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Les coursiers bordelais remontés contre Take Eat Easy

L’enseigne belge Take Eat Easy, spécialisée dans la livraison de repas à vélo, a annoncé ce mardi avoir été placée en redressement judiciaire. Ses coursiers bordelais, mais aussi ses restaurants partenaires, se sentent floués.

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Les coursiers bordelais remontés contre Take Eat Easy

Capture écran du site de Take Eat Easy (idem photo en une)
Capture écran du site de Take Eat Easy (idem photo en une)

« Ce matin, je me suis levé, et j’espérais vous annoncer la réussite de la levée de fonds. C’est tout le contraire. J’ai appris que Take Eat Easy arrête son activité. Alors j’ai pleuré. »

Avec ces quelques mots, Mamoun Skalli, responsable de Take Eat Easy Bordeaux, espérait mettre de son côté la soixantaine de coursiers bordelais réunis ce mardi en fin d’après-midi. Ils étaient nombreux à l’avoir mauvaise, les bras croisés, la casquette vissée sur la tête, le regard sombre et les mâchoires serrées.

« Nous ne vous remercions jamais assez »

Ils sont venus jusqu’à la place Saint-Martial à Bordeaux pour comprendre pourquoi l’enseigne belge spécialisée dans la livraison de repas a annoncé la fin de son activité. Ces auto-entrepreneurs, certains étudiants, d’autres coursiers à plein-temps, s’inquiètent de voir disparaître leur principal « client ».

Take Eat Easy prenait pourtant les commandes encore la veille, et distribuait par la même occasion ses ordres aux coursiers. Du coup, la nouvelle est tombée comme une massue sur la tête de chacun. Par un communiqué plein de bons sentiments, la cofondatrice Chloé Roose annonce que son entreprise est placée en redressement judiciaire, parce qu’elle n’est pas parvenue à clôturer une troisième levée de fonds – Take Eat Easy aurait été en négociation exclusive avec Géodis, une filiale de la SNCF, pour un investissement de 30 millions d’euros.

« En une année, nous avons connu une croissance mensuelle de plus de 30%, franchi le cap du million de commandes, accru notre portfolio de restaurants partenaires de 450 à 3 200 et notre base de clients de 30 000 à 350 000, écrit Chloé Roose. […] Nous ne vous remercierons jamais assez. Vous, clients, pour votre amour (…). Vous, restaurants partenaires, pour votre confiance, votre fidélité et tout ce travail à nos côtés. Vous, coursiers, pour votre énergie, le service irréprochable apporté à nos clients, et vos livraisons toujours avec le sourire. « 

Sauf qu’en réalité, les coursiers se retrouvent le bec dans l’eau : le mois de juillet ne sera pas réglé. Certains attendaient jusqu’à 2000€. Pour les restaurants bordelais idem, l’impayé de l’un d’eux frôle les 30000€. A ce stade, les remerciements sont plus difficiles à avaler que les repas livrés.

De « l’intox » à la réalité

Selon nos sources, le restaurant le Santosha, place Fernand-Lafargue à Bordeaux, est le restaurant qui affiche la plus grosse perte. Il serait le partenaire le plus important de France, voire d’Europe. Bordeaux étant, selon les dires de Mamoun Skalli lors de la réunion, « la ville la plus rentable pour Take Eat Easy ».

Place Fernand-Lafargue toujours, le restaurant Kokomo encaisse mal la nouvelle. Un de ses responsables, Deleskevyzh Abalo, annonce des pertes difficiles à chiffrer mais « avec plusieurs zéros » :

« Nous avons appris cette cessation de bouche à oreille. Il y avait bien des rumeurs qui circulaient comme quoi ils allaient mettre la clé sous la porte, mais il y a toujours eu des rumeurs ! »

Ces rumeurs ont même poussé le responsable local à se fendre d’un message sur le groupe fermé Facebook qui réunit les 450 coursiers bordelais, pour faire face à « l’intox » avec un « fact-checking sur les on-dit ». Nous avons pu avoir accès à ce message datant du 7 juillet où il accuse les concurrents, en particulier Foodora :

« TEE [Take Eat Easy, NDLR] se porte très bien, tout particulièrement à Bordeaux, pas de fermeture prévue avant l’année 2360. […] Je vomis donc l’attitude agressive et irresponsable d’arriviste qui se croit tout permis et détériore le travail acharné de mon équipe. »

