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Femmes, fous, réfugiés et tirailleurs, oubliés girondins de la Grande Guerre

Malgré le centenaire de la Grande Guerre, ce 11 novembre est plus synonyme de long week-end que d’armistice. Plusieurs initiatives tentent pourtant de restaurer la mémoire de ceux qui ont vécu la guerre mais sont restés sur le bas côté de l’Histoire : les tirailleurs naufragés de l’île de Ré, les soldats fous de Cadillac, les femmes et les réfugiés belges d’Eysines.

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Femmes, fous, réfugiés et tirailleurs, oubliés girondins de la Grande Guerre

Les milliers d’euros enterrés avec les soldats fous de Cadillac

Depuis Arles, Alain Bompard se désespère pour les soldats fous de Cadillac. L’ancien militaire avait trouvé une somme rondelette pour réhabiliter le cimetière girondin des oubliés. Depuis les Bouches-du-Rhône, il s’est pris d’affection pour ce terrain classé monument historique depuis 2010. Il regroupe des milliers de sépultures d’internés à l’hôpital psychiatrique dont des militaires devenus fous lors de la première guerre mondiale.

Mais les années passent et inexorablement, les croix se dégradent et les murs tombent en ruine. Les Amis du cimetière qui ont fait classer le lieu veulent une rénovation. Alain Bompard, membre de l’association du Souvenir Français en charge de l’entretien des cimetières militaires, plaide alors pour la mémoire de ces soldats, qui « n’ont pas la mention mort pour la France mais ont été meurtris dans leur chair et dans leur âme ». L’État l’écoute, opine et fait un geste.

Oubliettes

En 2014, le ministère des anciens combattants aurait donc débloqué 24500 euros de subventions. Personne n’y touche. Bompard renouvelle la demande de subventions l’année suivante. Elle est à nouveau acceptée, mais reste inutilisée. Pourquoi ? Parce que le projet solennel avec ses croix blanches que propose Alain Bompard ne plaît pas aux Amis du cimetière, à la mairie et surtout n’entre pas dans le cahier des charges des monuments historiques géré par la direction régionale des affaires culturelles (Drac). Même si Alain Bompard dit ne pas s’arque-bouter sur son projet, les discussions tournent court. Et depuis ? Plus rien. Las, l’ancien militaire a stoppé ses demandes de subventions.

Il reprend toutefois espoir en apprenant que le nouveau président du Souvenir Français de l’arrondissement de Libourne, Guy Le Normand, vient de reprendre le dossier. Cet ancien commandant de gendarmerie part avec un projet plus modeste. Après avoir planté un olivier (symbole de la paix), il voudrait « un semblant d’entretien » pour ce cimetière. Avant un jour, peut-être, de déterrer ce trésor de guerre ?

A Eysines, les femmes et les réfugiés d’abord

Depuis 2014 et jusqu’en 2018, la médiathèque d’Eysines se met à l’heure de la Grande Guerre. Une exposition raconte à travers une poignée de tableau la vie du bourg qui comporte alors 3000 habitants (contre plus de 21000 aujourd’hui). A l’époque, Alain Juppé n’est pas là contrairement au tramway. Celui-ci « permet déjà aux maraîchères de se rendre aux Capucins », raconte Joëlle Dusseau, à l’origine de l’exposition « Eysines 1916, un village pendant la guerre », qui est visible jusqu’au 18 novembre.

Les bouchères du Vigean (ce n’est pas le nom d’un polar) (DR)

Elle s’intéresse cette année principalement à la place des femmes, en se nourrissant d’archives communales, départementales et de la bibliothèque de Bordeaux. On raconte par exemple les sort des « munitionnettes » envoyées dans l’usine de poudrerie de Saint-Médard-en-Jalles où sans gants ni protection, elles « se retrouvent les mains brûlées ».

Emancipation

En remplaçant les hommes partis au front, elles montent en grade : qui conduit désormais le tramway, qui devient propriétaire du carrousel, qui se substitue au chef charron dirigeant les réparations de charrettes, qui remplace son mari directeur de l’école.

