Le revenu médian des ménages est à Bordeaux Métropole d’environ 2 250 euros mois, et le prix moyen des logements est de 3 750 euros le m2. Conséquence : une large majorité (85%) de ses habitants sont dans l’incapacité d’acquérir un logement neuf de 70 m² minimum.
Ce constat d’une « déconnexion des prix de vente des logements avec les capacités financières des ménages » est désormais partagé par les pouvoirs publics et les promoteurs, qui tentent d’y mettre le holà.
« La croissance de la population de la métropole est la 3e la plus forte des 33 agglomérations françaises, a rappelé Alain Juppé, président de Bordeaux Métropole. Le problème c’est que l’offre n’est pas toujours adaptée à la demande… »
Le promoteur bordelais Norbert Fradin en convient :
« Il est nécessaire de baisser les coût de production des logements car on arrive à une forme de désolvabilisation des jeunes qui ne peuvent accéder à la propriété. »
Des objectifs ambitieux
Bordeaux Métropole, 9 bailleurs sociaux et 16 promoteurs immobiliers (dont les plus gros, comme ADIM, la filiale de Vinci, Bouygues Immobilier, Fayat, Pichet…) ont donc signé vendredi dernier à l’hôtel de métropole une charte sur la mise en œuvre des 50000 logements. Piloté par la Fab (la Fabrique de Bordeaux Métropole, une société publique locale), ce programme immobilier le long des axes de transport en commun, vise à répondre à la demande galopante, et à contenir ainsi l’étalement urbain – l’immobilier coûtant trop cher à Bordeaux Métropole, les familles s’installent plus loin en Gironde.
« La profession doit se reconnecter à la demande, c’est aussi dans notre intérêt car une commercialisation trop laborieuse entraîne des coûts plus importants et des risques financiers, précise François-Xavier Trivière, directeur développement du groupe Brémont, une des entreprises signataires. Une telle collaboration public-privé permet d’avancer dans cette direction », poursuit le représentant de ce promoteur, investi avec la Fab dans une opération de 150 logements à Villenave-d’Ornon.
Car sur le papier, la volonté d’encadrer les prix est ambitieuse : les opérateurs (bailleurs et promoteurs) s’engagent à construire au maximum 1/3 de logements à prix libre, destinés à équilibrer le coût de chaque opération, 1/3 de logements locatifs sociaux, et 1/3 de logements en accession à prix maîtrisés, avec un « maximum recherché de 2500 euros/m2 TTC stationnement compris ».
Déjà 10000 logements en chantier
Pour ne pas excéder ce prix, les promoteurs s’ engagent « à se donner pour plafond de référence un prix d’acquisition de 280 euros/m2 de charge foncière moyenne », c’est à dire de surface de plancher, distincte de la surface des terrains. Actuellement, ce prix oscille plutôt entre 300 et 500 euros sur le marché bordelais…
Ces objectifs ne s’appliquent toutefois pas aux opérations déjà lancées. 6 permis de construire ont été accordés – dont la Cité de la gare à Bassens, la Cité des métiers à Pessac et la Résidence du Lac à Bordeaux sont les projets les plus avancés –, 9 sont en cours d’instruction, et 13 projets sont au stade des études pré-opérationnelles, ce qui représente en tout 10000 logements
De plus, « négociée longuement et mot à mot », dixit le maire de Bordeaux, Alain Juppé, la charte laisse le champ libre à diverses interprétations. Elle stipule en effet précisément que les opérateurs « s’engagent à relayer les objectifs de Bordeaux Métropole comme point d’appui pour la négociation avec les propriétaires fonciers en matière de qualité des logements et en matière de programmation », cités plus haut.
« On est pas en URSS »
Suffisamment évasif pour être contourné ? Les signataires sont plutôt optimistes.
