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Ces Bordelais qui écrivent un autre code du travail

Alors qu’une deuxième manifestation pour le retrait de la loi El Khomri s’élance ce jeudi à Bordeaux, le groupe de recherche pour un autre code du travail (GR-Pact), auquel participent deux juristes Bordelais, propose d’alléger le code sans remettre en cause son fondement, la protection du salarié, et d’avancer vers le partage du travail. Entretien croisé.

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Ces Bordelais qui écrivent un autre code du travail

Une vingtaine de chercheurs planchent pour un autre code du travail (XR/Rue89 Bordeaux)
Une vingtaine de chercheurs planche pour un autre code du travail (XR/Rue89 Bordeaux)

Durée du travail, conflits en entreprises, préventions des risques, salaires… Le Code du Travail est pour le moins volumineux avec 2000 pages dont deux tiers de commentaires pour un tiers de loi. Les retouches apportées par le gouvernement à son projet de réforme ne satisfont pas une partie des syndicats qui demandent toujours le retrait pur et simple. Après la manifestation nationale qui a réuni 9000 à 150000 personnes mercredi 9 mars à Bordeaux, le syndicat étudiant Unef appelle à la mobilisation ce jeudi. Dès le matin, les lycéens girondins bloqueront plusieurs de leurs bahuts. Ils retrouveront étudiants, salariés et chômeurs à 12h30 place de la Victoire.

Dans le même temps, un collectif d’une vingtaine de chercheurs planche sur une contre-proposition. Un premier volet a été rendu public sur le temps de travail où partage est le maître-mot. Un blog interactif sera bientôt lancé et une version définitive sera publiée en septembre. D’ici là, ce groupe de recherche pour un autre code du travail (GR-Pact) entend rappeler que le droit du travail n’est pas fait pour créer de l’emploi, mais pour protéger le salarié.

Entretien avec Gilles Auzero et Sébastien Tournaux, juristes, professeurs à l’Université de Bordeaux et membres du GR-Pact.

Rue89 Bordeaux : Quel regard portez-vous sur le projet corrigé de la loi du Travail ?

Gilles Auzero : ll y a des améliorations évidentes, notamment sur les dispositions les plus provocatrices, comme l’abandon du plafonnement des indemnités prud’homales, le forfait-jour qui ne pourra plus être instauré unilatéralement dans les petites entreprises, ou la redéfinition du licenciement économique dans les sociétés internationales. Le nouveau projet de loi continue d’apprécier leur validité uniquement sur le secteur d’activité en France, mais il permet au juge de vérifier qu’il n’y a pas de manœuvres pour mettre une société en difficulté.

Si le gouvernement a corrigé les excès, le texte reste substantiellement à peu près identique. Son principe reste tout de même de donner moins d’appréciation au juge. D’autre part, des dispositifs restent en état, comme celui de faire travailler les salariés 60 heures par semaine [en cas de circonstances exceptionnelles, NDLR], ça me paraît contradictoire avec la volonté de créer de l’emploi. Le compte personnel d’activité est l’arbre qui cache la forêt.

Entre 9000 et 15000 personnes ont défilé à Bordeaux contre la loi Travail. (XR/Rue89 Bordeaux)

« Déni de démocratie »

Sébastien Tournaux : Si on ouvre le code du travail aujourd’hui, il y en a de la flexibilité. Il faut arrêter de penser le contraire ! Le recours au referendum de salariés lorsqu’on n’arrive pas à avoir un accord majoritaire, cela m’énerve aussi profondément. Pourquoi demander à un salarié de se prononcer sur un texte complexe comme un accord de modulation ?

En vérité, ils se sont rendus compte qu’un accord collectif exige la signature de la partie salariale et que certains syndicats ne veulent pas signer. C’est ce qui s’est passé à la Fnac où les syndicats majoritaires ont refusé de signer l’accord pour travailler le dimanche. Le referendum est donc conçu pour contourner les syndicats. C’est un déni de démocratie.

Le mouvement massif de contestation vous a-t-il surpris ?