« A côté de la dureté de la vie, de la solitude, de la peur, il y a cette embellie qui prouve à la société et surtout aux femmes elles-mêmes qu’elles peuvent faire autre chose, analyse Joëlle Dusseau. A l’époque, elles sont maraîchères, servantes et quand elles travaillent avec des artisans, elles ne paraissent jamais, leur travail n’est pas reconnu. Ce sont les maris qui représentent le métier, la femme n’est vue que comme une aide. »

Socialement, les femmes gagnent une reconnaissance (le préfet somme le maire de lui dire combien de femmes peuvent travailler) et un salaire proche de celui des hommes. Avant de déchanter : quand les hommes reviennent du front, ils veulent les remettre à leur place d’avant-guerre. Seulement, l’émancipation des femmes est en cours, rappelle l’agrégée d’histoire et adjointe à la mairie d’Eysines :

« Ce n’est pas un hasard si à la fin de la guerre les femmes se mettent à fumer, se coupent les cheveux, se battent comme jamais pour le droit de vote. Entre les deux guerres, il y a une énorme prise de conscience, même si l’obtention de ce droit ne va pas aboutir tout de suite (en 1944, NDLR). Mais l’égalité avance dans les mentalités, et des hommes accompagnent ce mouvement. »

Cartes postales, objets d’époques sont présents dans les locaux de la médiathèque, ainsi que des vêtements – beaucoup de femmes en deuil se drapent de voile noir.

L’exposition revient également sur l’arrivée des réfugiés belges, qui ont quitté leur pays de manière brutale. Une trentaine de réfugiés sont installés par la préfecture dans le bourg.

« En leur honneur – la mentalité est un peu différente à travers le pays aujourd’hui – le conseil municipal avait choisi de donner le nom de ville de Charleroi, dont beaucoup était originaire, à une place d’Eysines. »

Pour ces expositions, des recherches inédites ont été faites avec l’aide de l’association Connaissances d’Eysines. Joëlle Dureau espère bien sortir un livre après le centenaire de l’armistice 2018.

Tirailleurs naufragés toujours oubliés

Lors de la Grande guerre, environ 200000 tirailleurs sénégalais se sont battus pour la France, dont plus de la moitié sur le sol européen. L’histoire héroïque est racontée et saluée notamment à Reims par le monument aux héros de l’Armée noire. Karfa Diallo, président de l’association Mémoires et Partages, tient à rappeler que la plus grande catastrophe maritime du pays est toujours oubliée.

Le paquebot L’Afrique vers 1920 (wikimedia)

Le 9 janvier 1920, le paquebot « l’Afrique » quitte les quais bordelais des Chartrons avec 600 passagers à bords dont un tiers de soldats de l’armée coloniale qui rentrent chez eux après la guerre. Devant aller à Dakar, le navire subit rapidement des avaries avant de faire naufrage, dont seules 36 personnes (dont 7 tirailleurs) en réchappent. En découvrant son existence, Karfa Diallo lit des récits de passionnés d’histoire maritime qui content le drame ou qui évoquent les « rescapés blancs occidentaux ». Mais rien sur les 178 tirailleurs sénégalais morts.

Appartenance

Ce jeudi matin, il a organisé une mobilisation devant le secrétariat des anciens combattants où il sera reçu dans l’après-midi. Le militant a convaincu l’archevêque de Bordeaux, des députés de droite et de gauche, le sénateur communiste Pierre Laurent, le président du conseil départemental de la Gironde et du conseil régional de la Nouvelle Aquitaine de le soutenir. Le maire de Bordeaux, Alain Juppé n’aurait lui pas donné suite.

Karfa Diallo revendique un hommage national avec l’édification d’un lieu de mémoire pour le centenaire en 2020 :

« Il faut qu’on aille chercher jusqu’au fond de l’océan ces français, et les honorer. Je suis persuadé que ça a des répercussions concrètes dans le sentiment d’appartenance au pays. »


#11 novembre

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