Au milieu du Parc des Angéliques, une dizaine d’hommes sont regroupés autour de quelques tentes. Ils sont sahraouis, et ils vivaient en face, sous le pont Saint-Jean, jusqu’à ce que la police les déloge mardi matin.
« On s’y attendait, hier soir la Préfecture a demandé que le camp soit évacué pour ce matin. »
Philippe Dufour est membre du Collectif de soutien aux Sahraouis, qui vient en aide à ces demandeurs d’asile. Il était présent quand la police est intervenue, à 6h30. La Préfecture affirme que « l’opération s’est déroulée dans le calme avec le concours de la direction départementale de la cohésion sociale ». Ce que confirme Philippe Dufour :
« Ils ont eu entre une demi-heure et trois quarts d’heure pour rassembler leurs affaires. L’évacuation s’est passée dans le calme, même s’ils ont un peu joué au chat et à la souris avec la police. »
Mais pour plusieurs Sahraouis, les policiers ont été violents, et les ont empêchés de prendre leurs affaires. Samulay, qui parle espagnol et un peu français, désigne un de ses compagnons, qui a du laisser sa tente face aux engins de chantier. En fin de matinée, ceux-ci continuaient de déblayer au milieu des vêtements, des tables, des fauteuils.
« Le reste du temps, on ne voit jamais les autorités », explique-t-il.
« Pression psychologique »
Les policiers ont également pénétré dans un squat installé dans un hangar désaffecté, non visé par la procédure d’évacuation. L’avis de démolition date de novembre 2014, mais une centaine de personnes occupe les lieux depuis plusieurs mois. Les Sahraouis affirment que les policiers sont entrés dans un bâtiment, ont cassé des portes, et sont partis sans un mot.
« Au départ, le commissaire m’a expliqué qu’il s’agissait d’une erreur, que les policiers ne savaient pas que le squat du hangar ne devait pas être évacué, rapporte Philippe Dufour. Cela fait plusieurs semaines que la police vient tous les mardis, c’est une forme de pression psychologique. »
La Préfecture, elle, dément formellement toute dégradation par les policiers.
Un « hébergement alibi »
La Préfecture affirme que « toutes les personnes évacuées se sont vues proposer une solution d’hébergement soit à Pessac, dans la structure ouverte en septembre pour l’accueil des demandeurs d’asile sahraouis avec le concours des collectivités territoriales, soit sur le dispositif d’hébergement hivernal en faveur des sans abri, géré par le 115 ».
Mais les Sahraouis et les militants ne sont pas convaincus par la proposition. 57 places ont été ouvertes dans le centre d’accueil de Pessac, géré par Emmaüs, et il y en aurait encore suffisamment pour accueillir les 17 personnes recensées avant l’évacuation. Selon le président d’Emmaüs Gironde, Pascal Lafargue, personne ne s’était présenté en fin d’après-midi.
De leur côté, les associations proche des réfugiés mettent en avant le « flou » autour de l’accès à ce centre. Pour elles, aucune solution durable n’a été mise en place.
« On a des informations contradictoires depuis août, affirme Philippe Dufour. Il faut s’inscrire sur une liste pour pouvoir être hébergé dans le centre, mais seules 20 personnes ont été averties qu’elles y avaient droit. C’est un hébergement-alibi, cela permet à la Préfecture de dire qu’elle agit, mais on refuse à certaines personnes l’inscription sur la liste d’accès. »
« L’hébergement de Pessac, c’est une blague de solution » clame Samulay.
Les Saharaouis expliquent qu’ils fréquentent peu le centre d’hébergement notamment parce qu’il n’est ouvert que la nuit, qu’on n’y sert pas de repas, et qu’il est impossible d’y cuisiner. Pascal Lafargue affirme qu’il devrait être aussi ouvert pendant la journée d’ici quelques jours.
Une poignée ont obtenu un statut
Les personnes qui ont trouvé refuge dans le Parc aux Angéliques ou dans le hangar désaffecté sont tous des hommes, plutôt jeunes. Généralement arrivés du Sahara par l’Espagne, réfugiés ou apatrides pour la plupart, ils sont en attente de réponse à des demandes de papiers. Certains sont là depuis plus d’un an, voire deux. Seule une poignée a obtenu un statut.
« Je suis arrivé il y a huit mois, et cela fait huit mois que j’attends une réponse, se lamente Samulay, qui a fait une demande pour obtenir le statut de réfugié. Pour moi, la France, c’est le pays des droits de l’Homme. »
Il a déjà été expulsé de plusieurs camps sur Bordeaux. A chaque fois, pas d’électricité, pas d’eau sauf exception. La situation le préoccupe encore plus en ce moment, avec l’arrivée du froid. Les demandeurs d’asile ont tout juste quelques tentes, quelques vêtements, un peu de nourriture, que les bénévoles leur apportent ou qu’ils achètent. Certains perçoivent l’allocation pour demandeurs d’asile (ADA), gérée par l’Office Français de l’Immigration et de l’Intégration (OFII), mais selon eux de manière très irrégulière.
Pas d’eau, pas d’électricité, la fièvre, les allergies
Dans ces conditions, Samulay explique que ses compagnons sont souvent malades – rhumes, fièvre, allergies… Et pour l’hygiène, c’est aussi compliqué : les toilettes les plus proches se trouvent à plusieurs centaines de mètres, de l’autre côté du pont. Les douches sont encore plus loin, aux Restos du Cœur.
Dans le hangar désaffecté, ce n’est guère mieux : certains Sahraouis entassent leurs maigres possessions (un matelas, quelques vêtements) dans des pièces délabrées. Dans des hangars, les tentes s’accumulent. Ici et là, on trouve un caddie rempli d’objets hétéroclites, parfois une bonbonne de gaz « pour la cuisinière, qu’on arrive à faire fonctionner », détaille Mustapha, 25 ans.
« Je voudrais que les gens viennent ici, et voient à quoi ressemble notre quotidien. Tout ce que nous voulons, ce sont des papiers. Nous demandons de l’aide à la France, mais ensuite, nous voulons l’aider à notre tour : nous sommes jeunes, nous pouvons travailler, nous pouvons être utile. »
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