C’est une étape habituelle pour bon nombre de vacanciers descendant vers l’Espagne ou pour les commerciaux qui traversent le Sud-Ouest : l’aire d’autoroute de Cestas et ses 22 hectares, bordée d’un côté par l’A63 et de l’autre par une forêt de pins, est en passe d’être entièrement détruite et rénovée à l’automne prochain, pour un coût de 20 millions d’euros. Saturée de véhicules obligés de stationner sur l’herbe, elle est aussi connue pour accueillir bon nombre de voyageurs fatigués dormant à la belle étoile.
En attendant ses grands travaux, elle est en pleine décrépitude – bâtiments laissés à l’abandon, ruisseau jonché de déchets et centre de sécurité routière à activité très réduite –, ce qui n’empêche pas les aoûtiens d’affluer par milliers. Balade dans cette aire coincée entre son passé et son futur.
8h00 du matin, ce vendredi 12 août sur l’aire d’autoroute de Cestas, direction Bayonne. Il fait déjà 25 degrés et la valse des automobilistes a commencé. Les uns s’étirent, fourbus de leurs heures de route au petit matin. D’autres nettoient leur vaisselle après leur pique-nique de fortune de la veille et leur nuit de camping sauvage sur la pelouse, à l’ombre des pins.
En cherchant une place pour se garer, on remarque les panneaux indiquant le point Tourisme et Bison Futé du site, ou un bâtiment de la Préfecture de Gironde – mais ses volets sont souvent fermés, et, nous expliqueront plusieurs employés du site, la brigade est surtout présente début juillet pour la venue annuelle du Préfet, à l’occasion de laquelle est organisée une grande journée de prévention routière auprès des usagers. Quant à la cabane de Bison Futé, nous avons beau la chercher, elle reste introuvable – elle a été transformée en cabane à glaces.
L’avantage du « ça, c’est fait »
Parmi les boutiques, nous tombons sur une énorme structure en bois fantôme avec une enseigne branlante. Les propriétaires de l’ancienne Maison d’Aquitaine sont partis rapidement après avoir été informés des grands travaux sur le site. Ce magasin proposait au chaland d’acheter des produits régionaux, du vin et foie gras.
« C’est bien dommage qu’ils soient partis si tôt, déplore une responsable de la station Shell située quelques dizaines de mètres plus loin. Les travaux, on en entend parler depuis 5 ans et finalement ils ne vont commencer que maintenant ; ils auraient pu rester plus longtemps. »
Selon la pompiste, la Maison d’Aquitaine décatie donne en effet au site une image d’abandon qui coupe vraiment l’envie de s’y arrêter.
Pourtant, l’effet de répulsion des automobilistes ne se fait pas sentir : ils sont toujours plus nombreux à s’arrêter ici, et pas ailleurs. Avec près de 32 000 véhicules par jour et par sens toute l’année et 43 000 par jour pendant les vacances d’été, le lieu de halte est un des plus fréquentés du pays.
Sa position géographique stratégique située juste après Bordeaux lui donne l’avantage du « ça, c’est fait » qui pousse les nordistes sur la route des vacances à faire une véritable halte. Certains même pour une nuit complète : le groupe Sighor (Société des Indépendants Gestionnaires en Hôtellerie-Restauration), qui a le monopole des activités d’hébergement et de restauration sur le site, a repris au groupe Campanile l’hôtel étape, qui marche très bien.
VRP et vacanciers
Inès Potier, la directrice de l’établissement arrivée à l’automne 2014 au moment de la passation, parle même d’un lot d’habitués qui sont aussi là l’hiver :
« On reçoit beaucoup de commerciaux qui sillonnent la France et qui reviennent régulièrement, contents de retrouver leurs marques. L’été ce sont surtout des familles qui, parties de Belgique, de Hollande ou du nord de la France, s’arrêtent sur la route de l’Espagne, du Portugal ou des pays du Maghreb. »
Sighor est un regroupement de 30 hôteliers-restaurateurs-cafetiers auvergnats réunis sous une bannière commune pour rivaliser avec les gros groupes. Après l’aire de Captieux sur l’A65, ils ont remporté (contre Campanile) l’appel d’offre de la Chambre de commerce et d’industrie de Bordeaux, obtenant les clés de l’aire de Cestas. Souvent associé à la station essence installée (ici Shell), le groupe décline ses activités sous l’enseigne LEO (cafétéria, brasserie, etc.) A Cestas, tout va disparaître pour être reconstruit :
« Ils vont faire ça progressivement, bâtiment par bâtiment, on va se déplacer petit à petit, explique Inès Potier. Ça va être rock’n’roll mais j’ai hâte ! Ces travaux, on les attend depuis longtemps. Cela va faire du bien d’avoir du matériel neuf et de la place pour se garer. »
Doubles files
Car d’après les différents témoignages, le stationnement reste le problème majeur sur l’espace pourtant gigantesque (actuellement 105 places pour 311 à venir après les travaux). Anaïs, étudiante en arts plastiques de 21 ans, travaille au restaurant de l’hôtel pour la troisième saison. Elle est ravie de son emploi qui lui permet d’économiser pour son master à Paris mais aussi de croiser beaucoup de monde. Mais elle affirme avoir parfois du mal à trouver un stationnement en arrivant :
« Le samedi matin en plein été c’est le pire. Les bandes de pelouse sur les côtés de la station essence sont pleines. Certains clients qui viennent au restaurant râlent de ce désagrément. Cette aire d’autoroute est mal indiquée, mais ça devrait changer ! «
Le projet prévoit également d’ajouter 120 places pour les poids lourds, très nombreux à s’arrêter, comme le pointait le rapport de la commission d’enquête publique visant à faire un état des lieux, à mesurer les différents impacts des travaux sur le site et à répondre aux attentes des Cestadais :
« Le site compte actuellement 49 emplacements pour les poids lourds mais il est constaté un stationnement illicite d’environ 120 poids lourds. »
Les travaux prévoient aussi un nouveau bâtiment pour l’hôtel qui comptera désormais 72 chambres, une aire de restauration extérieure et une nouvelle aire de pique-nique, de détente et de jeux pour les enfants. Sans oublier l’enseigne Courtepaille qui viendra s’implanter en partenariat avec le groupe Sighor.
