Rue89 Bordeaux : Quel est le sujet d’ « 1 heure 23’ 14’’ et 7 centièmes » ?
Jacques Gamblin : C’est une pièce pour deux personnages dont l’un est interprété par un danseur contemporain, Bastien Lefèvre, et l’autre son coach, que j’incarne. C’est comme si le public assistait à une répétition ou à un entrainement privé. On utilise en effet les mots du sport, les mouvements, la sueur… Mais bien que les rapports entre les deux hommes soient concrets et vivaces, on n’est pas dans le documentaire. Ce qui nous intéressait, c’était de trouver une forme de décalage, et de proposer des notes variées touchant au burlesque, à l’humour, mais aussi à des choses plus psychologiques, conflictuelles. Leur relation passe par toutes les couleurs de l’arc en ciel. C’est parfois très dur, parfois plein de bienveillance. Le but n’est pas tant la performance que de faire grandir quelqu’un et de le rendre autonome
Si je précise tout ça c’est que les gens ont peuvent avoir l’impression d’aller voir une pièce sur le sport. C’est un point de départ, mais pas d’arrivée ; on souhaite parler plus généralement de la transmission et de la relation, dans tout ce qu’elle a de riche et variée, entre deux personnes quand elles travaillent ensemble depuis des années. Comment un personnage comme le mien continue à apprendre, car on n’apprend jamais autant sur soi-même que quand on apprend aux autres, et comment, en vieillissant, il va prendre le large et laisser la place à ce jeune.
Comment est née cette pièce ?
Lorsque nous avons joué pendant 4 saisons notre spectacle précédent, « Tout est normal mon cœur scintille », Bastien Lefèvre m’a proposé cette idée, qui nous permettait de raconter notre histoire. On s’est servi de notre expérience dans le sport, qu’on a l’un et l’autre beaucoup pratiqué – j’ai fait beaucoup d’athlétisme, du 400 m haies notamment, dans mon club de Granville. Et on s’est documenté, en participant aux Etoiles du sport. On avait même engagé quelqu’un qui a fait des prises de son dans des clubs à Bordeaux et nous envoyait des tas de CD de bruits et d’ambiance, dont on s’est nourri pour écrire notre affaire à nous. Ensuite nous avons réalisé des heures d’improvisations filmées, dont on a gardé le meilleur. Ce spectacle évolue d’ailleurs toujours : quand une idée nous vient, on l’intègre, ou on l’enlève. Quand on passera à Bordeaux, nous en serons à la 74ème représentation, et il n’aura jamais été tout à fait identique d’un soir à l’autre.
J’aime ces spectacles un peu atypiques qui associent le théâtre à une autre forme artistique, la danse, le sport, ou le jazz, comme la pièce que je joue actuellement sur le jazz, avec Laurent de Wilde au piano. J’ai une autre création en train de voir le jour à partir d’une correspondance avec le skipper Thomas Coville lors d’une tentative de tour du monde à la voile en solitaire. J’aime bien tenir ces challenges, qui sortent des narrations régulières.
« Ne jamais oublier l’enfant qui joue en soi »
Quels points communs voyez-vous entre le sport et les arts de la scène ?
Il y en a beaucoup : les loges et les vestiaires, la durée d’une compétition et celle d’un spectacle, la pression que cela engendre en amont et les pensées parasites dont il faut se débarrasser avant le coup de pétard, etc. Le sport exige désormais tout un travail mental, qui peut occuper 50% de la préparation. C’est vrai entre le sport et la prestation artistique, ça l’est aussi dans des tas d’autres domaines. N’importe quel apprenti boulanger à qui son patron demande de faire sa première baguette se doit d’être à la hauteur de ce qui lui a été transmis. C’est parfois très dur, mais on se souvient du bourrage de crâne qu’on a tous connu à l’école, comme de l’enseignant qui nous a un jour apporté une ouverture d’esprit.
Vous disiez que le but principal n’est pas la performance, celle-ci est tout de même omniprésente aujourd’hui dans le sport…
Il y a une phrase dans le spectacle que j’ai piqué à Ophélie David, plusieurs fois championne du monde de ski cross : « Il ne faut jamais oublier l’enfant qui joue en soi ». Quand on met trop d’enjeu, dès que l’on veut trop quelque chose, cela crée une tension physique et cela devient nuisible et nocif. Cela doit rester un plaisir. Même dans des métiers passion comme les nôtres, il ne faut jamais oublier ça, la légèreté dans la façon de le faire. Garder cette notion de jeu, c’est fondamental, car cela induit la capacité à accepter l’échec : si l’on veut trop quelque chose, on se récupèrera moins facilement d’une déception. C’est plus nourrissant de se dire « je vais tenter l’impossible » que de se dire « je vais réussir » : cela met moins de pression sur les épaules, et cela permet d’admettre qu’il faut parfois recommencer.
Y aller
1 heure 23’ 14’’ et 7 centièmes : les 22 et 23 mars au Carré de Saint-Médard en Jalles. Tarifs : de 23 à 32 euros
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