G.A. : C’est un peu curieux qu’on tape toujours sur les mêmes, les plus faibles, les salariés. Qui doit faire des sacrifices ? Toujours les salariés. On avait annoncé les grandes réformes fiscales, il n’y en a pas eu. Par contre, on balance la grande réforme du code du travail. D’où ce sentiment que ça ne va toujours que dans un certain sens, celui du Medef. Qui pourrait nier ça ? Même sans connaître le droit du travail, les gens s’en rendent compte.

S.T. : Ça faisait longtemps qu’il n’y avait pas eu une telle réaction du peuple sur une réforme du droit du travail. Pourtant, celui-ci est retouché deux à trois fois par an. Mais là, on touche vraiment à des fondamentaux.

Pourquoi votre collectif de recherche veut-il construire un autre code du travail ?

S.T. : Le code du travail est complexe. L’idée est de le rendre plus lisible et plus accessible sans le défigurer, sans déréglementer à tout crin ni créer plus de dérogations. Et au besoin le faire maigrir.

G.A. : On réduit par trois le volume des textes par rapport à ce qui existe aujourd’hui. C’est un élément de simplification notable. (rires)

Cherchez-vous à renforcer les droits des salariés ?

G.A. : L’objectif initial n’était pas d’améliorer les droits des salariés ou des représentants du personnel, sauf lorsque cela nous paraissait opportun de le faire. Il n’y a pas de parti pris idéologique, contrairement au projet de loi El Khomri. Cela donne un résultat plus nuancé que celui du projet gouvernemental. On a déjà publié un projet sur le temps de travail. L’idée n’était pas de mettre à plat les 35h mais de préserver l’emploi.

On n’a pas supprimé toutes les possibilités de dérogations, on permet même aux entreprises dépourvues de représentants du personnel de moduler le temps de travail, ce qui n’est pas extrêmement orienté. Nous ne perdons pas de vue que si le droit du travail est destiné d’abord à protéger le salarié, il doit être souple.

Parmi les 2000 pages, deux tiers ne comprennent que commentaires et dérogations. (XR/Rue89 Bordeaux)

Droit à la déconnexion

Quelles sont vos propositions sur le temps de travail ?

G.A. :  Ce n’est pas en augmentant le temps de travail de ceux déjà en poste qu’on va augmenter l’embauche. Notre idée, c’est qu’il faut partager le travail. Nous n’avons pas inscrit dans notre projet le passage à 32 heures mais la possibilité, par exemple, de conditionner une réduction du temps de travail à une annualisation avec des courbes hautes et des courbes basses, un lissage sur l’année, et des gens travaillant 34, 33 ou 32h en moyenne.

Plutôt que d’abaisser le coût des heures supplémentaires, laissons celui-ci à son niveau actuel – 25 % plus cher pour les 8 premières heures et 50 % pour les suivantes. Faire baisser le coût des heures supplémentaires, ça n’incite pas à l’embauche ! C’est l’un des paradoxes du projet El Khomri : pour favoriser l’embauche, il accroît la durée du travail.

Nous souhaitons aussi assurer un vrai temps libre en garantissant le droit à la déconnexion : après son travail, le salarié ne répond pas à ses mails, éteint son téléphone. Le travail dominical hebdomadaire peut continuer à être fait mais avec des garanties pour les salariés. On a aussi permis le cas échéant d’avoir accès à une sixième semaine de congés payés en échange de la renonciation à certains jours fériés.

Le numérique et l’uberisation de l’économie riment souvent dans les discours avec les mutations du code du travail. Qu’en pensez-vous ?

S.T. : Les entreprises connaissent depuis plus de 30 ans des progrès techniques et informatiques et le droit du travail a toujours su s’adapter. Il y a peu de réglages à faire pour que ces nouveaux modes de consommations économiques puissent être adaptés. Il n’y a pas besoin de tout révolutionner.

