L’avenir de certains étudiants se joue-t-il sur un coup de dés ? La réponse est oui dans certaines filières dites « en tension », c’est-à-dire très demandées. Quand le nombre de candidatures excède le nombre de places disponibles, les facultés s’en remettent aux Recteurs pour pratiquer les inscriptions et c’est souvent le tirage au sort qui est finalement utilisé. C’est particulièrement vrai en STAPS (Sciences et Techniques des Activités Physiques et Sportives).
Or, quatre étudiants, dont l’inscription en première année dans cette filière a été rejetée à l’université de Bordeaux, contestent cette décision devant le Tribunal administratif de Bordeaux. Ils demandent au juge des référés la suspension en urgence de cette décision et donc, leur inscription immédiate. L’audience est prévue, pour trois d’entre eux, le 16 septembre.
En juin dernier, le même tribunal administratif de Bordeaux a donné raison sur le fond à un étudiant recalé lui aussi en STAPS, en jugeant que « le tirage au sort pour l’admission post-bac à l’université est illégal ». Ce jugement technique, passé quasiment inaperçu, est potentiellement explosif pour les facs et le ministère de l’Enseignement supérieur car les procédures judiciaires commencent à se multiplier.
Sur quels critères s’opère aujourd’hui celle-ci ? A l’issue d’un écrémage en fonction « du domicile, de la situation de famille du candidat et des préférences exprimés par celui-ci » (article L 612-3 du code de l’éducation). En clair, le tirage au sort n’est effectué que parmi les néo-bacheliers en provenance de l’académie qui ont émis la formation en question en vœu numéro 1 sur la plateforme APB (admission post-bac).
Malgré la récente décision du Tribunal administratif de Bordeaux, le Recteur d’Académie de Bordeaux continue à pratiquer des tirages au sort pour les inscriptions en Licence 1 STAPS et Psychologie. Le tirage au sort a été évité de justesse cette rentrée en sociologie.
Tous les gagnants ont tenté leur chance
Ainsi, les 250 nouveaux étudiants qui ont fait leur rentrée vendredi 2 septembre en STAPS à Bordeaux sont les grands « gagnants » d’une vaste tombola, heureux élus d’un tirage au sort parmi des milliers de candidats. Pour être précis, sur 4355 inscriptions demandées, 1500 plaçaient STAPS en vœu 1 dont 1055 en provenance du secteur. Le tirage au sort s’est donc fait parmi ce gros millier de candidats.
En première année de Psycho, l’Université de Bordeaux a déterminé une capacité de 220 étudiants pour la procédure APB (hors redoublants), tirés au sort parmi les 735 étudiants de l’académie, sur un total de 4010 demandes.
Les voilà donc dans la filière de leur choix, en principe, parce qu’ils sont titulaires du bac ou d’une équivalence, condition sine qua non pour accéder à l’enseignement supérieur, mais aussi et surtout grâce au hasard !
Isabelle (le prénom a été modifié), jeune bachelière de 18 ans qui vit à la Réole (Gironde), n’a pas eu cette chance. Ses 8 vœux pour accéder en STAPS à Bordeaux, Pau, Toulouse, Rodez, Montpellier, Marseille, ont été refusés ou « n’ont pas abouti » sur APB. Elle fera sa rentrée dans quelques jours en première année de biologie, son 9e et dernier vœu, dit « libre ». Cette année, les lycéens des filières générales avaient obligation de faire un choix parmi les licences de leur académie aux capacités d’accueil suffisantes.
« Entrer à la fac, c’est dur alors en plus quand c’est dans une filière qui ne vous plaît pas réellement… Comme je suis boursière, j’avais peur de me retrouver sans rien alors j’ai accepté mon vœu libre pour être sûre d’être étudiante à Bordeaux. J’espère réussir mon année et demander une réorientation pour intégrer STAPS au second semestre ou l’année prochaine. C’est la loterie, ils ne regardent même pas si on fait du sport, quel est notre projet professionnel… Moi, je vais perdre une année alors que je souhaite devenir professeur de sport, que je pratique l’athlétisme depuis plusieurs années. »
Si le métier de prof de sport attire tous les ans davantage de jeunes étudiants, difficile de les dissuader de se diriger vers la filière STAPS. Le site devenir enseignant.gouv.fr rappelle pourtant que c’est un parcours du combattant : « Pour devenir enseignant d’EPS (éducation physique et sportive), il convient de suivre, après une licence STAPS, la formation du master MEEF (métiers de l’enseignement, de l’éducation et de la formation)… »
Erreur de droit
Isabelle, comme les autres recalés en STAPS, est théoriquement fondée à contester le refus de son inscription devant le Tribunal administratif, surtout qu’il existe désormais une jurisprudence locale. Pour l’instant, selon nos informations, ils sont quatre à s’être lancés dans une telle procédure, dont trois défendus par Maître Romain Foucard, l’avocat bordelais du jeune homme qui a obtenu gain de cause en juin dernier.