Nous continuons notre promenade. Deux auto-stoppeurs voyagent avec leur skate, un papa cajole un bébé en pleurs à l’ombre d’un chêne. La cafétéria s’est remplie de buveurs de café qui grignotent aussi une viennoiserie. Dehors, la température a déjà bien monté, mais certains ont tout de même préféré le snack en plein soleil. En prenant le tunnel sous l’autoroute, nous apercevons au loin un couple de voyageurs en camion aménagé qui promènent leur chien.
Sur l’autre rive
L’autre rive est beaucoup plus calme car moins commerciale. En faisant quelques mètres, on se retrouve vite à la lisière de la forêt. Entre les arbres, au fond, on a pris soin de cacher les bennes de déchets pleines à ras-bord. Une image qui donne une idée de l’affluence de l’aire de Cestas et de la consommation effrénée des commerces et de ses occupants. De ce côté, le magasin de la station service est tout neuf. Champignon de modernité au milieu des petits bâtiments de l’annexe de l’hôtel, témoin d’une autre époque.
En essayant d’obtenir des plans du futur aménagement de la halte d’autoroute à la mairie de Cestas, nous apprenons que celle-ci a rendu un avis défavorable concernant le projet proposé. Le service d’urbanisme invoque leur désaccord vis-à-vis de l’architecture choisie.
A la lecture du rapport disponible sur Internet, on découvre que la municipalité remet en cause les conclusions de l’étude d’impact quant au rejet des eaux pluviales dans le ruisseau des Gleyses, qui traverse le nord de l’aire, et pour le ruisseau du Pas de Gros qui s’écoule dans le fossé de l’autre rive. Le commissaire enquêteur a finalement jugé favorablement les différentes réponses de la CCI assurant maîtriser l’écoulement sans impact écologique.
Pourtant, le maire de Cestas Pierre Ducout, qui est aussi le Président de la commission local de l’eau du SAGE des nappes profondes de la Gironde, réaffirme que les donnée du rapport sont « incertaines » – « Quand des permis sont donnés au nom de l’État, on peut passer plus facilement au dessus des normes sanitaires et d’occupation des sols », déplore-t-il.
Pierre Ducout ajoute :
« Lorsque la Maison d’Aquitaine a été construite, nous avons fait attention à ce qu’elle respecte le caractère traditionnel du paysage cestadais et landais. Pour la nouvelle aire, ils ne nous ont pas consultés et ont choisi du standard. »
Mais le bras de fer entre la municipalité et les représentants de l’État date en fait de plusieurs années, lorsque la dernière concession arrivait à son terme. Pierre Ducout avait à l’époque soutenu la construction par Groupama, à la sortie de l’aire, d’un centre de sensibilisation à la conduite automobile. Quand la nouvelle concession a été signée, l’État a décidé sans discussion de prévoir un parking poids lourds à la place du centre.
« L’État a considéré que la commune n’avait rien à dire, poursuit le maire de Cestas. Il est donc évident que tout ce qui peut nous permettre de bloquer les décisions, on le fait. Je ne suis pas contre l’installation de nouveaux parkings pour les poids lourds mais il y a d’autres endroits disponibles le long de l’autoroute. »
Alors que midi s’annonce, et l’arrivée massive pour le déjeuner qui va avec, les employés du magasin de la station-service flambant neuve s’activent pour décharger et stocker les nombreuses palettes de boissons en tout genre qu’ils viennent de recevoir. Le week-end du 15 août est toujours emblème de bouchons et de chaleur intense donc de gosiers desséchés. La fin des travaux, elle, est prévue pour l’automne 2017.
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