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Primaire : les Bordelais votent Juppé, mais Fillon plait

Environ 130000 Girondins se sont déplacés à la primaire de la droite, et Juppé est arrivé en tête dans le département avec 55,3% des voix, dont pas mal d’électeurs de gauche. Mais pour faire barrage à Sarkozy, beaucoup (27%) ont choisi Fillon. Reportage à Bordeaux et Cenon de Simon Barthélémy et Aline Chambras.

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Primaire : les Bordelais votent Juppé, mais Fillon plait

Pas facile de faire son « coming out » dans ces circonstances. Ce dimanche matin à Caudéran, alors qu’Alain Juppé est aussi dans la queue pour voter à la primaire – il attendra son tour pendant presque une heure devant la Chartreuse Saint-André -, quelques électeurs bordelais finissent par lâcher le morceau : ils vont voter François Fillon.

Après avoir longuement hésité avec Juppé – « les deux sont sérieux et pragmatiques avec les pieds dans le concret » – Nicole, 72 ans, a décidé de choisir « la jeunesse ». Elle nous le confie en chuchotant, comme si elle craignait d’être mal vue de ses voisins, dont la plupart disent leur préférence pour le maire de Bordeaux – « une évidence », selon Corinne, 49 ans, qui espère que « son patron » (elle est employée à la mairie) pourra faire profiter la France de « son savoir-faire ».

Sur une dizaine de personnes interrogées – à Caudéran, ce sont pour la plupart des gens qui votent à droite depuis toujours, voire des militants, tous assez âgés -, la majorité sont pro Juppé. Beaucoup le connaissent personnellement et/ou saluent son bilan.

« Je reviens vivre à Bordeaux, après en être parti pendant 10 ans, je vois comment il a redynamisé cette ville, il est largement capable de faire pareil au plan national », dit par exemple Arnaud, 35 ans, responsable marketing dans les médias.

« Juppé doit finir son travail à Bordeaux »

Mais pour les mêmes raisons, d’autres souhaitent voir Alain Juppé « rester à Bordeaux » :

 « On voudrait le garder comme maire, il n’a pas fini son travail, estime ainsi Annie, 70 ans. Tout le quartier de Bacalan est en gestation, il y a Euratlantique, et lui même dit avoir des projets dans les tiroirs. A Bordeaux, il a une autorité que n’a pas Virginie Calmels (son adjointe et remplaçante désignée, NDLR). Il y a une autre raison toute bête : vu son âge, il ne pourra faire qu’un mandat, or on ne peut rien faire en 5 ans », conclut cette enseignante à la retraite, qui va voter Fillon.

« Il a le meilleur programme, et il a été Premier ministre pendant 5 ans », estime Philippine, étudiante en droit de 23 ans venue avec ses parents, tous partisans du Sarthois.

Laurent, un cadre de 48 ans qui va voter Alain Juppé, n’est pas d’accord :

« Si François Fillon se retrouve face à Le Pen au deuxième tour de la présidentielle, il ne passera pas car ses idées sont trop à droite, il ne sera pas assez rassembleur. »

La longue file d’attente pour voter ce dimanche à Caudéran (SB/Rue89 Bordeaux)

Gaucho-juppéiste

De nombreux Bordelais se sont ainsi déplacés avec l’angoisse de 2017 en tête, comme Laurent, 50 ans, que nous rencontrons devant la mairie de quartier du Grand Parc.

« Si j’ai le choix entre une blonde et un chauve au deuxième tour, ce sera vite vu. »

Un peu comme Renaud était anarcho-mitterrandiste (avant de virer pro-Fillon), ce documentariste de 50 ans se définit comme « gauchiste et juppéiste » :

« Parce qu’il en a entre les deux oreilles et parce que la présidentielle, c’est différent des législatives, on vote plus pour une personnalité que pour des idées. »

Pour défendre son champion, Laurent va donc signer « sans états d’âme » la charte d’adhésion aux valeurs républicaines de la droite.