G.A. : C’est un vrai problème. On ne le nie pas. Mais ce n’est pas LE problème. Par exemple, sur la distribution de l’information syndicale, l’existence de l’intranet et d’Internet n’empêche pas qu’il y a besoin de distribuer des tracts. Il faut arrêter de penser que le droit du travail doit basculer dans l’ère de la digitalisation, comme si tout le monde travaillait sur ordinateur…

1 million de ruptures de contrat en France par an

L’exemple des pays voisins est souvent utilisé pour inciter à cette réforme…

G.A. : En Angleterre, cela passe par des contrats à zéro heure, des gens qui travaillent au sifflet : une semaine on travaille deux heures et la suivante 35 heures. La courbe de chômage baisse mais il faut voir dans quelle condition. Ça peut être un choix mais bon… Il faut se garder de ces discours à l’emporte-pièce.

Fondamentalement, il faut rappeler que l’objet du droit du travail n’est pas de créer de l’emploi. L’objet du droit du travail est d’encadrer la relation entre un employeur et un salarié, sans qu’il soit un carcan pour l’entreprise mais en gardant l’objectif de protéger le salarié.

Etudiants et lycéens réunis mercredi 9 mars devant l’Université Bordeaux II (XR/Rue89 Bordeaux)

Pourquoi les juristes veulent-ils faire entendre leur voix dans ce débat ?

S.T. : Il y a un grand nombre de lois importantes qui jusqu’à la moitié du XXe siècle ont été rédigées avec l’aide et le soutien de grands professeurs de droits. Aujourd’hui, la loi est technocratique et on le ressent. Elle est écrite par des énarques qui ont fait 20h de droit dans leur cursus et qui croient être juristes. Notre démarche actuelle est innovante et veut poser des règles plus claires et plus simples.

G.A. : Si les juristes rédigeaient le droit, ce ne serait pas pas mal non ? On n’est pas en service commandé mais on veut proposer un autre discours que le discours dominant, cette pensée unique où le droit du travail nuit à l’emploi, ce qui n’a jamais été démontré et sûrement pas par les économistes qui tiennent ce discours et commentent la réforme.  Je suis juriste, je ne prétends pas apprendre la science économique à un économiste… J’entendais un économiste sur France Info qui disait que quand on est marié, on peut divorcer très facilement, en revanche on ne peut pas rompre un contrat de travail… Comment peut-on dire de telles inepties ?

S.T. : Il y a 700000 licenciements et 300000 ruptures conventionnelles par an en France. Donc un million de ruptures de contrats de travail par an. Pas mal dans un pays où c’est impossible…

Quelles autres orientations avez-vous fixé ?

G.A. : Nous allons proposer la création d’un contrat de travail unique. Ce contrat serait globalement un CDI, mais avec un terme établi, et la notion de contrat à durée déterminée disparaîtrait. Ce contrat unique resterait quoiqu’il arrive protecteur du salarié mais simplifierait l’organisation. Lorsque le terme serait échu, on passerait par une procédure de licenciement. Cela existe déjà dans le « contrat de chantier », qui n’existe pas uniquement dans le BTP mais aussi, par exemple, dans des programmes de recherche. On est obligé de respecter une procédure de licenciement avec un entretien préalable, ce qui n’est pas le cas actuellement dans le CDD.

D’autres orientations ne sont pas arrêtées car nous ne sommes pas d’accord. Avec Sébastien Tournaux, nous voulons proposer la création d’un comité d’entreprise à partir de 11 salariés. Aujourd’hui, il est mis en place à partir de 50. Cela entraînerait l’absorption du délégué du personnel mais en prévoyant la dissociation avec le CHSCT [Comité d’hygiène de sécurité et des conditions de travail, NDLR]. Cela ne convainc pas tout le monde. Certains estiment qu’il faut maintenir le délégué du personnel qui est une instance de proximité.

Notre idée est de changer pour simplifier et rendre plus accessible. Il faut avant tout tenir compte de la protection des salariés, mais aussi des attentes légitimes des employeurs qui parfois rejoignent celles des salariés. La lutte des classes existent mais pas dans toutes les entreprises. Parfois, il y a front commun.


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