L’artiste champenois, Nicolas Boulard, qui participe à l’opération Vitrines sur l’art des Galeries Lafayette à Bordeaux, vient de recevoir un courrier du service juridique et international de l’Institut national de l’origine et de la qualité (INAO) qui lui demande de « réviser » son projet artistique : « Specific Cheeses ».
L’institut justifie sa réclamation par la « protection » des appellations « Chavignol » et « Chaource ». Si la première a déjà fait l’objet d’une réalisation artistique, l’Union des producteurs de la seconde a refusé la collaboration artistique. Apparemment appelé à la rescousse, l’INAO écrit à l’artiste le 22 juillet 2016 :
« Les fromages d’appellation d’origine protégé doivent répondre à des conditions de production définies par un cahier des charges parmi lesquelles figurent la forme du produit. Ainsi, présenter sous le non de “Chaource” des fromages dont la forme n’est pas conforme à ces règles est de nature à porter atteinte à l’image du produit et à sa perception par le public. »
A propos du « Chavignol », le courrier ajoute que « cette appellation fait également l’objet d’une protection ».
« Specific Cheeses »
Le projet « Specific Cheeses » démarré en 2010, est inspiré du travail de l’artiste américain Sol LeWitt. Sur son site, Nicolas Boulard explique sa démarche :
« Le mot forme et le mot fromage sont issus de la même famille étymologique, tout comme les formes des fromages et les formes récurrentes de l’art minimal (le cercle, le carré, la pyramide) sont similaires. En partant de ce constat, 12 moules à fromage ont été réalisés à partir de dessins de Sol Lewitt : 12 Forms Derived from a Cube (1982). »
Ces moules servent à fabriquer des fromages d’appellations d’origines contrôlés en collaboration directe avec les producteurs contactés par l’artiste. Le concept a été bien accueilli aussi bien en France qu’à l’étranger (Italie, États Unis…). Une confrérie Specific Cheeses a même été créée en 2012. Elle invite le public, après des cérémonies d’intronisation, à déguster les 12 fromages.
Deux photographies de la série sont exposées à Bordeaux (« Emmental », 2013 et « Castelmagno », 2014) jusqu’au 30 juillet aux Galeries Lafayette. Une exposition plus importante, intitulée « The Cheese Museum », est prévue à l’automne 2017 au Centre d’art contemporain/Passages à Troyes.
Un problème de fond et de forme
Nicolas Boulard s’interroge sur les suites à donner à la réclamation de l’INAO. Pour lui, « ce serait admettre une faute ». Le problème qui a l’air de porter sur la forme est indirectement un problème de fond :
« Ils ne comprennent pas la dimension artistique de ce projet, regrette-t-il. Comment un artiste travaille avec des contraintes protectionnistes ? C’est le sens de mon travail. C’est celui du travail fait sur le vin, actuellement exposé au Frac Aquitaine. »
Cette exposition, « Critique du raisin pur », bouscule en effet l’identité, le territoire, la géographie et les normes du vin et des vignobles. L’artiste défait les conventions qui régissent les appellations d’origine contrôlée jusqu’à jouer le faussaire dans la production de millésimes inexistants.
« Mon œuvre Romanée-Conti DRC 1946 a même plu au producteur lui-même. Le regard qu’il faut poser sur mon approche est une question de culture », rappelle Nicolas Boulard.
Le Domaine de la Romanée-Conti, qui produit un vin français des plus prestigieux de Bourgogne en appellation d’origine contrôlée, avait arraché sa vigne en 1945 en raison d’une épidémie de phylloxéra et n’a repris sa production qu’en 1952. En 2007, le faux millésime 1946 de l’artiste est fabriqué avec de l’eau et du colorant. Le producteur n’en avait pas fait tout un fromage.
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