Rue89 Bordeaux : D’où est venu cet objectif d’éliminer tout déchet de votre vie quotidienne ?
Jérémie Pichon : Depuis le début des années 2000 je suis dans la mouvance de Surfrider, qui organise le ramassage des déchets sur la plage. J’ai fait la même chose en lançant l’ONG Mountain Riders, pour ramasser les mégots et emballages de Pom’Potes à la fonte des neiges, et sensibiliser les locaux et les touristes à ce problème. Après ça, tu te dis logiquement qu’il faut réduire ses déchets. En 15 ans d’engagement militant et associatif, nous avons vécu l’ère de la prise de conscience des problèmes écologiques, du film d’Al Gore au Grenelle de l’environnement. Mais le passage à l’action reste difficile. Alors qu’on était dans une Amap, qu’on consommait local, on n’arrivait pas à réduire la taille de notre poubelle.
Comment avez vous commencé la cure d’amaigrissement ?
En 2014, nous avons vidé notre poubelle dans le jardin pour y retrouver toutes les nuisances quotidiennes, les emballages individuels, les films plastiques et les blisters… Des déchets non recyclables amenés à finir dans un incinérateur ou une décharge, où ils continueront à polluer d’une façon ou d’une autre. On a réalisé que si on n’en voulait plus, il ne fallait plus aller faire nos courses en hypermarché. Nous avons arrêté de consommer industriel, et nous sommes mis à acheter beaucoup de frais, en vrac, en se déplaçant avec nos sacs, nos bouteilles et nos Tupperwares. Avec ma chérie, on a décidé de lancer un blog pour témoigner de notre aventure. On y donne par exemple des recettes, pour fabriquer sa propre lessive ou ses cosmétiques.
« On a galéré pour supprimer l’éponge »
Qu’est ce qui a été le plus difficile à éliminer ou à remplacer ?
On a justement galéré sur les trucs qu’il a fallu fabriquer nous même, par exemple le dentifrice. Les tubes mous, épais, ne se recyclent pas, comme la majorité des plastiques. On a trouvé une recette bio et économique, avec du bicarbonate de soude et de l’argile blanche. Cela a aussi été compliqué de supprimer l’éponge. Nous avons heureusement découvert une sorte de Scotch-Brite végétale à base de citrouille, donc éco-conçue, avec un impact réduit dès le départ. Nous réfléchissons en effet au cycle de vie de chaque produit, de la façon dont ils sont fabriqués à leur élimination. En fabriquant nous même 100% de nos produits d’entretien à base de bicarbonate, de vinaigre blanc et de savon, non seulement on élimine les emballages de Canard WC, Javel, lessives et lave-vaisselle, mais on évite que se retrouve dans l’eau des produits très toxiques.
Que reste-t-il aujourd’hui dans votre poubelle ?
Notre poubelle noire reçoit désormais une vingtaine de kilos par an, et on est encore en train de réduire. Notre sac actuel a été mis à Noël ! Dedans, on y trouve des résidus d’aspirateurs, imputrescibles donc qu’on ne peut pas mettre au compost, des petites trucs cassés comme les jouets de nos enfants ou des couverts de salade en plastique – on les a remplacé par des cuillères en bois recyclables. Il y a aussi des papiers de bonbons de nos gamins, Mali (7 ans), et Dia (5 ans)…
Vos enfants ne se sentent ils pas trop en décalage par rapport à leurs copains qui ont droit à des compotes à boire ou autres friandises industrielles ?
Un autre effet bénéfique du zéro déchet, c’est de retrouver le goût des aliments. Entre les goûters de supermarché et nos muffins et nos compotes poire-banane maison, il n’y a pas photo : les gamins adorent, et les cookies de la famille zéro déchets sont très réputés chez leurs copains ! Et on leur a passé des petits sacs en tissus pour s’acheter des bonbons en vrac. Ils réduisent ainsi leurs déchets, mais reviennent toujours avec des sucettes et autres confiseries industrielles des anniversaires à l’école. Cela fait partie des dommages collatéraux : nous vivons dans une société, et tant que celle-ci tourne avec des déchets, nous en rapporterons à la maison. Nous ne sommes pas jusqu’au-boutiste, on n’arrivera jamais à réduire de 100%. 95% c’est déjà ça.
20 à 30% d’économies
Mais cela exige beaucoup de temps…
Cela demande de repenser son temps. Gagner de l’argent afin de pouvoir consommer, ça prend du temps. Or nous avons drastiquement réduit notre consommation : nous ne dépensons plus que 150 euros par semaine pour vivre à 4, tout compris ! Ayant des revenus modestes, on dépensait déjà assez peu, et on a encore fait 20 à 30% d’économies depuis qu’on s’est lancé dans la démarche zéro déchet. Un effet bénéfique qu’on sous-estimait beaucoup au départ. Le dentifrice, par exemple, nous revient à 10 centimes le pot, contre 3 euros le tube en grande surface. Et on gaspille beaucoup moins que quelqu’un qui a l’habitude d’aller en hypermarché : on achète toujours la juste quantité, et on n’a pas à se soucier des dates de péremption, qui sont juste de l’obsolescence programmée alimentaire. Le temps qu’on ne passe plus à faire nos courses le samedi, parce qu’on se fait livrer notre panier bio commandé sur Internet, on l’utilise pour faire plein de chose, notamment cuisiner…
Sur quoi butez vous encore ?