« En revanche, donner 2 balles pour payer l’organisation de cette primaire, c’est chiant, lâche-t-il. Alors j’ai acheté un journal d’extrême gauche sur le marché pour compenser », se marre-t-il en sortant de son sac à provisions « La Tribune des travailleurs ».

Question d’honneur

Comme il y a trop de monde au bureau de vote, Laurent fait demi-tour, se promettant de repasser plus tard. Mais il s’attarde pour discuter longuement avec Alain, 63 ans. Les deux hommes ne sont pas du même bord, mais sont manifestement heureux de causer politique, ce qui est toujours ça de pris.

« Gauche ou droite, j’en ai rien à foutre », prévient Alain, un caméraman à la retraite, qui avait voté Sarkozy en 2012, mais se dit aujourd’hui déterminé à « faire barrage » à l’ancien président.

« C’est une question d’honneur, les Français ne peuvent pas faire rentrer par la fenêtre quelqu’un qu’ils ont jeté par la porte. Et puis je suis pro-européen, je voyage beaucoup avec mes 3 enfants, et pour eux, je ne veux pas d’un vote de repli. »

Barrer la route à l’ancien président a visiblement été un leitmotiv efficace : cela a poussé à voter Juppé aussi bien Marine, électrice de gauche de 32 ans, « juste par ce qu’[elle ne veut] pas Sarkozy », que Juliette, 31 ans, qui ne veut pas à devoir revoter Sarko, comme en 2012, « parce qu’elle n’avait pas le choix ».

Au bureau de vote du Bas Cenon (AC/Rue89 Bordeaux)

Le moins pire d’entre eux

A Cenon, où Hollande a fait 72% en 2012, la primaire de la droite attire aussi des électeurs, désireux de garder (un peu) le contrôle de leur avenir. A la sortie du bureau du Bas Cenon – où 292 personnes, soit 4% du corps électoral, auront voté dimanche concerné – sur une quinzaine de personnes interrogées, la grande majorité a voté socialiste il y a 5 ans.

Aujourd’hui, ils se disent tous très déçus, quand ce n’est pas pire, par le bilan de « leur président », et ne voient pas comment un candidat de gauche pourrait tirer son épingle du jeu en 2017.

Alors ils se sont invités dans la primaire des Républicains. Participer au choix du candidat de la droite ne dérange pas Florence, une commerciale de 47 ans qui dit se situer au centre gauche.

« Pour jouer la carte de la sécurité, je veux faire en sorte que le candidat de la droite soit sur un axe plutôt centriste qu’extrême droite. »

Son candidat ? Juppé :

« C’est le moins pire et même si à 70 ans on est moins vaillant, il aura une équipe pour l’épauler. »

« C’est compliqué, hein ? »

Antoine, technicien de 25 ans, a une logique un peu plus confuse : il explique aimer les idées de Jean-Luc Mélenchon comme d’Emmanuel Macron, et dit se situer au centre gauche. Mais pour faire barrage à Sarkozy, il choisit Fillon parce qu’il « peut bousculer les choses », à l’inverse de Juppé, « trop vieux pour ça ».

Catherine, sage-femme à la retraite, qui a « toujours voté à gauche », a aussi « décidé de venir dire non à Sarkozy »… en glissant un bulletin Fillon dans l’urne, même si elle n’aime pas « son côté catho » et parce que  « Juppé ne (l) ‘a pas convaincue » – « On dirait qu’il s’en fout un peu », estime-t-elle.

A la question « est-ce que signer la charte stipulant qu’elle « partage les valeurs républicaines de la droite et du centre et (s’) engage pour l’alternance afin de réussir le redressement de la France » vous a dérangé ? elle esquisse un sourire : « J’y crois pas à cette charte, et alors ? ». Ça ne l’empêchera d’ailleurs pas d’aller aussi voter aux primaires de la gauche.

« C’est compliqué, hein ?… C’est une élection très compliquée qui se joue en 2017, vous ne trouvez pas ?» souffle-t-elle.

De plus en plus, si, en effet.


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