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Squats à Bordeaux : du bidonville à la « maison du bonheur »

Tandis que l’État rase les bidonvilles sans solution alternative de relogement, les ouvertures de squats se multiplient dans la métropole bordelaise, comme à Barbey ou Blanquefort. Des lieux insalubres qui sont aussi des espaces de solidarité. Par Xavier Ridon et Simon Barthélémy.

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Squats à Bordeaux : du bidonville à la « maison du bonheur »

Le collectif Sherby s'est installé sur un terrain de 4 ha, une maison de 800 m². (XR/Rue89Bordeaux)
Le collectif du Sherby s’est installé sur un terrain de 4 ha, une maison de 800 m² (XR/Rue89Bordeaux)

Un chien est posté à l’entrée, deux voisins viennent de déposer quelques vêtements et les habitants prennent le café au soleil. Une maison comme une autre à Blanquefort… Sauf que ses occupants sont sous le coup d’un avis d’expulsion depuis le début du mois. Si la préfecture affirme ne pas avoir été saisie pour intervenir, le conseil régional espère bien récupérer ses quatre hectares occupés illégalement.

Sur le terrain, dans la bâtisse de 800 m², une vingtaine de personnes se croisent. S’ils ne se connaissaient pas il y a deux mois, désormais ils retapent ensemble le 79 rue de Linas, dans cette commune au nord de la métropole bordelaise. Une partie du bâtiment aurait été construite au XVIe siècle et en dehors des pièces en chantier, « c’est la maison du bonheur » s’enthousiasme Shirley.

Le collectif du Sherby défend le toit comme droit à Blanquefort (XR/Rue89 Bordeaux)

La Blanquefortaise fait partie du collectif du Sherby à l’origine de cette « réquisition citoyenne, plutôt que squat qui fait peur aux gens » explique-t-elle. La maison a vite été aménagée. L’électricité et l’eau sont là. Pour manger, le collectif fait les poubelles des supermarchés, remplies d’invendus.

« Squatteurs intelligents »

Plusieurs chambres et un salon coquet sont ouverts aux quatre vents en ce jeudi après-midi. Deux couples avec enfants habitent déjà ici. Avec son épouse et sa fille, Jesim met ainsi fin à « sept mois de nuits passées entre tente et caravane » explique-t-il. L’Albanais a fait une demande d’asile politique qui lui a été refusée par deux fois.

« Pour l’instant, on a que des réfugiés qui sont installés ici mais le but est d’être ouverts à tous, indique Shirley. Seulement, les familles françaises à la rue se cachent plus. »

Dans la rue, quelques voisins se sont inquiétés de voir deux tentes se planter. Il s’agissait de marcheurs pour la Cop21 en escale pour une nuit dans le jardin et contrairement à l’assimilation faite par le tribunal de Bordeaux, « on n’est pas une Zad [zone à défendre, NDLR] » rassure Eva, membre aussi du collectif. D’autres riverains évoquent d’ailleurs plutôt des « squatteurs intelligents ». Et pour cause signale Shirley :

« On va les voir, on organise des ateliers le dimanche. (…) L’objectif est surtout d’offrir un lieu d’hébergement pour les gens avec ou sans enfants, avec ou sans papiers. On veut offrir un toit, à manger et un accompagnement dans les démarches administratives. On propose des cours d’alphabétisation et un soutien scolaire pour les enfants. On veut les amener vers la vie dont ils rêvent, c’est-à-dire avoir un travail et une vie décente. »

Jesim, très heureux d’avoir enfin un toit, tient d’ailleurs à être pris en photo avec sa famille.

De gauche à droite, Nafia, Ajla et Jesim viennent de Tirana en Albanie (XR/Rue89 Bordeaux)

A l’extérieur, Miguel et David prennent le café. Le premier est un habitué des squats en Espagne, le second découvre avec plaisir cette vie en collectivité :

« Je préfère aider les gens, alors que quand je vais travailler, je n’aide personne. »

« On est prêt à acheter… »

La trêve hivernale ne les met pas à l’abri d’une expulsion car ils sont sans droit ni titre. Le collectif s’en remet à la tolérance. Si les familles affluent et qu’elles sont délogées, il a déjà envisagé un autre bâtiment public – sans en dire plus.

