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8 raisons d’adorer la rocade de Bordeaux

[+ Vidéo] Le plus long périphérique de France est l’objet d’une instructive exposition de l’a’urba. Fruit des études menées par l’agence d’urbanisme de l’agglomération bordelaise, elle aborde les enjeux de cette voirie mal-aimée, et donne des pistes pour la réinventer.

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8 raisons d’adorer la rocade de Bordeaux

La traversée du lac par la rocade (capture d'écran/e.toile prod)
La traversée du lac par la rocade (capture d’écran/e.toile prod)

Ruineuse, polluante, bruyante, congestionnée, infernale… Que l’on soit pro ou anti bagnole, la rocade bordelaise et ses 226000 déplacements par jour, est le plus souvent objet de quolibets de la part des Bordelais.

« Pour les gens de la vraie vie, la rocade est vue comme une infrastructure qui ne fonctionne pas bien, toujours remplie de bouchons, rappelle Jean-Marc Offner, directeur de l’a’urba. Les urbanistes, eux, estiment que la voirie n’est pas un sujet très noble, ils préfèrent s’intéresser aux quartiers nouveaux ou aux réhabilitations. Enfin, la rocade a un statut ambigu : l’Etat est maître des lieux, alors que les enjeux pour le transport sont essentiellement locaux et métropolitains. »

Or, estime l’agence d’urbanisme de l’agglomération, le périphérique de Bordeaux est indispensable à la métropole, et pourrait mieux fonctionner encore si ses gestionnaires osaient expérimenter quelques mesures.  Pour « donner envie d’inventer la rocade de demain », l’a’urba revient dans une exposition gratuite, visible jusqu’au 23 décembre dans ses locaux, au Hangar G2 des Bassins à flot, sur l’histoire, les enjeux et les perspectives de l’infrastructure. Du résultat grand public des études de l’agence, et de la lecture de ses travaux (et de celle de l’ouvrage de l’anthropologue Eric Chauvier, « La rocade bordelaise »), nous en avons retenu 8 raisons d’aimer notre périph.

1 – Parce que c’est une belle balade

Engagez vous sur la rocade, vous allez voir du pays : ses 45 kilomètres de bitume, qui en font le plus grand périphérique de France, traversent 14 communes, le lac de Bordeaux Nord, deux fois la Garonne. Elle offre quelques points de vue imprenables sur le fleuve, notamment depuis le pont d’Aquitaine, sur des paysages, comme les coteaux, et sur quelques uns des principaux bâtiments marquants de la métropole, dont le parc des expositions, l’incinérateur du Clos de Hilde (surtout la nuit) ou les tours du quartier de Saige, à Pessac.

Le hic, c’est que les glissières de sécurité ou les murs anti bruit ne sont pas conçus pour pouvoir admirer les alentours. Et à moins d’être pris dans les bouchons, la vitesse limite – 90 km/heure – en donne peu l’opportunité de trainasser. Dommage aussi qu’il n’y ait pas de piste cyclable tout du long pour en faire le tour. A défaut, l’a’urba propose de prendre de la hauteur, avec de bluffants panoramas vidéos tournés avec un drone (voir un des cinq films ci-dessous).

2 – Parce que c’est là que ça se passe

Si 40000 personnes habitent dans un corridor de 1 kilomètre autour de la rocade, 122000 y travaillent, notamment dans les zones d’activités les plus importantes de l’agglomération, comme celle de l’aéroport avec entre autres les usines Dassault et Thalès, ou dans 7 des 9 hypermarchés de la métropole.

Le tiers des emplois de Bordeaux Métropole se trouvent ainsi autour de la rocade, et cette proportion devrait encore augmenter dans les années à venir : la plupart des nouveaux emplois pourraient voir le jours sur les territoires de l’opération d’intérêt national (OIN) Euratlantique (15000 créations attendues) et des opérations d’intérêt métropolitain (OIM) de l’aéroport et du campus (10000 emplois chacune).

Le blues de la porte de Gradignan

La rocade dessert en outre des équipements structurants de l’agglomération : l’université, l’aéroport, le parc des expos, le nouveau stade, la future grande salle de spectacle à Floirac…

« La rocade devrait être une vitrine du dynamisme de Bordeaux Métropole, et mériterait aussi une image plus qualitative pour les gens qui y vivent et y travaillent, estime Jean-Christophe Chadanson, directeur de l’équipe projet de l’a’urba. Cela passe par une réflexion sur les façades des zones d’activité et la signalétique, aujourd’hui autoroutière. Plutôt que des numéros, on pourrait par exemple donner un nom aux échangeurs, comme on parle de portes sur le périphérique parisien ».

