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Virginie Calmels à la mairie de Bordeaux : une succession sans aventure ?

Au lendemain du premier tour de la primaire de la droite et du centre, l’incertitude de voir Alain Juppé investi du rôle de candidat est maximale, alors qu’à Bordeaux, la succession à la mairie était déjà une affaire pliée.

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Virginie Calmels à la mairie de Bordeaux : une succession sans aventure ?

Supposons qu’Alain Juppé devienne notre prochain président de la République au printemps 2017, ce que le premier tour des primaires aurait tendance à rendre plutôt aléatoire. Il devrait abandonner sa fonction de maire de Bordeaux ; il pourrait même le décider au soir du second tour de  la primaire de la droite et du centre, s’il arrivait en tête, donc au début de décembre, s’il souhaitait véritablement se donner une image de leader national dégagé de ses fonctions locales. Or l’on sait que l’affaire est pliée : Virginie Calmels a été consacrée comme la « successeur naturelle ».

Il est vrai que, partie du statut de non-porteuse de carte de l’UMP, elle s’est hissée, par la grâce d’un compromis entre A. Juppé et la direction aquitaine et nationale du parti Les Républicains, comme la tête de liste aux élections régionales récentes. Elle aura été ainsi « couronnée », peu ou prou « légitimée », par cette bataille électorale, même si elle l’a perdue.

Elle y aura obtenu quelque renommée, reconnaissance, notoriété (avec des aspects négatifs aussi d’ailleurs…), et elle peut ainsi être dorénavant adoubée comme successeur du futur président, si c’est ce que choisissent les Français. On peut dès lors réfléchir sur le mode de succession qui domine pour les grandes mairies, afin de replacer cette probabilité bordelaise dans une histoire récente.

Vive l’alternance !

Quand la succession s’effectue à l’occasion du terme d’un mandat de six ans, quand le sortant s’est effacé ou même quand il se représente, le plus sûr moyen d’effectuer la succession est la défaite électorale et donc le changement de majorité.

On a vu ainsi à Toulouse les longs mandats du socialiste Louis Bazerque (1958-1971) s’achever par une défaite au profit du centriste Pierre Baudis, son adjoint aux finances ; l’ancrage à droite a été confirmé (Dominique Baudis, Philippe Douste-Blazy, Jean-Luc Moudenc) quand, soudain, la gauche (Pierre Cohen, 2008-2014) écarte la droite, puis celle-ci prend sa revanche (J.-L. Moudenc) : le jeu des barons et dynasties y a été secoué.

Même dans le bastion communiste du Havre, Antoine Rufenacht finit par faire gagner la droite en 1995 après trois essais malheureux. Et la gauche de Jean-Marc Ayrault avait battu la droite à Nantes en 1989, après que la gauche eut pris la mairie au centre-droit en 1977 et ait été battue par la droite en 1983.

De même, à Lyon, la droite a été battue par la gauche, après la retraite de Raymond Barre en 2001 : Gérard Collomb y a ainsi renoué avec la tradition de centre-gauche qui avait prévalu jadis avec le radical Édouard Herriot – entre 1905 et 1957 (Vichy exclu). Même le socialisme marseillais avait été ébranlé par la mort de Gaston Defferre et la droite avait fini par gagner la mairie, avec Jean-Claude Gaudin en 1995 – que Defferre avait pourtant battu auparavant en 1983.

Jadis, à Bordeaux, la droite conduite par le grand industriel huilier Fernand Philippart avait conquis la Mairie en 1919, mais l’avait perdue au profit du député socialiste Adrien Marquet en 1925, en une belle gifle donnée aux communautés d’affaires et bourgeoisies de la cité-port. Grenoble, enfin, qui avait vécu l’aventure fascinante d’une « troisième » gauche autour d’Hubert Dubedout (1965-1983), a subi une alternance entre la droite (Alain Carignon en 1983-1995), la gauche et, récemment, les écologistes – les socialistes ayant été terrassés.

