« Je vais me consacrer à la tâche de maire de Bordeaux, qui m’a donné et me donne tant de joie. » Largement battu par François Fillon au second tour de la primaire (66,6% à 33,4%), Alain Juppé a rapidement annoncé la couleur ce dimanche soir : ses ambitions nationales ruinées, l’ancien Premier ministre est de retour à la case locale.
Au Cajou Caffé où sont réunis ses partisans bordelais, les propos du boss, suivis sur les écrans de la brasserie, sont chaleureusement applaudis. Mais la pilule est dure à avaler. Ils ne sont d’ailleurs qu’une vingtaine – presque autant que de journalistes -, à être venus assister à cette déconfiture, très prévisible vue l’issue du premier tour – même si quelques uns voulaient voir dans la participation, plus forte qu’au premier tour, un signe encourageant.
« Les résultats ne sont pas à la hauteur de mes espérances », a euphémisé Alain Juppé, qui s’était lancé en 2014 dans la course à l’Elysée, et que tous les sondages donnaient gagnant une semaine avant le scrutin.
L’identité heureuse, et crac
« Il y a des branlées après laquelle il faut venir donner la main pour se relever », dit plus franchement un militant bordelais septuagénaire, en serrant au Cajou la pogne de Ludovic Martinez, le directeur de cabinet du maire et président de la métropole, dépité.
« C’est une espèce de malédiction bordelaise, avance ce dernier. Jacques Chaban-Delmas (maire gaulliste de Bordeaux de 1947 à 1995, NDLR) a parlé de Nouvelle Société, et crac (15% à la présidentielle de 1974, devancé par Giscard et Mitterrand). Juppé parle d’identité heureuse, et crac… Voila deux Premier ministre, deux hommes de qualité, qui ont échoué aux portes de l’Elysée. »
En parlant tous les deux trop au centre et à la gauche, au lieu de rassembler leur camp, comme l’impose une primaire ou un premier tour ? Si ses soutiens bordelais se refusent pour l’instant à tout diagnostic, Alice Provost, coordinatrice des Jeunes avec Juppé – son « premier engagement politique » -, salue « sa vision moderne de la droite » et ses idées « pas monnayables » :
« Ça l’a trahi, mais il a perdu en toute dignité et en toute honnêteté. Maintenant, ça va être compliqué de bosser pour Fillon, dont les positions sont trop conservatrices. Je ne vois pas l’intérêt de stigmatiser la communauté musulmane, et de revenir sur le mariage pour tous ou l’adoption par les couples homosexuels. Ce sont des débats du passé. Et puis ma mère et ma sœur travaillent au CHU, et je sais qu’on ne peut pas baisser le nombre de fonctionnaires dans ce secteur déjà étouffé. Si Fillon s’attaque à la santé ou à l’éducation, il y aura énormément de gens dans la rue, et j’y serai aussi. »
Baume au cœur
Finalement, François Fillon va peut-être réussir à rassembler droite et gauche aussi bien que son rival… D’autres militants disent avoir moins d’état d’âmes à se ranger derrière le nouveau patron de la droite. Mais tous se rejoignent sur la légitimité selon eux intacte de leur champion à rester maire de Bordeaux.
« Les Bordelais ont voté pour lui à plus de 60%, ce n’est pas un désaveu, poursuit Alice Provost. Il est maire jusqu’en 2020, et il doit le rester. »
Nicolas Florian, adjoint du maire en charge des finances, va dans ce sens :
« Alain Juppé fait 63% sur Bordeaux, 58% dans le département, c’est une preuve d’affection qui met un peu de baume au cœur. Il va désormais se consacrer pleinement à la ville et à l’agglomération, même si ce travail va être un peu difficile après avoir mené une belle campagne et porté un beau projet pour la France. »
Quelle sera « la blessure de l’échec, après avoir beaucoup travaillé et espéré » ? « C’est son sujet à lui », souffle Ludovic Martinez, selon lequel l’investissement d’Alain Juppé pour sa ville n’a jamais faibli et ne faiblira pas.
Révolutions de palais ?
Le retour à la réalité sera sans doute aussi cruel pour toute l’équipe d’Alain Juppé, qui comptait bien être entraînée dans son sillage vers de plus hautes fonctions… Si les investitures de Républicains aux législatives ne devraient pas être remises en cause par le succès de François Fillon, les élus Modem, qui revendiquaient des circonscriptions en cas d’alliance avec le parti de François Bayrou, à l’image de l’adjoint à la culture Fabien Robert, ont plus de soucis à se faire.
Le statu quo semble remettre à plus tard la redistribution des cartes au niveau de la mairie de Bordeaux, promise à Virginie Calmels, et de la métropole.Voire au delà de 2020, si Alain Juppé était tenté de se représenter ?
« Je ne pense pas qu’il se projette aussi loin, il ne battra pas le record de Chaban », estime Ludovic Martinez, qui ne fait donc pas de parallèle entre les deux maires sur le plan de la longévité.
Philippe Dorthe, conseiller régional et départemental socialiste, prédit même dans un communiqué le contraire d’une chabanisation :
« Au niveau local la chute du Maire de Bordeaux ne manquera pas d’avoir des incidences. La politique étant impitoyable, l’affaiblissement d’Alain Juppé va certainement aiguiser des appétits et déclencher des tentatives de révolution de Palais. Le grand écart de sa première adjointe ne manquera pas de susciter des questions au sein du microcosme municipal », conclut l’élu PS dans une allusion un peu lourdingue à la vie privée de Virginie Calmels, compagne d’un proche de François Fillon.
Un peu plus à droite
« La politique reprendra vite ses droits », estime aussi Matthieu Rouveyre, conseiller municipal socialiste :
« Pendant qu’il battait campagne, les dossiers sont restés en suspens. Alain Juppé devra rapidement répondre à de nombreuses questions liées notamment à la situation financière de la Ville. Back to reality ! »
Pour autant Matthieu Rouveyre, « opposant depuis 10 ans » d’Alain Juppé, « ne [se réjouit] pas ce soir » :
« D’une part, il n’y a rien de jouissif à la peine d’un homme qui a perdu son dernier grand combat. D’autre part parce que le résultat de cette primaire montre une droitisation forte de la droite dite républicaine et risque de faire resurgir dans la campagne présidentielle des thèmes nauséabonds. »
Et ses fumets n’épargneront pas Bordeaux, toute juppéiste qu’elle soit. Avant Chaban, la ville n’a-t-elle pas eu comme maire Adrien Marquet, apparenté socialiste devenu ministre de Pétain en 1940 ? Une forme de rassemblement au delà du clivage gauche-droite très loin des standards gaulliens.
Chargement des commentaires…