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Le fret à contre-courant sur la Garonne

A part sur les péniches de l’Airbus A380, les bateliers ont quasiment disparu de la Garonne, malgré les engagements du Grenelle de l’environnement d’augmenter le fret fluvial au dépend du transport routier polluant et coûteux. Les Voies navigables de France espèrent relancer une activité viable entre Bordeaux et Toulouse.

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Le fret à contre-courant sur la Garonne

Péniche échouée sur les rives de Garonne face à Langoiran (Xavier Ridon/Rue89 Bordeaux)
Péniche échouée sur les rives de Garonne face à Langoiran (XR/Rue89 Bordeaux)

Bordeaux ne voit plus beaucoup de péniches passer sous le pont de pierre. Alors quand le navire chargé des tronçons de l’Airbus A380 manœuvre sur la Garonne, tous les regards se tournent vers lui. Ce sont ainsi 17 000 à 20 000 tonnes, soit 30 à 35 avions qui vont chaque année de Pauillac à Langon.

A part ça, quasiment plus aucune péniche ne circule sur le canal et sur l’estuaire : en 2014, le fret fluvial représente 130 000 tonnes, soit 1,5% des 8,5 millions de tonnes de marchandises transitant par le Grand port maritime de Bordeaux (GPMB).

Pourtant Voies Navigables de France (VNF) réfute l’idée d’un naufrage du trafic fluvial de marchandises : au contraire, il « résiste et se développe » de façon significative, affirme la communication de l’organisme public.

2001, dernière odyssée sur le canal

En effet, le trafic national a progressé de 30% entre 1997 et 2011, atteignant 8,2 milliards de tonnes-kilomètres et 61,5 millions de tonnes, hors transit rhénan. Près de 4% des transports de marchandises passe aujourd’hui par les fleuves, alors que les barges et péniches avaient touché le fond au début des années 2000.

Une aile d'Airbus A380 dans le Port de la Lune (Patrick Despoix/Wikipedia)
Une aile d’Airbus A380 dans le Port de la Lune (Patrick Despoix/Wikipedia)

La décadence du fret fluvial a commencé dans les années 1970 alors que la route s’imposait partout, grâce aux gains de temps et de productivité qu’elle permettait. Le premier choc pétrolier enfonce le clou. La coopérative des transports fluviaux du Canal du Midi et sa centaine de bateaux met la clé sous la porte le 1er janvier 1980.

« Il y a deux manières de tuer : soit on tire dessus, soit on ne donne plus à bouffer. Or à ce moment les chargeurs se sont tournés vers les camions », explique Jean-Marc Samuel batelier et membre de la Chambre nationale de la batellerie artisanale.

Le fret sur les voies d’eau subsiste grâce au transport de granulats, de denrées alimentaires, de combustibles, de produits pétroliers, de céréales. Mais la dernière péniche de marchandises sur le canal de la Garonne entre Agen et Bordeaux est aperçue… en 2001.

Sur l’estuaire, le trafic fluvial existe mais reste minime. L’île Verte a convoyé ainsi 2300 tonnes de maïs vers Blaye ; 65 000 tonnes d’additif pour biocarburant ont été transféré dans les terminaux pétroliers du GPMB ; ERDF a de manière presque anecdotique acheminé des transformateurs vers les îles de l’estuaire et vers Langon.

Près de deux fois moins cher que la route

Avec le Grenelle de l’environnement en 2009, l’espoir renaît. Un objectif est fixé : d’ici 2022, la part des transports non-routiers et non-aérien doit passer de 14% à 25%. Le ministère de l’écologie, en charge également aux transports, indique en 2013 donner la « priorité aux investissements » pour le fluvial.

Motif : ce mode est deux à quatre fois moins cher que le routier, « sobre » énergétiquement, « vertueux » en matière d’émission de gaz à effet de serre et créateur d’emplois.

Selon Voies navigables de France, avec 12 euros dépensés pour déplacer une tonne de marchandises sur 350 km, la péniche coûte moins cher que le camion (21 euros) et que le train (22 euros). Un convoi de deux péniches chargées de 5000 tonnes de marchandises, consommerait 3,7 fois moins de pétrole que les 250 camions nécessaires pour transporter le même tonnage.

« On repart de zéro »

A se demander donc pourquoi les péniches ont disparu des cours d’eau girondins.

« Ces dernières années, il n’y avait pas de politique incitative, explique Didier Domens, chargé du développement au Port de Bordeaux. Grâce à la prise de conscience des aspects environnementaux, c’est en train de changer. On va vers du transport massifié, donc des tonnages plus importants. »

Mais en attendant, une source à VNF Sud Ouest ne s’en cache pas :

« On repart de zéro, quasiment. »

Depuis un an, la direction territoriale de VNF dans la région examine l’opportunité de relancer un trafic de fret de Toulouse à Bordeaux via la Garonne et le canal parallèle qui débute à Castets-en-Dorthe (Gironde). En septembre, après une série d’études de marché, l’heure est à la recherche d’un modèle économique viable.