Ce ton a évidemment changé ce matin du 26 juillet. Le responsable bordelais poste un nouveau message sur le groupe avec « le cœur très lourd et beaucoup de larmes » :

« Je pensais sincèrement que la France et surtout Bordeaux étaient protégés tant notre succès était grand. […] De tout mon cœur PARDON à ceux qui se sentent trahis, je n’ai jamais triché, j’étais intimement persuadé que nous allions survivre. […] Je vous propose de faire une réunion ce soir à 18h où vous pourrez me poser vos questions, crier, pleurer, m’insulter… »

La branche bordelaise de la société Take Eat Easy a réuni ses coursiers cyclistes place Saint-Martial après l’annonce du placement en redressement judiciaire (WS/Rue89 Bordeaux)

Le concept de la performance

Mamoun Skalli n’a pas souhaité répondre à nos questions, tout comme il a refusé que l’on assiste à la réunion. Une demi-heure plus tôt, sur la place Saint-Martial, de jeunes actifs et étudiants, moyenne d’âge 25 ans, arrivent à vélo. Tous sauf un, il est à pied. Barthélémy hésite encore à enfourcher un deux-roues depuis son accident du 4 juillet. En plein service du soir, et pour sa dernière course, il est victime d’un accident qui lui a coûté 80 points de suture sur le visage :

« J’allais vite et une voiture a pilé devant moi, raconte ce jeune étudiant de 21 ans. Plus on roule et plus on a des commandes et plus on gagne de l’argent. Contrairement à d’autres enseignes qui payent à l’heure plus une rémunération à la course, Take Eat Easy nous payait uniquement à la course. En dédommagement de mon accident, on m’avait promis de rajouter la rémunération d’une semaine à ma facture, c’est-à-dire 120€. Avec mes courses début juillet, mon mois était à 250€. Mais là, je crois bien que je n’aurai rien. »

Car la performance était bien le concept de Take Eat Easy. Arthur, un autre étudiant de 21 ans, a encore une cicatrice au coude après 7 accidents et 2 vélos cassés :

« Tu as intérêt à cumuler les bonus. Les dispositions et les privilèges accordés poussaient les coursiers à aller de plus en plus vite. Certains de ces privilèges, ajoutés aux appréciations des clients, te donnaient par exemple l’accès en premier au planning. Ce qui te permettait de choisir tes créneaux. »

Place à la concurrence

Cet « ancien » qui a rejoint Take Eat Easy dès ses débuts à Bordeaux en octobre 2015, a même eu le record des livraisons dans toute l’Europe sur une session du soir (18h45-22h30) : 19 livraisons. Ses revenus s’élevaient à 1500€ en moyenne par mois et, sur le mois de juillet, il risque de perdre 1300€ :

« Moi je suis étudiant, j’ai ces revenus en plus de ma bourse. Mais pour d’autres, c’était leur boulot. Ils ont un loyer, des crédits, des enfants à qui ils ont promis des vacances. Dire aujourd’hui que personne ne savait que la boite allait couler, je n’y crois pas un instant. Ils le savaient. Certains, même de la direction, ont commencé à faire des courses ailleurs, chez Deliveroo notamment. On nous a retardé les paiements de la première quinzaine de juillet sous prétexte qu’il y avait la fête nationale en France d’abord, et celle de la Belgique ensuite. Ils nous avaient écrit le 21 juillet pour nous le dire. C’était pour gagner du temps et nous faire bosser encore plus pour rien. »

Contacté par Rue89 Bordeaux, la direction belge n’a pas donné suite à nos sollicitations. Dans un courrier interne que nous avons consulté, elle a promis une communication « dès que possible » pour accompagner les coursiers dans les procédures à suivre pour recouvrir les impayés. Elle leur conseille par ailleurs de se rapprocher des concurrents « qui auront besoin d’un maximum de livreurs ». Ceux-ci ont en effet récupéré les services de livraison des restaurants dès ce mardi matin.

Quand à la caution prélevée sur leurs revenus pour la fourniture des sacs de livraison et des téléphones (100€ + 70€), les coursiers sont bien partis pour s’assoir dessus.


#Bordeaux

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