« C’est une initiative exemplaire de la part d’une collectivité, estime Imed Robbana, directeur générale du COL (comité ouvrier du logement), une société coopérative qui construit 38 logements à Bassens. Ce ne sera pas comme les Bassins à flot où 80% des logements ont été vendus à des investisseurs, et où les prix se sont envolés, sans être non plus en URSS ! On évitera que dans les secteurs 50000 logements, les propriétaires fonciers ne fassent jouer la concurrence entre les promoteurs et vendent systématiquement aux plus offrants. »
Directeur général de Domofrance, un bailleur social retenu pour deux opérations 50000 logements (à Gradignan et Bègles), François Cornuz, se réjouit aussi de l’intervention publique :
« On subit cette situation de dumping autour du foncier. Même si ça ne fait pas plaisir au marché, il faut être un peu directif pour pouvoir donner des espaces de construction et loger tout le monde. »
Imed Robbana estime parfaitement possible de rester dans les clous des 2500 euros le m2 – « à Bassens, nous sommes à 2300 pour les 38 logements en accession sociale, il ne faut donc pas raconter des conneries ».
Bordeaux « livrée aux promoteurs »
Suivez mon regard… Certains jugent l’ambition de limiter les prix des 50000 logements irréaliste :
« La plupart des promoteurs ne pourront pas atteindre cet objectif de 2500 euros qui ne correspond pas à la réalité de notre métier, c’est une évidence », lâche Alain Ferrasse, président de la Fédération des Promoteurs Immobiliers d’Aquitaine, qui a refusé de signer la Charte. « Il était en revanche difficile pour différents opérateurs de ne pas signer, pour ne pas se mettre en porte-à-faux avec la collectivité », ajoute-t-il.
Non sans souligner qu’on l’accusait souvent d’avoir « livré la ville aux promoteurs », parce qu’il n’a « aucune réticence » à les voir construire, Alain Juppé, président de Bordeaux Métropole, a tenu à placer les professionnels devant leurs responsabilités :
« Beaucoup pensent que ce n’est pas possible mais vous avez signé, considérez que ce sont des objectifs (…). Pourquoi vous faites-vous une si vive concurrence sur les prix du foncier ? Il faut penser aux gens qui cherchent à se loger… »
Les élus prennent cependant des pincettes avec les entreprises de l’immobilier. Un comité partenarial d’évaluation se réunira 2 fois par an. Selon Jacques Mangon, vice-président de la métropole en charge de l’urbanisme, et président de la Fab, « il faudra faire preuve d’imagination et de souplesse » pour atteindre les objectifs de prix et de programmation (« tendre vers, et si possible dépasser 60% de logements locatifs sociaux et de logements en accession à prix maîtrisés »).
Terrain glissant
Traduction : autoriser à certains endroits un peu plus de logements en accession libre pour équilibrer le coût de l’opération. La vente à un prix élevé de l’îlot du concessionnaire Renault, au Bouscat, s’était ainsi soldée par un nombre relativement peu élevé de logements sociaux, ce qui avait alors été critiqué par les élus communistes de la CUB (communauté urbaine de Bordeaux) comme une entorse aux principes des 50000 logements.
Au delà de l’opération, Jacques Mangon veut toutefois croire à son « effet d’entraînement » sur l’ensemble du marché immobilier :
« 10000 logements vont voir le jour prochainement, cela a un certain poids. Il faut ce genre d’engagement pour modérer les prix du foncier, qui s’emballent à Bordeaux. »
A l’origine du programme 50000 logements lorsqu’il présidait la Communauté urbaine de Bordeaux, Vincent Feltesse estime que cette charte « va dans le bon sens mais ne sera pas forcément suffisante » :
« Que les promoteurs signent la charte est déjà une bonne chose. Il faudra cependant être extrêmement vigilant car les entreprises privées ne sont pas là pour défendre l’intérêt général, et c’est bien normal. La puissance publique doit être avec elles dans un rapport de force permanent et aimable, et je crains que les absences d’Alain Juppé pendant les campagnes électorales, la primaire puis peut-être la présidentielle ne nuisent à cela. Par ailleurs, sans politique foncière offensive pour racheter et geler des terrains, on aura de vraies difficultés. »
Le logement s’annonce encore pour longtemps un terrain politiquement glissant.
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