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Loi Travail : les pavés ou la plage ?

La mobilisation ne faiblit pas, ou à peine. Avec 3000 à 7000 personnes ce jeudi dans les rues de Bordeaux (selon la police ou les organisateurs), le mouvement reste fort. Mais que va-t-il advenir avec les vacances d’été ? Témoignages.

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Loi Travail : les pavés ou la plage ?

(Xavier Ridon/Rue89 Bordeaux)
Si Philippe Martinez n’a finalement pu venir, Myriam El Khomri était presque présente à Bordeaux. (XR/Rue89 Bordeaux)

Le message était clair : il ne fallait aucun débordement. Suite aux velléités gouvernementales d’interdire les manifestations, les organisateurs ont mis leur service d’ordre en ordre de bataille. Pour ne pas se faire déborder, une ficelle est tirée pour assurer que la banderole intersyndicale reste bien la tête du cortège. « C’est un gag. Il n’y a jamais eu de violences à Bordeaux. On ne devrait pas rentrer dans ce jeu », commente amèrement une syndicaliste.

Devant, les manifestants crient des « Tout le monde déteste la loi Travail » et des « ni amendable, ni négociable » bien que le patron de la CGT Philippe Martinez ne veuille plus qu’en changer « la colonne vertébrale ». Plus loin, on chante « Allez retrait de la loi » sur l’air d’ « Allez venez Milord » de Piaf. Une banderole « Qu’est-ce tu fait pour les vacances ? » (sic) pose la question du mouvement à l’heure estivale.

Ce qui n’était pas prévu, c’est que la préfecture change le parcours en dernière minute. Le point d’arrivée n’est plus la place de la Comédie. Arrivé par les quais, le défilé se trouve stoppé cours du Chapeau-Rouge. Obligé de revenir sur ses pas, il est coincé place Jean-Jaurès entouré par des cordons de gendarmes et policiers. Pour en sortir, pas le choix, il faut se faire contrôler son sac et afficher sa carte d’identité.

A 15h, quand Rue89 Bordeaux est le dernier à sortir de la nasse, le cortège est dissous. Quelques coups de matraques ont été donnés, aucun lacrymogène lancé, aucune arrestation pratiquée. Dans le cortège, chacun partage son avis sur la suite possible du mouvement.

Bernard Brot, CGT Afpa (XR/Rue89 Bordeaux)

Bernard Brot, formateur, CGT Afpa : « La mobilisation va baisser mais on ne sait jamais »

« Je ne m’attendais pas voir autant de monde. Ils ont énervé les gens. Ça se voit. Il y a des syndicats qui n’étaient pas dans la lutte qui sont entrain de craquer : l’Unsa, la CGC. Avec l’été, la mobilisation va baisser mais on ne sait jamais car en juillet les gens sont au taf. Même si la loi est votée, il y a un mouvement. Il y a quelque chose qui est entrain de se préparer, même si nous-même on n’arrive pas à distinguer encore ce qui se passe. Le patronat sent que c’est entrain de péter dans les boites. »

Laurena, étudiante (XR/Rue89 Bordeaux)

Laurena, étudiante en sociologie, membre du collectif de lutte 33 : « On leur fait peur »

« On n’a pas beaucoup crié cette fois-ci et là on se fait bloquer par les policiers. Pour sortir, il faut montrer les sacs. Les autorités sont de plus en plus ridicules quand elles disent à Paris qu’il faut organiser un rassemblement statique. Ils sont obligés de réagir comme ça car on leur fait peur. Je vais rentrer à Bayonne pendant les vacances, mais il y aussi un collectif de lutte qui s’appelle “Jusqu’au retrait”. »

Clément, aide-soignant (XR/Rue89 Bordeaux)

Clément, aide-soignant, non-syndiqué : « Aller à la plage plus souvent »

« Je manifeste mais je suis de repos. Avec mon salaire, je ne pourrais pas sinon. Je touche 1240 euros. Je manifeste contre la loi Travail et ce système capitaliste qui touche aussi le social. Dans certains Ehpad, le patient paie 3500 euros pour une douche par mois. Chaque jour, j’ai 3h pour 20 patients. Si vous comptez, ça fait 5 à 10 minutes par patient. C’est proche de la maltraitance. J’essaie d’en faire prendre conscience les autres aides-soignants.

Je fais aussi du théâtre et des vidéos sur Internet. Il ne faut pas être vulgaire mais faire dans la simplicité. Avec ma pancarte, des gens viennent me voir pour me demander ce que j’ai à proposer. Je n’ai pas beaucoup à proposer mais je veux dire qu’on a des lois qui nous enfoncent plus bas que terre et qui aident ceux en haut de l’échelle. Je travaille tout l’été, mais les jours de repos, je viendrai dans la rue plutôt que d’aller à la plage… Ça pourrait peut-être me permettre d’aller à la plage plus souvent… »

Stéphanie, Sud Education (XR/Rue89 Bordeaux)

Stéphanie, prof des écoles, Sud Education : « On compte bien continuer »

« Le préfet a interdit l’arrivée. On est surpris. Pour une manif bien partie et bon enfant, ça crée de l’instabilité. Alors qu’au mégaphone on a appelé à la dispersion, ils nous bloquent. C’est de la provocation pour que ça dérape. On est tous inquiets que les vacances entraînent une démobilisation.