Pas question toutefois, considère l’a’urba, de « pacifier » totalement l’endroit, transformer à terme la rocade en boulevard urbain, à l’image de certaines autoroutes, ou plus radicalement encore, des voies sur berge à Paris :

« Cela s’est surtout fait pour des pénétrantes et dans des zones de forte densité urbaine, alors que l’habitat reste émietté autour de la rocade bordelaise », souligne Jean-Marc Offner. Pour le directeur de l’a’urba, « l’artère névralgique de l’agglomération doit conserver une forte accessibilité, qu’il n’est pas possible de dégrader vu comment fonctionne la métropole aujourd’hui.»

La répartition des emplois autour de la rocade (a’urba)

3 – Parce que ça roule, malgré tout

On parle presque tous les matins à la radio de la rocade de Bordeaux comme un des coins les plus embouteillés de France, et pour cause : conçue en 1958 pour 25000 véhicules/jour, 60000 maximum, ce chiffre a été atteint dès 1982, 10 ans avant son bouclage final, et la voie rapide reçoit aujourd’hui entre 80000 et 135000 véhicules/jour. 17% du trafic journalier se fait le matin, entre 7h et 9h, pour se rendre au travail dans les deux tiers des cas.

« Mais 80% du temps, on roule comme on veut sur la rocade ».

Cet avis de Jean-Marc Offner fera sûrement vrombir plus d’un automobiliste qui s’est retrouvé scotché dans les bouchons. Pourtant, estime le directeur de l’a’urba, si la congestion s’est aggravée sur certaines de ses voies d’accès, comme l’A62 depuis Toulouse, ou la RN89 depuis Libourne, elle s’est stabilisée aux heures de pointe sur le périph bordelais (enfin, entre 2008 et 2011). Et si on en croit le président de Bordeaux Métropole, Alain Juppé, les parties à 2X3 voies ne connaitraient plus de problème de congestion, d’après des mesures des services de l’Etat.

Vers quatre voies ?

Et on pourrait même faire sauter les bouchons, à deux conditions, appuie (sur le champignon) l’a’urba : d’abord, en réduisant la vitesse maximale autorisée de 90 à 80, voire 70 km/heure.

« Cette vitesse est celle qui permet de faire passer le plus de voiture possible sur une voie rapide, car quand les voitures roulent plus lentement, elles ont besoin de distances de sécurité moins importantes entre elles, explique Jean-Christophe Chadanson. Baisser la vitesse pourrait alors s’accompagner d’une réduction de la largeur des voiries, rendant possible la création d’une quatrième voie réservée au transport collectif ou au covoiturage ».

Autre solution pour fluidifier l’ensemble : faire passer le remplissage moyen des voitures sur la rocade de 1,03 actuellement à 2 ou 3, le nombre de véhicules baisserait de 20 % à 30 %. D’où l’importance du déploiement de solutions de covoiturage domicile-travail telle que celle actuellement généralisée par Boogi sur la métropole, ainsi qu’auprès des grandes entreprises du secteur de l’aéroport.

L’échangeur 1 vu du drone (capture d’écran)

4 – Parce que ça pourrait être pire

Quand le projet de la rocade est lancé, en 1958, elle n’est qu’un maillon d’un vaste programme autoroutier qui prévoyait notamment de démultiplier les voies rapides sur les quais, une autoroute pénétrante d’Arcachon jusqu’à la gare Saint-Jean, et une « voie des maires », sorte de rocade intra-rocade entre Bruges, Mérignac, Pessac…

« Ces projets ne se sont pas faits, et l’objectif initial de la rocade est dépassé, indique Jean-Marc Offner, directeur de l’a’urba. Elle devait détourner le trafic de transit vers la campagne. Ce n’est aujourd’hui plus la campagne, et ce n’est plus du trafic de transit ».

En effet : sur 226000 déplacements par jour sur le périph bordelais, 64% sont le fait de personnes circulant au sein de l’agglomération, 28% de personnes à destination ou en provenance de la métropole, et seulement 8% en transit. De quoi réfuter l’argument principal des tenants d’un grand contournement autoroutier de Bordeaux, plusieurs fois enterré et malgré tout régulièrement remis sur le tapis – le maire de Pessac, Franck Raynal, par exemple soutient toujours l’idée de la majorité métropolitaine de barreaux reliant les autoroutes à l’est de l’agglomération, même si Alain Juppé a remis ce dossier à plus tard.

« Les poids lourds représentent 6% des véhicules sur la rocade, et un sur deux vient ou part de Bordeaux, créer un grand contournement pour le fret routier ne changerait rien à la congestion », poursuit Jean-Marc Offner.