Cet étudiant s’était vu refuser son inscription en première année de STAPS en 2015, au motif qu’il n’avait pas été tiré au sort. Selon les juges administratifs de Bordeaux, le « Recteur de l’académie de Bordeaux avait (a) commis une erreur de droit », sa décision de refus d’inscription a été annulée et l’État condamné à verser 1200 euros au requérant. Si le tribunal administratif demande dans son jugement une nouvelle saisine du recteur pour l’inscription du jeune homme en STAPS, ce dernier est néanmoins parvenu à intégrer la filière de son choix au second semestre de la précédente année universitaire. « L’injustice est réparée », selon Maître Romain Foucard :
« Mon client* et sa famille sont soulagés, car ils ont le sentiment d’avoir fait avancer les choses pour les autres qui arrivent derrière. Les jeunes étudiants qui veulent intégrer la formation STAPS ont un grand sentiment d’injustice, ils se prennent une grosse claque lorsqu’ils s’aperçoivent comment ça marche, surtout qu’ils ont souvent respecté à la lettre ce qu’on leur a dit pendant leurs années de lycée : passer un Bac S, faire du sport à haut niveau, si possible sport étude… »
Et l’avocat de regretter que le Tribunal administratif n’ait pas remis en cause totalement le tirage au sort :
« Les juges ont basé leur jugement sur l’absence de texte réglementaire pour la mise en place d’un tirage au sort. Ils n’ont pas retenu d’autres arguments que j’avais fait valoir dans mes conclusions comme la rupture du principe d’égalité entre les candidats ou encore les critères de sélection contraires au code de l’éducation. Mais je ne désespère pas d’y parvenir. »
Situations kafkaïennes
Sélection à l’entrée de l’Université ? Le mot est lâché… Pourtant, le code de l’éducation est on ne peut plus clair, et inlassablement rappelé dans la jurisprudence quand elle est favorable au requérant (ce qui n’est pas toujours le cas) : « Tout candidat est libre de s’inscrire dans l’établissement de son choix , sous réserve d’avoir, au préalable, sollicité une pré-inscription (…). Lorsque l’effectif des candidatures excède les capacités d’accueil (…), les inscriptions sont prononcées (…) par le recteur chancelier, selon la réglementation établie par le ministre chargé de l’enseignement supérieur, en fonction du domicile, de la situation de famille du candidat et des préférences exprimés par celui-ci. »
« Le problème, c’est que le ministère n’a jamais établi la moindre réglementation depuis 1983. On se retrouve ainsi dans des situations ubuesques, kafkaïennes pour une inscription à l’université », déplore l’avocat bordelais Jean Merlet-Bonnan.
En juillet 2015, il publie avec sa consœur Camille Valdes un article très complet intitulé « Admission post bac : comment contester un refus d’inscription à l’université ? ». Ce document qui attire l’attention de la jeune association « Droits des lycéens » qui s’intéresse de plus en plus au fonctionnement d’APB.
« Depuis le mois de juillet, environ 200 personnes nous ont contacté à propos d’APB » avance Clément Baillon, le président de Droits des lycéens, qui revendique une centaine d’adhérents.
Avec leur avocat bordelais, Maître Jean Merlet-Bonnan, l’association aide les lycéens-futurs étudiants qui le souhaitent à contester les décisions d’APB à travers un guide publié sur leur blog.
Le 23 août dernier, un d’entre eux a obtenu la suspension du refus de son inscription en première année de médecine à Nantes, par une procédure d’urgence, en référé. Le Tribunal administratif a ordonné au Président de l’Université d’inscrire cet étudiant de manière provisoire dans un délai de huit jours, en attendant qu’il soit statué sur le fond.
Dans cette affaire, l’Université de Nantes expliquait que l’inscription avait été rejetée car l’étudiant avait accepté de faire médecine en Martinique ! Le juge a estimé qu’un déménagement de Nantes aux Antilles exposait l’intéressé à des dépenses particulièrement importantes…
Recours devant la CNIL et le Défenseur des Droits
Devant le nombre de cas, le président de la jeune association, créée en avril 2015, Clément Baillon, s’est intéressé de plus près à la gestion des inscriptions à l’université via admission post-bac :
« Où est le texte qui encadre APB ? Au départ, la plateforme a été conçue comme un outil informatique de traitement des pré-inscriptions à l’Université, on s’est rendu compte qu’il s’est transformé en outil de pré-sélection opaque, qui ne correspond pas aux critères légaux. Le ministère de l’Éducation nationale et de l’Enseignement supérieur refuse de nous communiquer le code source de l’algorithme qui régit APB. Nous avons saisi la CADA, la commission d’accès aux documents administratifs, dont nous attendons toujours la réponse. »
Reçus par un conseiller de la ministre Najat Vallaud Belkacem en juin dernier, les membres de l’association ont obtenu la communication de certains documents qui concernent l’utilisation d’APB par les facs, et que Rue89 Bordeaux a pu consulter. Ils sont tombés de leur chaise en découvrant des éléments encore plus alarmants les conduisant aujourd’hui à déposer une plainte devant la CNIL (commission nationale informatique et liberté) et à saisir le Défenseur des Droits. Selon l’avocat bordelais de Droit des Lycéens, Maître Merlet-Bonnan :
