Quand on leur pose la question, ils répondent exactement ce que l’on attend d’eux.
« Ces jeunes posent en général un regard très critique sur ce que la publicité leur propose, par exemple, et même sur les schémas qu’ils observent parfois à la maison. Ils affirment haut et fort : la femme est l’égale de l’homme, ce n’est pas négociable », affirme Emilie Geay, enseignante de Lettres modernes.
Ces jeunes sont les élèves des quatre classes de 6e du collège Edouard-Vaillant, établissement classé Réseau réussite scolaire situé dans les quartiers nord de Bordeaux. Et pourtant, quand il s’agit de coopérer entre filles et garçons, c’est plus compliqué.
Le constat d’un paradoxe
Ne parlons pas de se tenir la main lors d’une séance de sport, ou encore de jouer ensemble dans la cour : il ne faut tout de même pas pousser ! Non, là, on revient aux grands archétypes : il y a les garçons qui savent tirer dans une balle, ceux-là se mettent au centre de l’espace commun. Et puis, sur les marges, il y a les filles, cantonnées dans un espace plus réduit et des activités bien à elles.
De cet écart entre un principe qui fait consensus et une réalité qui le contredit, les enseignants ont décidé de faire quelque chose. De poser un cadre pour faire cheminer les représentations, au sein d’une réflexion plus globale sur la citoyenneté, l’acceptation de l’autre, le respect et la tolérance. Cette année, le Marathon des arts organisé depuis 3 ans grâce à l’appui du metteur en scène Wahid Chakib, qui accompagne l’établissement au titre de l’ALIFS (Association du lien interculturel familial et social), portera donc sur l’égalité entre les filles et les garçons.
Le principal Alain Canot y voit l’opportunité « d’accorder une attention particulière à l’accueil des élèves de 6e, d’appréhender une dimension importante du bien-vivre ensemble et d’établir un lien avec les familles ». Il fait partie de ces personnels d’encadrement qui croient, avec force, à la pédagogie du détour :
« Lorsqu’il y a une dynamique de spectacle, les enfants se transforment », confie-t-il.
De fait, la culture est un axe majeur de l’établissement, engagé dans nombre de projets artistiques et culturels, auxquels contribuent financièrement, selon les cas, la DRAC, le Conseil départemental, avec le soutien indéfectible de l’ALIFS depuis près de 15 ans, en plus des services du rectorat.
Une méthode : la pédagogie du projet
Un travail est engagé durant le temps scolaire en français mais aussi dans d’autres disciplines : sur la base des ressources fournies sur la page Egalité filles-garçons du site académique, on procède à la lecture de textes qui invitent à désigner et questionner les stéréotypes de sexe, et l’on encourage les débats à partir de supports multimédia, on se livre à des montages à partir d’extraits.
C’est alors qu’intervient le metteur en scène : on part des textes, on élabore, on fait des hypothèses. Matchs d’improvisation, travail sur le corps, l’espace. Tous les élèves de la classe participent. On se frôle, on se touche, les représentations tombent peu à peu.
« Le théâtre, ça leur fait du bien, ça les fait grandir, c’est-à-dire : ça fait grandir leurs rêves », constate Wahid Chakib.
À force de fréquenter l’établissement, le metteur en scène fait pour ainsi dire partie des murs. Il a vu passer des générations d’enfants, auxquels il communique toujours le même enthousiasme, le même sens de l’engagement, la même exigence dans le travail aussi.
Aboutissement de 12h de cours avec les enseignant.e.s et de 8h avec le metteur en scène, les enfants ont pu montrer leur travail devant leurs parents. C’était ce jeudi 17 décembre, de 18h30 à 20h, dans l’établissement, au terme d’une déambulation scénarisée avec la rigueur du métronome, et qui a culminé autour d’un immense repas, auquel tous se sont joints pour débattre dans la convivialité.
Ils étaient plus de 200 personnes, avec Emilie Geay et ses collègues, Maxime Ryser, Anne-Catherine Poujol, Pierre Saves et Sophie Sabarots, autour de leur metteur en scène préféré Wahid Chakib, et du principal, lequel contemple, ravi, le chemin parcouru. Tous avaient répondu à l’appel avec enthousiasme, heureux de mesurer les performances artistiques de leurs enfants, heureux aussi de constater que les enfants ne se réduisent pas à des performances scolaires. Car c’est tout l’enjeu aussi : l’enfant, ici, est pris dans sa globalité.
Vers une culture d’établissement
Sur cette thématique, l’établissement ne s’en tient pas à un événement ponctuel. Au sein de l’équipe éducative, un questionnement professionnel significatif conduit plusieurs enseignant.e.s à mettre en œuvre des projets, une dizaine au total, qui ont, peu ou prou, trait à la question de l’égalité entre les filles et les garçons.
C’est, par exemple, le cas de Sarah Rosner, enseignante de Lettres, qui s’empare de la question avec ses élèves de 5e à travers le projet « Genre, on est égaux », accompagné par Edith Maruejouls, géographe du genre, et l’association Le dessous des balançoires. C’est aussi le cas de Séverine Huot, en Lettres également, qui se saisit de cette question avec ses élèves de 4e à travers le projet « Terrain d’entente ».
L’ensemble forme une constellation qui permet au projet d’établissement de construire une culture égalitaire à l’échelle du collège, à l’image d’un autre projet, conduit au sein d’une école primaire cette fois, celui de l’Ecole du Peyrouat de Mont-de-Marsan, titulaire depuis juin 2015, du Prix du projet égalitaire remis par le recteur de l’académie de Bordeaux, M. Olivier Dugrip.
« L’égalité entre les filles et les garçons, c’est l’égalité tout court », répète à l’encan, et depuis 5 ans, Pierre Baylet, directeur de l’Ecole du Peyrouat.
A force de le répéter, on finit par apprendre. C’est-à-dire : saisir, faire sienne une connaissance. Immense vertu de la répétition… et bel apprentissage pour de futurs citoyens !
Sandra Barrère, chargée de mission Egalité filles-garçons auprès du rectorat de l’académie de Bordeaux.
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