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Livre jeunesse : l’Édune a 10 ans, mais encore des tourments

À la tête d’une maison d’édition indépendante de livres jeunesse depuis 2006 à Andernos, Philippe Lesgourgues publie des ouvrages qui font réfléchir et provoquent la discussion. 66 albums plus tard, confronté à des difficultés financières récurrentes, il n’est pas sûr de pouvoir poursuivre l’aventure bien longtemps. Rencontre à l’occasion de l’Escale du Livre, les 1, 2 et 3 avril à Bordeaux.

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Livre jeunesse : l’Édune a 10 ans, mais encore des tourments

Philippe Lesgourgues, le créateur des éditions L'Édune à Andernos (AC/Rue89 Bordeaux)
Philippe Lesgourgues, le créateur des éditions L’Édune à Andernos (AC/Rue89 Bordeaux)

Dix ans ont passé et les éditions l’Édune, au parcours pourtant jalonné de très belles publications, ne sont toujours pas rentables. « Aujourd’hui, il nous faudrait vraiment un gros succès pour continuer », confie le fondateur Philippe Lesgourgues, jeune sexagénaire pas du tout pressé de prendre sa retraite.

Tout est relatif : pour un éditeur indépendant tel que lui, un « gros succès » pourrait être modestement atteint avec 2 500 exemplaires vendus. L’une des nouveautés du catalogue connaîtra-t-elle ce destin de « bestseller indé » ? Impossible à deviner.

Lorsque l’aventure commence en 2006, Philippe Lesgourgues connaît déjà le livre – l’objet – comme sa poche. De formation scientifique, il s’est retrouvé dans les années 80, après déjà deux ou trois reconversions professionnelles, embauché dans une maison d’éditions toulousaine pour en gérer le parc informatique.

Passé ensuite au contrôle de la saisie des manuscrits, il en vient à travailler dans une imprimerie, puis se forme sur le tas aux logiciels de mise en page et de composition. Il propose alors ses services à de nombreuses maisons d’édition qui ne sont pas encore équipées en interne pour faire de la publication assistée par ordinateur, et travaille à son compte depuis chez lui.

Un nouveau Bassin de vie

Andernos est l’étape suivante. « Quitte à travailler à domicile, autant le faire dans un bel environnement, loin des grandes villes », réalise ce Bordelais de naissance qui choisit de s’installer avec sa famille sur le Bassin d’Arcachon. Philippe exerce ses fonctions de metteur en page pendant encore une dizaine d’années avant de ressentir le besoin de « passer à autre chose ». Il songe à ouvrir une librairie mais prend vite conscience que ce métier très spécifique nécessite une formation qu’il ne possède pas.

L’édition finit par s’imposer naturellement, le secteur de la jeunesse également :

« À l’époque, j’étais bénévole dans une association de soutien scolaire et mon épouse accompagnait régulièrement des enfants et des jeunes à la médiathèque. L’idée nous est venue de faire des livres pour enfants. »

Le premier ouvrage édité leur est apporté sur un plateau par Jean-Marc Lapouméroulie, dit Lapoum’, instituteur dans le Blayais, organisateur du salon du livre de Blaye et auteur du Journal de Maxime, une histoire déjà publiée une première fois en 1992 et dont il a, depuis, récupéré les droits. Une illustratrice est sollicitée et le livre renaît, aux toutes nouvelles éditions l’Édune.

Des livres sensibles et originaux

Philippe Lesgourgues a choisi de se consacrer aux histoires qui font réfléchir et abordent en profondeur des sujets rarement traités dans la littérature jeunesse, comme la maladie, la société de consommation, les luttes sociales, la religion… Les livres seulement « distrayants » ne sont pas absents du catalogue, mais il faut qu’ils explorent de nouvelles formes narratives et fassent preuve d’audace pour y trouver leur place.

Le héros de L’Oiseau et la bille est un enfant atteint du cancer (DR)

Est-ce ce positionnement particulier qui a empêché la petite maison d’édition girondine de trouver son équilibre financier ? Peut-être en partie, et Philippe Lesgourgues concède qu’il a aussi pu faire des erreurs dans sa façon de mener la barque ces dix dernières années, mais il semble surtout difficile pour un petit éditeur indépendant de survivre dans la cour des grands.

« En librairie, la profusion actuelle de titres pose problème, explique Philippe Lesgourgues. Un livre doit se vendre tout de suite, sinon les libraires le renvoient au bout de trois mois pour faire de la place, ils ne peuvent pas stocker tout ce qu’ils reçoivent. Cela rend primordial le rôle des diffuseurs qui promeuvent les livres auprès des libraires. Or nous avons fait un mauvais choix dans ce domaine par le passé. »

Augmenter la marge

Autre difficulté pour un petit éditeur : gérer ses propres stocks. Les éditions l’Édune lancent en général un livre à 1 200 exemplaires et ne se permettent ensuite de le réimprimer dans la même quantité que si la demande est suffisante :

« Si on n’en imprime que 200, cela s’avère trop coûteux et on ne fait plus aucune marge. »

Certains livres se retrouvent ainsi, malgré leur qualité indubitable et le désir de certains lecteurs ou libraires, dans des limbes desquels la maison d’édition ne peut se permettre de les tirer.

L’équilibre financier très précaire des éditions l’Édune ne les a pas empêchées de donner naissance, ces dix dernières années, à des ouvrages remarquables, succès d’estime incontestés. La collection L’ABéCéDaire a ainsi réuni une vingtaine d’illustrateurs talentueux sous la houlette de l’un des plus réputés d’entre eux, Régis Lejonc, chacun se voyant attribuer une lettre (parfois deux) avec pour mission d’illustrer, sur 48 pages, une série de mots que les lecteurs doivent deviner.

Paradiso, de Franck Prévot et Carole Chaix, est le plus gros succès des éditions l’Édune (DR)

Autre aventure collective, l’album Lumières, l’encyclopédie revisitée, dévoile le talent et la fantaisie de onze illustrateurs qui se sont amusés à réinventer des planches de l’encyclopédie de Diderot, le facétieux Franck Prévot se chargeant d’instiller son humour dans les textes d’accompagnement.

Ce dernier était déjà l’une des clés du succès de Paradiso, l’album que les éditions l’Édune ont le mieux vendu à ce jour (3 800 exemplaires), illustré par Carole Chaix, artiste complète capable de donner vie à ses images grâce à ses habiles mélanges de techniques et de supports.

Des arbres, un loup, un radis

Au rayon des nouveautés, on trouve actuellement trois albums très différents les uns des autres : J’ai planté un arbre en montagne, traduit du japonais, a été écrit par un ostréiculteur, Shigeatsu Hatakeyama, soucieux d’expliquer aux enfants l’interdépendance des écosystèmes, de la forêt des montagnes jusqu’à la mer.

Bien moins sérieux, Henri le radis, de Simon Mitteault et Johann Guyot, n’a d’autre ambition que de nous faire rire en nous entraînant sur les traces de son héros bien décidé à quitter le potager pour parcourir le monde. Quant à Histoire du loup qui dévorait les histoires, d’Anne Jonas et Brunella Baldi, voilà un conte qui saura surprendre les enfants avec son loup dont on découvre, enfin, ce qui l’a rendu si méchant.

Une rencontre avec les éditions l’Édune est organisée à l’Escale du Livre de Bordeaux samedi 2 avril à 14h.


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