5 – Parce que certains kiffent

Bien sûr, parmi les « rocadiens » interrogés par l’anthropologue bordelais Eric Chauvier, il y a ceux qui empruntent la voie rapide la boule au ventre, de peur d’arriver en retard à leur rendez-vous, et ceux qui déplorent de s’y éterniser, parfois plus de 40 heures par mois (« je passe plus de temps qu’avec ma femme, la rocade c’est ma maîtresse ! »).

Mais il y aussi ceux qui « rentabilisent » la rocade en passant des coups de fil pros dans leur « closed space », voire qui écoutent FIP et appellent la radio pour gagner des places de concert ! (« – Donc vous téléphonez sur la rocade ? – Oui, je ne perds pas de temps ! »).

Et puis il y a ceux pour qui la rocade a un effet madeleine de Proust, comme Alexandra :

« Quand j’étais enfant, je vivais à Paris. On rendait visite à ma tante qui habitait au Haillan. On arrivait par la rocade et c’était un bon signe, c’était le soleil, la chaleur, la mer… »

La rocade, route du travail et des galères, mais aussi des vacances.

Passerelle piétons au lac (capture d’écran)

6 – Parce que sans la rocade, il n’y aurait pas de lac

Le lac de Bordeaux nord est un sous produit de la rocade : parce qu’il fallait des matériaux et assécher les bassins des jalles, on a creusé le sol du nord de Bordeaux servant ainsi de zone de récupération des eaux.

La rupture de l’écoulement naturel de nombreux ruisseaux a entraîné la disparition de la végétation des berges, les ripisylves.  Et comme toute grosse infrastructure routière ou ferroviaire, la rocade a créé une coupure irréversible dans la circulation des espèces animales ou végétales.

Selon l’a’urba, un travail de restauration des espaces naturels et des sites remarquables pourrait être envisagé autour de la rocade, notamment au lac, dans la plaine de Bouliac et dans la coulée verte entre le Peugue et les Ontines.

L’a’urba estime même possible de faire réémerger les paysages de la rocade, en multipliant les passerelles piétonnes et cyclables pour accéder aux nombres espaces de nature et de loisir qui la jalonnent (zoo et golf de Pessac, parc du Bourgailh, coteaux…).

7 – Parce que ça va plutôt dans le bon sens

Bon, le périphérique bordelais demeure néanmoins un des axes les plus pollués de l’agglomération, en particulier dans les zones sud et est, et ce n’est pas près de baisser franchement si on continue à faciliter la circulation sur cet axe plutôt que d’inciter et contraindre les automobilistes à emprunter d’autres moyens de transport. En cela, le passage à 2X3 voies, et pourquoi pas 2X4, n’est pas une bonne nouvelle.

Mais il y a du mieux. En 2007, la limite de vitesse sur la rocade est ramenée de 110 kilomètres/heure à 90. Résultat : une baisse de 15% à 25% des teneurs en dioxyde d’azote et des particules en suspension. A Paris, où la vitesse sur le périph est désormais limitée à 70, on attend une réduction de 5% de la pollution. Et on a déjà enregistré dans la capitale une hausse de la vitesse moyenne de circulation, et moins de bruit.

A Bordeaux, des travaux de protection phonique ont été menés entre 2003 et 2013 dans 23 quartiers, choisis en fonction de la densité d’habitants et de l’exposition à des nuisances de bruits supérieures à 60 dB(A) par jour. Ils ont été protégés, soit en réalisant des travaux à la source le long des voies (murs, merlons), soit en renforçant l’isolation acoustique des façades.

Pour l’a’urba, la création d’infrastructures de protection contre le bruit pourrait être l’occasion d’intégrer d’autres fonctionnalités (terrasses pour l’agriculture urbaine, pistes cyclables…).

(capture d’écran)

8 – Parce que c’est un espace d’avenir

Si la métropole bordelaise poursuit sa croissance démographique, les alentours de la rocade seront des sites hautement stratégiques. Les zones d’activités, pour certaines en petite forme, et leurs immenses parkings constituent des réserves foncières appréciables, tout comme les bretelles autoroutières eux-mêmes, lorsqu’on compacte les échangeurs du trèfle en double losange, comme sur la sortie 13.

A Mérignac Soleil, des enseignes comme Castorama et Leroy Merlin vont transformer, dans le cadre de l’opération 50000 logements, leurs anciens magasins en immeubles d’habitation et de commerce. Ces « oasis », implantés beau au milieu d’une zone commerciale, mais où va bientôt passer le tramway, pourraient préfigurer la fin de la rocade en tant que désert urbain.


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