« 0% de CO2, 0 décibel… 100% de plaisir ». Voilà ce que l’on peut lire sur le site internet de Nave Va. La compagnie corse de promenades en mer vient d’acquérir trois navires à passagers à propulsion hybride, construit par CNB Pro Bordeaux (groupe Bénéteau).
Les deux premiers ont été livrés ce printemps, le troisième, en cours de construction, sera prêt l’année prochaine. Chaque navire peut transporter jusqu’à 138 passagers, avec 4 heures d’autonomie électrique par jour. Pierre Lompech, directeur de la marque CNB Pro, parle d’une « première » :
« Nous avons répondu à la demande de Nave Va, notre client depuis de nombreuses années, qui voulait des bateaux pour transporter les touristes d’une manière respectueuse de l’environnement et silencieuse dans la réserve naturelle de Scandola, classée au patrimoine mondial de l’humanité. »
Pourquoi pas une pinasse ?
Même volonté – voire plus – pour la COBAS (Communauté d’agglomération Bassin d’Arcachon Sud) et l’Union des Bateliers d’Arcachon (UBA). En 2011, l’Agglo lance un appel à projet « pour la réalisation d’un bateau de transports de passagers entièrement construit avec des matériaux propres. »
En mai dernier, après son inauguration à l’été 2015, le Greenboat a fait son apparition dans la flotte des bateliers d’Arcachon. Un bateau conçu et réalisé par le chantier Dubourdieu de Gujan-Mestras, bien connu pour ses bateaux en bois sur mesure. Emmanuel Martin, le patron du chantier Dubourdieu, a choisi de revisiter la pinasse, le bateau emblématique du Bassin et la signature du chantier :
« Je suis content qu’il y ait une pinasse à passager sur le Bassin et pas que des caisses ! J’ai répondu à l’appel à projet car il s’agissait d’un nouveau challenge. Comment envisager un navire de transport de passagers propre ? Nous sommes allés au-delà du cahier des charges avec un bateau entièrement construit en pin maritime, structure et superstructure. Nous avons utilisé du pin des Landes, essence locale et française. Nous sommes allés chercher en Bretagne une résine epoxy bio-sourcée, nous avons utilisé de la fibre de lin au lieu de la fibre de verre. A chaque étape, nous avons recherché les ressources les moins impactantes en terme de pollution. Au départ, nous avions prévu de mettre des panneaux solaires sur le toit mais nous avons finalement opté pour un toit ouvrant, rare concession au composite, mais moins lourd, pour favoriser la vision panoramique des passagers. L’analyse du cycle de vie dans le cadre du recyclage du Greenboat est d’ailleurs certifiée aux normes ISO. »
Un travail de longue haleine mené en lien avec le pôle de compétitivité Xylofutur de Gradignan, dans le cadre du projet Above sur la résistance mécanique du pin.
Des couacs sur l’électrique
En cours de route, ce projet de bateau écolo sur le Bassin a déclenché la commande des navettes fluviales de Bordeaux. La CUB et Kéolis ont choisi le chantier Dubourdieu pour la réalisation des deux catamarans en aluminium, hybrides et à propulsion électrique. Après quelques déboires, les Batcub semblent avoir désormais trouvé leur public.
« La réglementation et les contraintes maritimes évoluent et vont encore bouger avec la création du parc marin sur le Bassin » estime Pierre-François Delpy, Président d’Arcachon Bassin Compagnie, émanation de l’UBA dont le but est d’acquérir des navires en commun :
« Nous souhaitons améliorer notre flotte et offrir de meilleures prestations touristiques. Nous sommes satisfaits du Greenboat car nous avions envie d’avoir un bateau style Pinasse, à l’esthétique soignée, avec un moteur hybride dernière génération qui nous permet de transporter une cinquantaine de passagers, dont des personnes à mobilité réduite, et 20 vélos. Il est modulable, ce qui fait que nous avons la possibilité de le privatiser pour faire par exemple des dégustations d’huîtres en faisant le tour de l’Ile aux Oiseaux dans le plus complet silence ! »
Silence, ça tourne ?
Oups ! La fameuse balade en silence, ce n’est pas encore pour tout de suite malheureusement… Le Greenboat est équipé de deux moteurs, un thermique et un électrique qui peuvent être utilisés de manière alternative. Or, il n’est pas autorisé à circuler en mode tout électrique. Il ne fonctionne pour l’instant qu’en thermique, c’est-à-dire au diesel, comme les autres ! Sa conception hydrodynamique et sa motorisation dernière génération lui permettent tout de même de consommer moins de carburant.
Mais pour l’heure, le bateau écolo du Bassin n’a pas obtenu son homologation délivrée par les Affaires Maritimes.
« Nous avons déposé dix demandes de dérogations, toutes refusées ! regrette Emmanuel Martin, le patron du chantier Dubourdieu. Les affaires maritimes se sont déclarées incompétentes pour la vérification du risque incendie sur le moteur électrique et les batteries. Elles nous ont renvoyé sur le bureau privé de certification Veritas qui n’avait aucun référentiel pour se déterminer ! »
Un problème que n’a pas rencontré CNB Pro, spécialiste bordelais du navire de transport de passagers en aluminium, avec Hybrid 20. Pierre Lompech, le directeur de la marque, reconnaît à demi-mot que Dubourdieu a quelque peu essuyé les plâtres…
« Nous, chez Veritas, on les a un petit peu bousculé. On leur a dit que s’ils n’avançaient pas sur le référentiel et la certification, nous irions solliciter un autre organisme de certification, comme DNV, qui avait un projet plus avancé.e
On imagine sans peine que la « pression » exercée par CNB Pro, 800 salariés, propriété du groupe Bénéteau, a davantage porté que celle des chantiers Dubourdieu, petite PME gujanaise de 10 salariés…
Innover, c’est s’exposer
La motorisation hybride, c’est-à-dire le système qui permet de permuter entre le moteur thermique et le moteur électrique, c’est évidemment le nerf de la guerre, tout comme les batteries. Les deux constructeurs navals girondins ont fait appel à des motoristes et des systèmes différents. Pour Emmanuel Martin :
« Nous en sommes pour les bateaux là où était l’automobile il y a 10 ans. Sur le Greenboat, nous allons retravailler avec mes partenaires sur le système d’embrayage, sur les disques, afin de limiter les risques d’échauffement. Fin octobre, le navire revient au chantier, je repasse en endurance cet hiver et je demande le permis final électrique. Innover, c’est s’exposer. »
« Il n’y a pas de normes harmonisée au niveau européen » déplore pour sa part Pierre Lompech, directeur de la marque CNB Pro à Bordeaux :
« On en est aux balbutiements. On s’aperçoit que les batteries au lithium sont très sensibles et difficilles à piloter. Il y a aussi, comme pour les voitures, le problème du stockage de l’énergie et du recyclage. L’hybride est un levier de croissance mais beaucoup d’armateurs n’ont pas les moyens d’y aller. C’est pourquoi, nous aimerions que les gros constructeurs de moteurs s’y mettent. »
Question prix, ces deux modèles girondins de navires de transport à passagers affichent un surcoût d’environ 20%. L’Hybrid 20 de CNB Pro est proposé à 2 millions d’euros hors taxe. Le Greenboat aura coûté 490 000 euros aux bateliers d’Arcachon. A cette somme s’ajoutent les 160 000 euros de subventions de l’Agglomération. Ça reste du luxe.
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