« Je n’ai pas été formaté par la chimie alors que je voulais devenir chimiste, » sourit Romain Rivière.
Avant de devenir viticulteur bio, ce Girondin passe par l’école centrale de Nantes, devient ingénieur, bosse dans les stations d’épurations de la Lyonnaise des Eaux et part comme coopérant en Chine.
« Avant de faire du vin, j’ai fait de l’eau. »
Cinq ans plus tard, il a l’opportunité de reprendre les terres achetées progressivement par ses parents depuis 1977. Agriculteurs conventionnels, ils l’encouragent à passer en bio, avec une difficile équation à résoudre :
« Ma mère voulait du bio, mon père voulait du rendement. »
Expert-comptable, le paternel pense avant tout au chiffre. Romain Rivière en tirera une préoccupation pour la commercialisation de son vin :
« J’ai compris que si mon vin ne s’écoulait pas, ce n’est pas qu’il n’était pas bon, mais que je ne savais pas le vendre. »
L’esprit ingénieux
Passer en bio devait lui promettre de meilleurs chiffres. En 2001, il teste les traitements bios sur ces terres en Bordeaux supérieur. Alors inexpérimenté, il reconnaît aujourd’hui ne pas avoir regardé les doses. Un voisin qui a déjà sauté le pas l’aide. Un conseiller d’Agrobio aussi. Convaincu, il essaime la bio sur ses terroirs en Pomerol et Lalande de Pomerol pour obtenir le label certificateur sur ses 35 ha en 2005. Et l’esprit de l’ingénieur est toujours là :
« On n’est pas parfait, mais quand on fait une connerie, on se donne les moyens de comprendre et d’arrêter de la faire. »
Exemple avec la maladie de l’esca : cette apoplexie de la vigne vient de champignons qui se greffent sur le bois mort et dessèche tout ou partie du cep. Pendant des dizaines d’années, l’industrie des pesticides conseille, avec la bénédiction de l’État, d’utiliser de l’arsénite de soude.
Ce produit qui a sans doute causé la mort de nombreux viticulteurs, dont le père de Valérie Murat -, est finalement interdit en 2001, quand Romain Rivière s’installe dans les vignes. Ses salariés – travaillant déjà avec ses parents – lui montrent l’importance de la taille.
« En fait, en taillant mal, vous créez du bois mort dans le tronc du cep, assure le viticulteur. Le champignon, l’esca, vient manger ce bois mort. C’est juste une conséquence naturelle, un nettoyage, mais l’esca ne pose pas de problème. Il faut juste changer sa façon de tailler. »
Contre le mildiou, il reprend à son compte le dicton des anciens :
« Le traitement qui te coûtera le plus cher, c’est celui que tu n’as pas fait, énonce-t-il en roulant les ‘r’. Le secret de la réussite en bio ce n’est pas de retarder le traitement jusqu’au dernier moment, c’est de traiter de bonne heure. »
Souvenirs de cavaillons
Seulement, le message a du mal à passer et à convaincre ses pairs. La faute pour lui au négoce qui « ne comprend pas la valeur du bio et veut vendre du vin moins cher alors que c’est du mieux-disant ». Depuis la classification officielle des vins de Bordeaux de 1855, le vert est dans le fruit, selon lui :
« En 1855, tout le monde était bio. Il n’y avait pas encore de chimie. Le classement des vins de Bordeaux a établi une reconnaissance commerciale. Cette reconnaissance créé la valeur du vin. Il y a un risque financier si on ne produit pas et cela a conduit à une course à la performance. »
La faute également à des mauvais souvenirs d’enfance que conservent ceux qui ont connu la viticulture avec la « révolution agricole » des années 1970 :
« Pour enlever l’herbe sans herbicide, on l’étouffe en mettant de la terre sous le pied de vigne. On dit qu’on chausse et déchausse. Parfois il reste de la terre autour du pied et des piquets, là où l’outil n’est pas allé : on appelle ça les cavaillons, et autrefois, on faisait tirer les cavaillons aux enfants. Un enfant qui a été privé de la liberté d’aller jouer avec ses copains pour aller tirer les cavaillons, il n’en retient pas un bon message : “ces cavaillons ils m’ont fait chier toute mon enfance, alors vive le désherbant.” »
La question qui le taraude aujourd’hui, c’est de savoir pourquoi la vigne tombe malade. Car si elle est bien alimentée, équilibrée, dans un environnement sain, rien ne devrait lui arriver, non ?
« La plante doit être en forme, ça c’est la vitalité. Mais si elle est trop vigoureuse, trop fertilisée, elle tombera malade. Ça, arriver à faire la distinction entre vitalité et fertilité, c’est de l’art. C’est là que le vigneron prouve sa compréhension de la nature. »
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