On n’arrive pas se passer de deux produits recyclables, mais au prix selon moi d’un véritable gâchis. Nous sommes assez amateurs de vin, et on se retrouve vite avec des dizaines de bouteilles qui vont être cassées et fondues pour refaire du verre. A l’ère du changement climatique, c’est d’une débilité sans nom, causée par l’abandon de la consigne, au profit du business de l’industrie du verre. Et nous n’avons pas de vignerons ou de caves chez qui on pourrait acheter du vin en vrac. Idem pour les tétra briks de lait de mon fiston : il n’y a pas de fournisseur de lait en vrac dans les Landes, ni de production locale. Et ces bricks doivent traverser la France pour être recyclées. On doit faire attention aux déchets cachés des produits.
Iceberg
Les déchets cachés… C’est à dire ?
Les 390 kilos de déchets ménagers par an et par habitant dont parle l’Ademe ne sont que la partie émergée de l’iceberg. Si on ajoute les produits jetés en déchetterie, on passe à 590 kilos. Avec les déchets du BTP et de l’agriculture, on arrive à 13,8 tonnes. Et comme la plupart des produits viennent de l’étranger, l’ensemble des déchets liés à ce que nous consommons représente 50 tonnes par an et par habitants ! Une brosse à dents, par exemple, c’est 1,5 kilos de déchets cachés, liés à l’extraction du pétrole pour fabriquer le plastique et l’énergie nécessaire pour la fabriquer et la transporter. Un ordinateur, c’est 1,5 tonnes ! Nous avons délocalisé notre impact dans des pays où l’on se fiche des impacts sur l’environnement.
Mais vous utilisez bien des brosses à dents et des ordinateurs…
Oui, des brosses à dent en bambous en poils naturels, que l’on trouve chez Biocoop, pour lesquels on peut envisager une fin de vie vertueuse, en compostage.
Mais il nous reste 3 gros produits qui font que notre empreinte écologique reste à 2,6 hectares, alors qu’elle devrait être de 1,7 ha pour être vraiment durable : l’ordinateur, le téléphone et la voiture, trois objets pour lesquels nous n’avons pas encore de solution. On vit à la campagne, il pleut un jour sur deux, et la collectivité de nous propose pas de transports en commun efficaces, difficile de se passer d’une voiture.
Mon téléphone est d’occasion, revenu sur le circuit après une réparation, tout comme mon ordinateur, qui a 6 ans maintenant. On peut espérer des offres équitables et produites en France seront bientôt proposées pour les ordinateurs, à l’image du Fair Phone.
Jusqu’à quel point consommez vous autrement ?
On se chauffe au bois, nous avons Enercoop comme fournisseur d’électricité, et aucun produit électronique laissé en veille. Et nous avons renoncé à l’avion : cet été, on voyagera en Europe, en camping car.
« Responsabiliser les gens »
Comment ces choix sont ils perçus autour de vous ?
On va à l’inverse des codes sociaux les plus répandus, mais une fois que tu as expliqué à ton commerçant pourquoi tu refuses sa poche et ses papiers d’emballage, c’est très bien perçu. Derrière chaque personne tu as un amoureux de la nature, un cueilleur de champignon, une mère ou un grand-père. Si je dis que je ne veux pas de sac plastique parce que ça tue les tortues, après la relation est plus directe. Aujourd’hui, pour la fromagère, ma femme est la dame aux petites boîtes, et moi je passe ¾ d’heures à discuter avec mon boucher, un militant dans l’âme. En outre, ils réalisent qu’ils font eux aussi des économies : les pot en plastique de la fromagère pour la crème fraiche, c’est de la matière première qui coute cher. Sans compter bien sûr que relocaliser la production et la consommation crée beaucoup plus d’emplois.
Donc vous tentez de convertir les autres…
On ne cherche pas à culpabiliser les gens, mais à les responsabiliser. C’est nous, consommateurs, qui sommes responsables, et capables de changer ou pas le système. A l’image du succès du film Demain (César du meilleur documentaire NDLR), que nous avons diffusé avec les Colibris, un réseau que j’anime dans les Landes, on sent un élan vers l’action. Il y a 10 ans, on se faisait ramassait quand on parlait de lien entre l’environnement et les cancers. Aujourd’hui, « Cash Investigation » sur les pesticides fait 3 millions de téléspectateurs en prime time. Et notre livre est à peine sorti qu’il est déjà en réédition. Parce qu’on donne une méthode simple, qui même si elle est parfois complexe à mettre en pratique, permet de repenser son quotidien.
Mais avec quelles traductions collectives, ou politiques ?
Au niveau local, nous avons créé des groupes de travail, en bénévolat, sur des jardins partagés, la création d’un SEL (système d’échange local), d’une monnaie locale, d’un écohameau. Cela représente 80 personnes actives pour relocaliser les activités et faire la transition écologique au niveau territorial, comme le zéro déchet est une transition au niveau individuel et familial. On ne comprend pas que le plus gros projet des collectivités locales soit la création d’un Auchan Atlantisud de plus de 33000 m2. Cela va nous coûter des millions d’argent public pour le desservir, alors qu’on pourrait créer une menuiserie utilisant le pin des Landes, plutôt que d’aller chez Ikea. Il y a trop de choses qu’on ne peut pas acheter car elles ne sont pas produites localement.
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