Retour des peines plancher, durcissement des conditions du regroupement familial et de l’aide médicale d’Etat, ou encore amende de 100 euros aux fumeurs de cannabis… Alain Juppé est il à son tour entraîné par le droitisation présumée des Français, et celle de son parti, Les Républicains ?
Depuis dimanche et un entretien au Journal du dimanche, dans lequel le candidat à la primaire livrait ses principales propositions en matière de sécurité et de justice, certains commentateurs croient en effet voir un « coup de barre à droite » de l’ancien Premier ministre.
Il est vrai que le maire de Bordeaux faisait il y a peu la une des Inrocks en se déclarant pour l’adoption par les couples homos, vantait l’identité heureuse de la France, tandis que la politique consensuelle menée dans sa ville séduit bien au delà de son camp. Quelle mouche l’a donc piqué ?
« Contrairement aux mouvements précédents qui consistaient à envoyer des signaux à l’électorat du centre, comme ses propositions sur l’éducation dans sont précédent livre, ce mouvement vise à ancrer Alain Juppé à droite, estime le politologue Thomas Guénolé. Il a parfaitement identifié le procès en droite complexée instruit par Nicolas Sarkozy et ses lieutenants, méthode déjà utilisée par Copé contre Fillon lors de la bataille pour l’UMP. »
Attendu de pied ferme
Directeur d’études à l’institut de sondages Odoxa, Emile Leclerc estime également que l’ex Premier ministre ne veut pas laisser le monopole de l’autorité à l’ancien hôte de l’Elysée :
« Alain Juppé s’exonére du procès d’intention qui lui est fait par Nicolas Sarkozy sur son laxisme présumé, meurtrier auprès des sympathisants de droite. Certes, il se positionne pour la présidentielle comme rassembleur de tous les Français. Et il est le candidat de droite des sympathisants de gauche, ce qui lui permet d’être très haut dans les sondages – c’est actuellement la seule personnalité que la majorité des Français souhaitent voir se présenter à la présidentielle. Mais ceux qui iront voter à la primaire, ce sont les sympathisants de droite, et ceux-ci sont en attente de fermeté, surtout après les attentats. tout comme la majorité des Français »
Pas de quoi donc s’aliéner pour l’instant l’électorat centriste. D’autant que pour Thomas Guénolé, spécialiste des droites françaises, les « positions sécuritaires » du maire de Bordeaux ne représentent toutefois « ni une rupture ni une transgression par rapport à celles d’autres personnalités de son camps » :
« A part le délit d’entrave à la laïcité, ce qu’il propose n’a rien de nouveau. Et ce n’est en rien une droitisation de sa part. Rappelons tout de même qu’Alain Juppé était Premier ministre en 1996 lorsque Jean-Louis Debré, son ministre de l’Intérieur, a ordonné l’assaut sur l’église Saint-Bernard, à Paris, où étaient réfugiés des sans-papiers. »
Clignotants sécuritaires
Sur le fond, Thomas Guénolé distingue les propositions relevant de « l’effet d’affichage » d’autres « objectivement raisonnables ». Il range dans la première catégorie le durcissement des conditions du regroupement familial :
« Elles sont déjà très strictes, il faut remplir des conditions de ressources et même de surface de logement. Cela ne me semble donc pas correspondre à des besoins réels. On peut en revanche être d’accord pour créer 10000 places de plus dans les prisons, si on considère que les conditions de vie y relèvent d’une catastrophe humanitaire. Mais il en faut davantage à droit pénal constant. Or Alain Juppé veut rétablir les peines plancher, supprimer les réductions automatiques de peine et les peines de substitution (bracelet électronique…) pour les peines supérieures à un an de prison. Ce qui ne fera qu’augmenter la surpopulation carcérale. »
Spécialiste des question de sécurité, le sociologue Laurent Mucchielli estime aussi qu’Alain Juppé « allume des clignotants sécuritaires qui font plaisir à l’électorat de droite traditionnel », sans forcément y croire.
« La population carcérale est à son niveau le plus élevé, et elle a continué à augmenter sous le quinquennat Hollande. On sait pourtant que la prison est plutôt une école du crime qu’une aide à la réinsertion, et même chez Les Républicains, plusieurs parlementaires experts de ces questions en sont conscients. Je suis donc surpris de voir Alain Juppé, qui a une vraie hauteur de vue et un certain pragmatisme, tenir le même discours qu’on pourrait attendre d’un Eric Ciotti. J’ai l’impression d’un retour aux débats de 2002, comme si aucune leçon n’avait été tirée des recherches sur la prison. »
Redéploiement
Par ailleurs, Laurent Mucchielli approuve la proposition d’Alain Juppé de redéployer 4500 policiers et gendarmes sur le terrain, mais il relève que l’ancien Premier ministre n’en tire pas toutes les leçons.
« Dans de grands quartiers ou des petites villes, il n’y a souvent qu’une voiture de police qui tourne, et si il y a deux appels en même temps, elle ne peut en traiter qu’un seul. Nous avons un vrai problème de présence des forces de l’ordre sur la voie publique, et l’une des raisons pointées par Alain Juppé est bien l’importance des procédures administratives, dont il veut les décharger. Il oublie cependant de dire que cela supposera des moyens humains, donc probablement des embauches de civils. Or c’est un gouvernement de droite qui, avec la révision générale des politique publiques (RGPP), est en 2007 à l’origine de la réduction des effectifs de fonctionnaires. Et Les Républicains veulent reconduire cette politique. »
Comment accroitre les capacités régaliennes de l’Etat, tout en réduisant drastiquement son train de vie (Alain Juppé souhaite baisser de 100 milliards d’euros les dépenses de l’Etat) ? C’est la délicate équation à laquelle le candidat à la primaire tentera peut-être de répondre dans son troisième livre programme, sur l’économie. Livraison attendue au printemps.
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