« L’université fait ce qu’elle veut et le logiciel de gestion d’APB permet potentiellement de sélectionner les candidats en fonction de leur sexe, de leur pays de naissance, de leur nationalité ou établissement d’origine. On peut, d’un simple clic, rendre une filière sélective ou non, accepter ou refuser une réorientation. Parfois, les personnes en réorientation ou qui ne sont pas néo-bacheliers sont éliminées d’office. Les délibérations sur les critères décidés par chaque université ne sont pas connues, c’est d’une opacité totale. Outre le fait que ces critères de sélections sont en contradiction totale avec le code de l’éducation, la loi Informatique et Liberté interdit toute décision administrative qui se fonderait uniquement sur un traitement de données personnelles qui viendrait à définir un “profil”, sans étude du dossier. Le tirage au sort est particulièrement contraire à cette disposition. »
Romain Leconte, secrétaire général de la FIDL Aquitaine, syndicat de lycéens, confirme ce flou dans l’accession à l’enseignement supérieur via APB :
« On a l’impression parfois que c’est à la tête du client. On m’a rapporté les propos d’une jeune étudiante qui voulait faire STAPS à Bordeaux, à laquelle on aurait fait comprendre que son inscription serait compromise car il y avait déjà trop de filles dans la formation… »
Rapport « accablant »
A propos du tirage au sort, « il n’y a pas plus stupide comme moyen de sélection surtout pour accéder à des filières très sélectives », disait en mai dernier le secrétaire d’Etat à l’enseignement supérieur Thierry Mandon au journal Libération, à propos d’une polémique sur l’entrée en fac de médecine en Île de France.
Pourtant, dans un communiqué de presse publié le 20 juillet, le ministère ne renie pas la pratique du tirage au sort et se félicite que « les améliorations apportées au système ont permis qu’aucun tirage au sort ne soit cette année effectué pour les licences de droit et la première année de médecine (PACES) et de le limiter à une seule filière de psychologie » (celle de Bordeaux NDLR). « Reste la filière STAPS qui (…) attire toujours plus d’étudiants qu’elle ne peut en recevoir ». Ce communiqué nous apprend également qu’un peu plus de la moitié des futurs étudiants (56, 4%) des 761 659 candidats passés par APB ont obtenu leur vœu 1 et étudieront bien en cette rentrée ans la filière de leur choix.
La situation est donc parfaitement connue et même dénoncée par l’administration elle-même. Un rapport de l’inspection générale de l’administration de l’Education Nationale publié en avril, s’intéresse très précisément au problème de l’affectation en première année des formations à capacité limitée (78 filières concernées en 2016). Ses auteurs y font des propositions qui visent à « éviter la pratique du tirage au sort, qui instaure, directement ou indirectement, une double forme de sélection : la première (…) élimine (…) une partie des candidats sans tenir compte de leur parcours antérieur, de leur motivation ou encore leur chance de réussite (…) ».
« Ce rapport a été cité par le rapporteur public du Tribunal Administratif dans l’affaire remportée sur le fond par l’étudiant refusé en STAPS Bordeaux et défendu par mon confrère Maître Foucard. Il est également repris dans le jugement. Ce rapport est accablant et primordial », estime Maître Merlet-Bonnan.
Parmi les recommandations listées par l’inspection générale figure, la nécessité pour le Ministère de « prendre un arrêté qui définisse (…) la procédure d’affectation dans l’enseignement supérieur et les modalités de traitement des candidatures – en particulier le recours éventuel au tirage au sort- (…) » Ou encore : « envisager un renforcement des capacités d’accueil en STAPS dans les universités les plus en tension-en particulier en Aquitaine et en Pays de Loire-(…) »
Arbitraire et opaque
Un texte réglementaire, c’est aussi ce que réclame l’association Droit des lycéens, qui refuse de prendre position sur la question de la sélection à l’entrée contrairement à l’UNEF (syndicat étudiant classé à gauche) ou la FIDL qui y sont farouchement opposés.
« Que l’on soit pour ou contre, c’est une question politique, explique le président de l’association. En revanche, nous refusons toute sélection arbitraire et opaque. Soit on fait en sorte qu’APB respecte le code de l’éducation, soit on modifie le code ! »
Pendant ce temps là, la « sélection » interdite se pratique toujours. L’État est régulièrement condamné. En l’absence de texte réglementaire, seul le Conseil d’Etat, s’il était saisi, pourrait tenter de clarifier la situation comme cela vient d’être le cas pour la sélection pratiquée en Master 1 et 2. Le Ministère a été contraint de publier en mai un décret présenté comme provisoire, pour tenter de légaliser la sélection mise en place par certaines universités lors du passage du Master 1 au 2. Le texte liste 1302 mentions de Master où la sélection est autorisée.
Mais là encore, la justice continue de donner raison a des étudiants écartés comme ça été le cas à Bordeaux le mois dernier. Le tribunal administratif a ordonné l’inscription en Master 2 « ingénierie financière » d’un étudiant, au motif que cette mention ne figure pas dans la liste annexée au décret. L’admission post bac ? Une chance au tirage, une chance au grattage.
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