Mais on est aussi un certain nombre à faire partie du collectif de lutte. On compte bien continuer malgré les vacances. Ça va laisser des traces positives car ça s’est beaucoup construit en dehors des structures syndicales. Ça leur pose des questions. Ça nous a fait nous rencontrer et créer des liens solides pour les mouvements. Et puis, ce n’est pas fini ! On ira jusqu’au bout ! »

Camille, étudiante (XR/Rue89 Bordeaux)

Camille, étudiante en anthropo, membre du collectif de lutte 33 : « Il y a toujours des gens pour manifester »

« Il y a du monde. On est écrasé par la chaleur. Les étudiants vont rentrer chez leurs parents. Moi, c’est à Pau. Je vais essayer de me renseigner sur ce qui se fait dans nos villes comme actes militants. Il y aura forcément une baisse dans les effectifs mais il y a toujours des gens qui pourront manifester. [elle s’arrête, puis fixant un policier] Tiens tu as vu lui ? Tu as vu la vidéo où il est dedans ? Ce mec tient des propos sexistes ! [il a lancé “va faire la vaisselle” à des manifestantes, NDLR] »

Alain, intérimaire (XR/Rue89 Bordeaux)

Alain, intérimaire, non-syndiqué, non-encarté : « Que le gouvernement se prenne une claque ! »

« Je suis un Monsieur tout le monde. Je suis intérimaire depuis 1978. J’ai fait un peu tous les boulots mais mon vrai métier c’est câbleur en électronique. J’ai lu la loi en partie. J’ai fait la manif. Après celle du 28 [juin, NDLR], je ne sais pas ce que les syndicats vont faire. S’ils continuent, je serai de la partie même sans appartenance. Pendant l’été, s’il y assez de députés pour voter une motion de censure, le gouvernement tombe. Je l’appelle de mes vœux. Qu’il se prenne une claque ! S’il tombe, c’est tout le parti socialiste qui tombe. Il y a un an, on a fait un programme pour refaire une démocratie, pour qu’un peuple devienne souverain, avec des valeurs humaines. Je veux que ce gouvernement retoque la loi et qu’on revienne à des valeurs humaines. »

Philippe Poutou, CGT Ford et candidat NPA à la présidentielle 2017 (XR/Rue89 Bordeaux)

Philippe Poutou, ouvrier, CGT Ford : « Il doit être usé le gouvernement, peut-être plus que nous… »

« On peut faire des pronostics, mais je pense qu’il y a une barrière, celle de l’été, qu’on n’arrivera pas à franchir. Déjà, il y a la satisfaction que le mouvement tienne le coup. En 1995, 2002 ou 2010, c’était plus court. C’est l’une des plus longues mobilisations. Ça va laisser des traces. La défaite ne sera pas agréable mais on va voir quelque chose se créer. On s’est mélangé. Ce n’était pas le cas avant. Regarde, il y a là des drapeaux CGT et FO côté-à-côte, là des Sud, FSU et CNT… Et puis, il doit être usé le gouvernement, peut-être plus que nous. Le gouvernement est peut-être en rupture. Tout se joue dans les dix jours qui arrivent. On n’a pas perdu, mais on doit penser à la suite. »

Pablo, livreur de pizza (XR/Rue89 Bordeaux)

Pablo, étudiant et livreur de pizza, matraqué : « C’est l’Everest, mon crâne ! »

« En fait, un monsieur avait un appareil photo et quelqu’un [un policier] a cassé l’objectif. Il a commencé à s’énerver. On s’est dit qu’il allait se faire choper. On l’a arrêté et reculé. Ils nous ont repoussé puis menacé avec la matraque. [La scène est filmée] Ils ont commencé à frapper. Je n’ai pas le temps de me relever que je me prends un coup sur la tête. Là j’ai une bosse : c’est l’Everest, mon crâne ! Je peux faire le requin dans l’eau (rires). A Bordeaux, il n’y a pas de casse. La police fait des excès de zèle. C’est eux qui relancent le mouvement, sinon il était en train de s’arrêter.

Un des moniteurs [chez les gendarmes], je pense un sergent, expliquait qu’ils sont venus ce matin de Toulouse. Ils sont partis à 4 ou 5h ici. Ils ont dormi 2h dans un camion sur le trajet entre Toulouse et Bordeaux. Eux, ils sont en galère. Lui me disait qu’il attendait toujours sa fiche de paie. Ce n’est pas juste un mec du rang. »

(XR/Rue89 Bordeaux)

Témoignage anonyme recueilli auprès de force de l’ordre : « Surtout ne faites pas mon métier ! »

« Vous savez, on ne décide pas de la fin [de la manifestation, NDLR]. Certains de nos collègues gendarmes et policiers sont non-stop depuis les attentats de novembre. Il y a l’état d’urgence, l’Euro, les manifs et après il y a la Fête du Vin…. On ne s’arrête pas. Il faut le comprendre aussi. Nous, on est là mais après on part ailleurs. Les vacances ? On doit en avoir… enfin s’il ne se passe rien. Quand je rentre chez moi, je dis à mes enfants : “Surtout ne faites pas mon métier !” Je trouve que nos syndicats ne disent pas qu’on est fatigués. »


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