Un potentiel de 2 millions de tonnes de marchandises

Selon les estimations des entreprises qui pourraient recourir au trafic fluvial, le potentiel de marchandises pourrait atteindre deux millions de tonnes. Le granulat représenterait 80% des convois complétés par le transport de céréales, de déchets, de chargements pour des chantiers…

Partenaire de l’étude, le Port de Bordeaux a un « œil très attentif et très intéressé », mais part de loin, selon Didier Domens :

« Il faut que le modèle économique soit bien en ligne avec la réalité. VNF n’a pas cette culture du fret, nous non plus si ce n’est l’Airbus. Nous n’avons donc pas de schéma économique et tout est à ré-inventer. »

Le GPMB compte par ailleurs trouver à moyen terme des modes alternatifs de transports sur le fleuve, pour relier les deux rives grâce aux terminaux de Blaye et du Verdon. Ce qui permettrait de capter de nouveau flux venus de la rive droite.

Pour VNF, écotaxe sur les camions serait la bienvenue pour revitaliser le canal parallèle à la Garonne. Mais la vitesse des péniches est aussi un frein. Moins rapide que le camion, elle demande plus de planification : le nombre et la taille des écluses sur le canal peuvent aussi être des motifs de découragement. Impossible en effet de dépasser les 400 tonnes de marchandises, alors que les investissements et les plus gros chargeurs s’intéressent plutôt aux canaux acceptant les plus de 1000 tonnes.

Les voies navigables en France métropolitaine (Conception Cété/Source VNF)
Les voies navigables en France métropolitaine (Conception Cété/Source VNF)

« Le transport, tel qu’il est, est foutu »

Le Tourmente, la péniche de Jean-Marc Samuel, fait partie des petits gabarits. Elle peut contenir 140 tonnes. A l’occasion de la Cop21, elle est partie du Port de la Lune pour rejoindre Paris à l’ouverture de la conférence climat. Pour vanter les mérites écolo du fret fluvial, il a transporté avec lui 1800 bouteilles bio du domaine Emile Grelier installé à Lapouyade (Gironde).

Sur les quais de Seine, il a présenté ce mardi le bilan de ses 15 escales en 78 jours de navigation :

« Il n’y a pas toujours eu foule au bateau, comme à Sète, mais on a retrouvé une attente forte tout du long. Les élus et les gestionnaires se demandent ce qu’ils peuvent faire pour le report modal. Maintenant, le public est acquis à 100% et ne comprend pas pourquoi il n’y a plus de péniches sur les voies d’eau. »

Il espère construire « l’inverse d’une politique nationale » pour contrer les décisions prises nationalement par VNF dont il égratigne les statistiques :

« Il y a une hausse de 30 à 40% depuis des années, mais si on regarde à la loupe le petit gabarit a baissé de 30 % car tous les canaux de liaisons intérieurs sont en train de fermer. VNF a une démarche basique libérale : on va où ça rapporte et donc on massifie. Quand on passe de 250 tonnes à 3000 tonnes [par péniche], on peut baisser les coûts mais c’est une démarche suicidaire car les camions sont obligés de baisser les prix et on en arrive à avoir des camions polonais conduit par des Roumains. C’est mortifère. Et le trafic de conteneurs, ce n’est pas ma tasse de thé. Si le gros n’empêchait pas le petit de vivre, je serais d’accord mais ça n’est pas le cas. »

Ainsi, le marché empêche d’aller vers le mieux-disant environnemental et social. Pas de quoi décourager Jean-Marc Samuel qui depuis son navire de 30 m fait une proposition :

« Dans les marchés publics locaux, il devrait y avoir une obligation de travailler avec la voie d’eau. Le transport, tel qu’il est, est foutu car si on est deux centimes plus cher que l’autre, on n’a pas le marché. »

Parce qu’il y croit, il travaille sur le projet de VNF Sud Ouest et réclame aussi des investissements pour empêcher que 4000 des 6800 km du réseau fluvial ne tombent en désuétude. Il reste toutefois conscient que le fluvial est « plus lourd à mettre en place et ne dégage pas de marge ».

Remettre la flotte à l’eau

Pour favoriser le fluvial, le Grenelle de l’environnement a inscrit quelques grands projets à l’ordre du jour. En 2017 sont attendus les premiers coups de pioches du Canal Seine-Nord, 106 kilomètres pour les grands gabarits entre Cambrai et Compiègne et relier Paris à la Belgique.

Le gouvernement a promis l’arrivée d’un plan d’action pour le fret fluvial en juin 2016 pour remettre à l’eau la flotte existante et augmenter la part du fluvial dans le transports de marchandises.

Dans le Sud Ouest, les Voies navigables de France doivent rendre leur étude de faisabilité en février 2016. Mais les objectifs sont modestes :

« Si on passe de 3% à 10 % dans la part du fret, on sera content », affirme Jean-Marc Samuel.

Objectif modeste et ambitieux à la fois, car il faudra encore du temps : les transporteurs manqueraient dans la région, et la profession de mariniers est à refonder autour du canal des deux mers et de la Gironde.

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