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« Daech, l’ubérisation du terrorisme »

Comment contrer Daech et prévenir de nouveaux attentats en France ? Une mission d’information parlementaire a enquêté sur les moyens de l’État islamique en Syrie et avancé quelques idées. Entretien avec sa vice-présidente, membre de la commission défense de l’Assemblée nationale, la députée socialiste de Gironde, Marie Récalde.

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« Daech, l’ubérisation du terrorisme »

(Arte/flickr/CC)
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Rue89 Bordeaux : A la lueur de votre travail sur les moyens d’action de l’État islamique, comment analysez vous les derniers attentats de Saint-Etienne-de-Rouvray et de Nice ?

Marie Récalde, député PS de Gironde (Mathieu Delmestre/flickr/CC)

Marie Récalde : Ce qui s’est passé hier (mardi, NDLR) montre que la terreur peut-être partout, n’importe comment. Les actions terroristes se multiplient, et ce n’est malheureusement pas fini. Daech, c’est une espèce d’ubérisation du terrorisme, qui prétend régner sur le monde entier, poussant ses affidés, où qu’ils se trouvent et quel que soit le moyen d’action, à liquider les impies. Mais les revendications viennent toujours du même endroit. Grâce à une propagande massive, professionnalisée et ciblée en fonction des publics visés, le prétendu Etat islamique a l’art de s’adresser aux jeunes. Des vidéos extrêmement bien faites diffusées sur internet, les poussent à tenter l’aventure. Pourtant, les auditions que nous avons conduites pendant 6 mois auprès de responsables de services de renseignements, de chercheurs ou de représentants des grandes entreprises, montrent que les fournisseurs d’accès à internet et les réseaux sociaux ne semblent pas avoir pris la mesure de cette menace.

Comment cela ?

Leurs algorithmes des géants du web détectent les préférences de ceux qui font des recherches sur Daesh, et leurs font des suggestions de contenus qui les enferment dans la radicalisation. Surtout, les entreprises du web se limitent à une attitude passive consistant à ne retirer les contenus que lorsque ceux-ci sont signalés par les internautes ou les autorités. Même celles-ci ont parfois du mal à obtenir le retrait de contenus. Les membres de la commission sont restés ébahis par le peu de moyens et d’outils investis par les grandes entreprises. Pour nos auditions à l’Assemblée nationale, celles-ci ont envoyé des seconds couteaux. Business is business…

Prévenir la prolifération des discours extrémistes contrevient toutefois avec le principe de la neutralité du net, qui consiste à ne pas interférer sur les contenus en amont de leur diffusion…

C’est notre rôle de trouver le juste équilibre entre la protection des libertés publiques et la protection nécessaire de citoyens. Quand nous avons voté la loi sur le renseignement, que n’a-t-on eu comme message incendiaire sur l’attaque des libertés ! Il y a une espèce de schizophrénie dans ce pays à vouloir tout et le reste, sans que l’on touche à nos libertés. Il va pourtant falloir prendre nos responsabilités.

« Rester dans le cadre de l’Etat de droit »

La loi sur le renseignement comme l’état d’urgence n’ont pas empêché les attentats de se produire cet été.

Mais ils ont permis des perquisitions et des écoutes qui en ont déjoué d’autres. Sous le quinquennat précédent, 12000 postes de policiers ont été supprimés, tout comme les RG (renseignements généraux, en fait dispatchés en 2008 entre plusieurs administrations, puis reconstitués en 2014, NDLR). Aujourd’hui, on réembauche des militaires, des gendarmes… Il faut davantage de moyens, notamment pour le renseignement, mais cela prend du temps, car il y a une espèce d’inertie du paquebot.

Contre le terrorisme, François Hollande a affirmé mardi qu’il ne dérogerait pas au droit, comme le pressent certaines voix de l’opposition, mais aussi du Parti socialiste, favorables à la rétention préventive des fichés S. Qu’en pensez-vous ?

Le dispositif législatif, que nous avons renforcé depuis 2012, suffit. L’incarcération préventive, sur la base du soupçon, signifie qu’il suffirait par exemple de se garer 3 fois à côté d’une mosquée pour être fiché S et arrêté… Nous devons rester dans le cadre de l’Etat de droit, sinon les terroristes auront gagné.

Les deux terroristes de Saint-Etienne-du-Rouvray étaient fichés S, et l’un d’eux, qui avait tenté deux fois de se rendre en Syrie, a été libéré avec un bracelet électronique. N’y a-t-il pas là une vraie défaillance ?

Il est vrai que cela interroge, mais j’attends le résultat de l’enquête judiciaire et les confirmations de la place Beauvau pour me prononcer.

« Crowdfunding du terrorisme »

Votre rapport montre que Daech dispose de moyens en baisse, mais qui s’élèvent encore à 2000 milliards de dollars. Les derniers attentats en France ont montré qu’on peut semer l’effroi avec un un camion ou un couteau. Suffira-t-il de couper les vivres à l’EI ?

Il faut combiner plusieurs actions, à commencer par l’intervention militaire pour le faire reculer, ce qui est en train de se produire en Irak et en Syrie, où l’EI essuie des revers et perd des combattants – moins de 15000 aujourd’hui, contre 35000 en 2014. Moins de territoires, c’est moins de moyens pour ce prétendu État, qui est en fait une organisation terroriste ultra-violente et totalitaire. Elle a une emprise territoriale forte et une prétention à administrer la population, et tire une partie de ses ressources de l’impôt, ou plutôt du racket. Nous devons couper tous ses circuits d’approvisionnement, y compris de composants permettant la réalisation d’engins explosifs, comme les engrais.

Et en Europe ?

Nous proposons dans le rapport des moyens d’agir contre le financement du terrorisme en Europe. Les opérations supposent de petits budgets – 43000 euros pour le Bataclan, par exemple – qu’on peut prévenir en limitant les cartes bancaires prépayées, ou l’entrée sans déclaration dans l’Union européenne de sommes supérieures à 10000 euros. Je suis aussi très inquiète des financements collectés via les réseaux sociaux, sortes de crowdfunding du terrorisme. Cela demandera beaucoup de temps, il ne faut pas se leurrer, et passera par un grand travail de déradicalisation.  Nous devons notamment anticiper le retour des 600 Français aujourd’hui au Moyen-Orient dans les rangs de Daech, dont 200 femmes. Le retour de ces familles avec des enfants qui ont subi lavage de cerveau et entrainement militaire, nous préoccupe beaucoup. Certains prêchent même leur enfermement préalable.

Certains politiques agitent le discours identitaire, au risque de faire monter l’islamophobie et l’extrême-droite. Cela vous inquiète-t-il ?

La flambée islamophobe, c’est l’objectif que recherchent les terroristes, pour monter les communautés ethniques et religieuses les unes contre les autres, créer des réactions de panique et engendrer le chaos. Il faut qu’on soit très attentif, la République est en danger, à nous de rester unis pour faire face. On doit aussi repenser notre système d’intégration, mis en place pendant les Trente Glorieuses, à une époque sans chômage, ni crise économique.


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