« Mais on est prêt à acheter ici pour un euro symbolique », s’amuse Shirley.

Toujours est-il que sur le mur du salon, tout est prévu : deux numéros de téléphones sont inscrits pour appeler le collectif en urgence si la police se présente.

Sur la métropole, les membres du collectif du Sherby – qui ne dorment pas nécessairement ici – affirment connaitre une trentaine de squats dont « un quart serait tenu par des Espagnols », rigole Shirley.

De la rue de Linas à Blanquefort, jusqu’à la rue Sébastopol à Bègles, où la maison d’un octogénaire est investie par des « libertaires espagnols » selon France Télévisions, en passant par les roms évacués de leur « Sortie 12 » ou encore « L’école est finie », autrement dit le collège inoccupé Aliénor d’Aquitaine cours Barbey à Bordeaux, le squat n’a pas disparu des villes.

Solidarité dans l’errance

Il traduit une forme de « solidarité dans l’errance », estime Morgan Garcia, chargé de mission squats à Médecins du Monde, face aux nombreuses expulsions de bidonvilles roms, bulgares ou sahraouis ces derniers mois.

Ce jeudi, le collectif d’associations intervenant auprès de ces populations dans la métropole, ont dit leur « colère » face à ces expulsions sans solution de relogement.

« Nous avions pourtant obtenu de la préfecture la création d’un groupe de suivi des squats, qui s’est réuni trois fois cette année, explique Brigitte Lopez, du Réseau éducation sans frontière (RESF). Mais depuis le mois de mai, et notre dernière réunion, les expulsions ont repris à qui mieux mieux, et sans que nous en soyons informés. Alors que certaines mairies sont extrêmement mobilisées, comme Floirac qui avait même organisé du transport scolaire pour les enfants, d’autres cherchent à bannir ces populations. Et le préfet se contente d’appliquer sa mission régalienne, sans veiller à l’inclusion des personnes. »

Le collectif du Sherby retape la maison du Conseil Régional à Blanquefort. (XR/Rue89 Bordeaux)

Schizophrénie des pouvoirs publics

Sans effet sur le nombre de squatteurs – 15000 à 20000 en France –, ces expulsions aggravent en revanche les préjugés et la précarité des personnes.

« Ces expulsions sans alternative se font au mépris de l’état de santé des habitants, de l’âge des nouveaux nés, de la scolarité des enfants, de l’intégration professionnelle des adultes, s’indigne Morgan Garcia. Le Squat 12 est emblématique de la schizophrénie des pouvoirs publics : la présence de médiateurs de la métropole montre que les collectivités ont la volonté affichée d’intégrer ces populations. Mais dans le même temps la préfecture détruit les campements et expulse sans motif, puisque la métropole propriétaire du terrain près de la rocade n’a aucun projet d’urbanisation sur ce site. »

Cette politique de fermeté est même « contreproductive », poursuivent les associations. Ainsi, une partie du groupe chassé du Squat 12 à Mérignac est allé s’installer sur un terrain privé à quelques centaines de mètres, et une trentaine de personnes sont parties au Haillan, dans un autre bidonville. Désormais peuplé de 80 à 100 personnes, ce dernier serait « déstabilisé », alors que la municipalité a entamé un travail de scolarisation des enfants, d’installation de bennes à ordures, et demandé l’eau et des toilettes pour les occupants.

Faute de solution d’hébergement pérenne, et le plan hivernal n’y changera rien non plus, les squats tels que le Sherby à Blanquefort sont donc pour les pouvoirs publics un moindre mal, voire une « plus-value intéressante », selon Morgan Garcia :

« Il y a 100 personnes à L’école est finie. Si elles devaient être logées à l’hôtel, à 30 euros la nuit, il est facile de mesurer les économies réalisées. Un démantèlement de bidonville, c’est 125000 euros, avait calculé le collectif PEROU. »


#blanquefort

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