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Quand le conflit en Syrie résonne jusqu’au FAB

Le Festival des arts de Bordeaux produit deux créations pour sa première édition. Et elles sont syriennes : Creative Memory, exposition sur l’expression artistique résistante, et Sous le Pont, pièce écrite et montée par deux artistes syriens installés à Bordeaux.

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Quand le conflit en Syrie résonne jusqu’au FAB

Dans le petit studio des Colonnes de Blanquefort, le metteur en scène Amre Sawah donne ses directives en arabe, parfois en anglais, aux acteurs pour la plupart amateurs de Sous le Pont. Ce soir-là, ils sont tout entiers attentifs aux gestes, aux voix, aux déplacements, aux intonations, en d’autres termes au théâtre, alors qu’il n’y a pas si longtemps, beaucoup étaient plongés dans le chaos syrien.

La pièce s’articule autour de Jamal, réfugié syrien avec qui le spectateur passe une nuit sous un pont. Nuit peuplée de rencontres violentes, touchantes. Ce pourrait être ici, à Paris ou Calais. Ce sera joué à Cenon, dans le Tube sous l’estacade, en arabe et en français. Dans ce récit violent, rattrapé par une réalité tellement palpable, le pouvoir des mots d’Abdulrahman Khalouf autorise les sourires et l’ironie, désamorce les clichés, multiplie les voix, tourne autour d’une question brûlante.

Secret de famille, en 2015

L’auteur et le metteur en scène se sont rencontrés il y a longtemps, lors de leurs études de théâtre à Damas. En 2015, ils se sont retrouvés à Bordeaux, où ils ont rapidement monté Secret de famille, une pièce où les rôles étaient inversés : Amre en auteur, Abdulrahman en metteur en scène.

« A Damas, on habitait ensemble, on était amis, on avait des rêves et des espoirs ensemble », lâche Amre Sawah.

Dans une société verrouillée, où le théâtre a du mal à trouver une place, l’un tente le voyage en France. L’autre reste, passe au documentaire sous l’égide de Nabil Maleh, figure du nouveau cinéma syrien des années 60. Quand la révolution éclate, Amre Sawah est aux premières loges.

« A l’époque je travaillais dans cette société de production, j’avais à disposition du matériel, un banc de montages, des tonnes de caméras. Je suis parti filmer, contre la volonté de Nabil Maleh. Mais c’était effrayant, risqué. Beaucoup sont morts, ont été emprisonnés. Je n’ai rien écrit sur la révolution, rien. C’était une matière trop vivante, trop présente. »

Sous le pont se jouera à l’estacade de Cenon du 20 au 22 octobre (DR)

Une vie en trois pages

Pour Abdulrahman Khalouf, cette matière se vit à travers le filtre d’un exil plus ancien.

« Moi aussi j’ai quitté la Syrie il y a quatorze ans, mais ce n’était pas la guerre. Je n’étais pas obligé de partir. Ce thème de l’asile politique m’intéressait. L’urgence syrienne m’a donné l’idée d’un texte dans les deux langues, qui rassemblent Français et Syriens. Il fallait traiter ce sujet d’une manière aussi folle que la réalité. Ce texte essaye de comprendre, plus que de proposer une vision. A travers lui, je parle finalement de tous les demandeurs d’asile en difficulté. »

Lui-même a beaucoup traduit de trajectoires de vie pour les dossiers de l’OFPRA (Office français de protection des réfugiés et apatrides). Trois pages maximum. Dérisoire pour raconter la folie de chacun des parcours de vie. « Il faut que tu leur donnes une histoire qui fasse pleurer les pierres » conseille, dans la pièce, le traducteur, à Jamal, le personnage principal interprété par Homam Affara, danseur syrien installé à Bordeaux.

Mais Jamal n’a pas besoin d’en rajouter, son histoire, même si devenue presque banale là-bas, s’avère insupportable à entendre ici. A mes côtés Amre Sawah respire plus fort, flanche un peu à l’écoute de ce monologue, pourtant entendu des dizaines de fois. Rien à faire, ce qui se joue dans la pièce écrite par son ami ravive encore trop de choses.

Un autre regard, loin des caricatures

Pour Sylvie Violan, directrice du FAB, raccrocher le festival au réel, et plus particulièrement à la situation syrienne était inévitable.

