juridiction, les faits sont prescrits : la cour a considéré que la plainte du maire et l’ouverture de l’enquête par le procureur de la République ont été engagées plus de trois ans après ce que la cour considère comme « la fin des travaux d’aménagement des yourtes » : le moment où elles ont accueilli leurs occupants.

La cour d’appel de Bordeaux devrait, le 12 janvier prochain, se conformer à cette analyse, le ministère public ayant demandé la relaxe. Mais pour ceux qui aspiraient à vivre autrement, dans l’habitat de leur choix, cet arrêt vient trop tard. Sur le terrain de Fernando Ciarra il ne reste plus qu’une vague trace à l’emplacement des yourtes, démontées depuis longtemps.

Mardi matin plusieurs élus de la région avaient tenu à manifester leur soutien aux expulsés de Bussière, lors d’une conférence de presse organisée au Club de la Presse de Bordeaux avant le procès.

« Vous ne défendez pas seulement un mode d’habitat, mais aussi une façon d’habiter qui correspond aux solutions durables en phase avec la COP21 », résume Martine Alcorta, vice-présidente EELV de la Région Aquitaine, en charge de l’Habitat. « Je suis sûr que l’avenir vous donnera raison », glisse quant à lui Monseigneur Gaillot.

Avenir toujours contraint

L’avenir, pour les promoteurs d’un mode de vie « en-dehors des sentiers battus », pourrait être dessiné par la loi Alur. Impulsée par l’ex ministre du Logement Cécile Duflot, elle définit pour la première fois le statut juridique de cet ovni urbanistique qu’est la yourte, désormais considérée comme une construction nécessitant une déclaration préalable. Ses décrets d’application sont parues en avril dernier.

Mais le processus de reconnaissance des formes d’habitats alternatifs sera encore long.

« L’habitat choisi est toujours contraint, avoue Paul Lacoste. On doit pouvoir avoir le choix d’accueillir, dans des tentes ou des yourtes, des personnes en difficulté. C’est un choix de solidarité. Alors que la fondation Abbé Pierre révèle une explosion de la précarité dans le logement, qu’un maire stigmatise ses formes d’habitat, de façon si violente, est incompréhensible. On a présenté à Cécile Duflot ces différents cas de figure, cette volonté d’autonomie incarnée par l’habitat mobile, la yourte. Malgré la loi, cela reste compliqué de la faire accepter : il faut passer devant une commission départementale de préservation des espaces agricoles et forestiers, demander un avis favorable, et ensuite obtenir l’accord du préfet. »

Or dans l’affaire de Bussière-Boffy, l’Etat s’est dès le début rangé derrière le maire. Les logements éphémères peuvent être soufflés dès que tourne le vent politique.


#cour d'appel de Bordeaux

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