« Je le conçois comme ancré dans notre époque, il doit parler des problématiques d’aujourd’hui. Ce qui se passe au Proche-Orient, en Syrie, est un drame tellement important, qu’on ne peut pas ne pas en parler. Ce focus sur le Moyen-Orient et le Maghreb était incontournable. Et puis il y a la question des réfugiés, de l’accueil, des frontières et la montée de la xénophobie en France qui m’interroge. Avec cette création, on essaie de poser un autre regard, loin de l’image caricaturale et manichéenne. »

Cette pièce, produite par le FAB, n’est pas la seule incursion en terres syriennes. L’autre grande fierté de Sylvie Violan, c’est d’avoir réussi à monter l’exposition Creative Memory avec la Syrienne exilée à Beyrouth Sana Yazigi.

Creative Memory, une vingtaine d’œuvres syriennes exposées à l’institut Bernard Magrez (DR)

« La révolution a agi comme un véritable révélateur »

Très loin de Cenon et de son estacade, dans les beaux quartiers bordelais, l’Institut Magrez l’accueille en ses murs. Ne pas se fier aux explications des hôtesses d’accueil qui annoncent aux visiteurs « une exposition syrienne sur l’art-thérapie ». Non, ce qui se joue sous la verrière du château Labottière n’est pas de l’art-thérapie. Mais ce que la révolution syrienne a soulevé comme soif d’expression, artistique, citoyenne après 40 ans de chape de plomb.

Creative Memory constitue l’accrochage-prolongement d’un site internet foisonnant apparu en 2013 sous l’égide de Sana Yazigi. La Damascène, exilée à Beyrouth, y recense jour après jour la somme de traces « créatives » laissées par la révolution sur le net. Une manière de faire écho et mémoire avant que les signes de ce soulèvement ne disparaisse sous les couches de l’histoire officielle. A ce jour 22 000 œuvres, écrits, peintures photos, vidéos, banderoles, graffitis, timbres, caricatures s’accumulent sur le site trilingue, en prenant soin de tout contextualiser.

« La révolution a agi comme un véritable révélateur, expliquait Sana Yazigi au site internet penseepratiques en 2015. Depuis le début de la révolution, les gens ont pu commencer à s’exprimer librement, non seulement le citoyen ordinaire mais aussi les artistes qui se sont engagés à refléter la révolution et ses demandes légitimes dans leurs différentes œuvres. L’écart, auparavant très important, entre le monde artistique et intellectuel d’un côté et les gens de l’autre, s’est considérablement réduit. Et l’art est devenu plus populaire. »

C’est ce qui ressort de cette exposition de 30 œuvres consacrées au thème de l’espoir, à mi-chemin entre art et expression d’un voix citoyenne, en révolte, résistante.

Un mix d’anonymes et d’artistes reconnus

Sylvie Violan avoue avoir eu un coup de cœur pour ce projet et cette femme rencontrée lors d’un voyage à Beyrouth.

« La Syrie telle qu’on la perçoit dans les médias, ce sont des morts chaque jour, une guerre, des atrocités mais cela reste très abstrait. Montrer la création artistique rend visible les artistes mais aussi le peuple syrien. L’exposition est un mix d’anonymes et d’artistes très reconnus dont un certain nombre sont exilés. »

Aux murs, l’accrochage est cependant décevant, un peu trop maigre pour faire exposition. Il y a bien la série de photos noir et blanc de Jaber Al Azmeh, « La résurrection », ou la beauté des mots du poète Mahmoud Darwich qui martèlent l’espoir à même les murs

« Si je meurs avant toi, je te confie l’impossible. »

Mais pas assez pour dire le foisonnement du site internet, qui vise presque à l’exhaustif, ou pour être à la hauteur de la gravité du propos. L’exposition – qui pourrait s’enrichir et tourner – a tout de même le mérite de rendre visibles les Syriens autrement qu’à travers un traitement médiatique qui les fait victimes ou bourreaux, affamés ou tortionnaires. Et comme le dit Sana Yazigi « qu’ils soient le sujet et non pas l’objet ».

Y aller

Sous le Pont, d’Abdulrahman Khalouf, mis en scène Amre Sawah, le 20 octobre, 18h30, 21 et 22 octobre, 20h30, Le Tube, Estacade, Cenon, 5 €.
Creative Memory, jusqu’au 25 octobre, Institut culturel Bernard Magrez, Bordeaux, 6€ (gratuit avec le pass Fabaddict).


#Abdulrahman Khallouf

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