Cependant, rappelons que, si Alain Juppé avait perdu la majorité à la Communauté urbaine de Bordeaux et avait dû céder son fauteuil présidentiel à Vincent Feltesse, il avait réussi à conserver le bastion de sa mairie entre 2008 et 2014, car Vincent Feltesse, pas plus qu’Alain Rousset auparavant, n’avait réussi à déloger la droite et le centre du Palais Rohan.

Virginie Calmels (SB/Rue89 Bordeaux)

Vivent les transitions douces !

Plus classiquement, on assure une transition douce, en puisant parmi les adjoints expérimentés et fidèles, mais aussi dynamiques et pas trop âgés. La droite l’a fait au Havre, quand Antoine Rufenacht, le 18 octobre 2010, annonce sa démission du poste de maire au profit d’Édouard Philippe – donc en cours de mandat, sans rôle du suffrage universel.

À Lyon, à la mort du maire « apolitique » (donc de droite modérée) Louis Pradel, on avait maintenu cette ligne autour du sénateur Francisque Collomb en 1976-1989, avant qu’on décide de politiser quelque peu la majorité autour de Michel Noir, chevau-léger du chiraquisme (1989-1005).

Pierre Mauroy avait pris le relais, en cours de mandat, d’un hyper-notable socialiste, Augustin Laurent, maire de Lille en 1955-1973, et ce fut une relève « naturelle » au sein de la SFIO de jadis, tout comme il avait auparavant cédé la présidence de la Communauté urbaine à Arthur Notebart au lendemain des élections locales de 1971. Tout dernièrement, Jean-Marc Ayrault a laissé Patrick Rimbert prendre les rênes quand il est devenu Premier Ministre en juin 2012.

D’ailleurs, à Bordeaux, on aurait pu faire venir un haut responsable de la banlieue. Ainsi, J.-M. Ayrault était maire de Saint-Herblain quand il a glissé vers Nantes – mais c’était pour y brandir le flambeau de l’alternance, et il y a réussi ! Ni Vincent Feltesse, venu de Blanquefort, ni Alain Rousset, venu de Pessac, n’ont eu la même chance…

Les rumeurs indiquent que le maire de Saint-Aubin-du-Médoc, Christophe Duprat, lorgnerait sur la présidence de Bordeaux Métropole et, par conséquent, tenterait de fédérer une coalition informelle, de droite, du centre et de gauche, pour bloquer Virginie Calmels, qui, dans ce cas de figure, devrait se cantonner dans la Mairie de Bordeaux…

L’écueil du dauphin

Une transition douce suppose de dénicher un successeur qu’on puisse former, insérer dans les cercles d’influence : c’est ce qu’on appelle un dauphin putatif… Et cette position est courante, pour nombre de postes politiques. Cela dit, être le « bon-adjoint-fidèle-et-prometteur » constitue parfois un handicap.

On sait que le Marseillais inusable Jean-Claude Gaudin, accroché à son poste jusqu’en 2020, assure-t-il, a rechigné à transférer la barre à l’ancien député et ancien secrétaire d’État Renaud Muselier, qui, bien que premier adjoint en 1995-2014, manquerait d’étoffe face aux roublardises de la classe politicienne phocéenne – et il l’a laissé être le numéro 2 de Christian Estrosi pour les récentes élections régionales.

Bordeaux aura d’ailleurs vécu un tel psychodrame en 1994-1995 : en effet, Jacques Valade, pourtant universitaire renommé, et fidèle compagnon de route de Jacques Chaban-Delmas, avait tout pour succéder à ce dernier ; il avait été même intronisé par un mandat de ministre, au sein du gouvernement de Jacques Chirac en 1986-1988, en  tant que ministre des Universités, afin de lui donner une stature nationale.

C’était un homme sérieux, riche en contacts sur la place, d’autant plus qu’il avait présidé le conseil général de la Gironde de 1985 à 1988 et le conseil régional d’Aquitaine de 1992 à 1998. Il avait donc tout pour plaire ! Mais Chaban-Delmas (seul ? avec d’autres, mais qui ?) aura fini par cantonner Jacques Valade dans la position de « fidèle second », sans vouloir le consacrer comme « leader » de la majorité dans l’année précédant son retrait.

C’est le cas aussi dans nombre d’entreprises, où le fameux « dauphin » se voit éliminé au profit d’une recrue extérieure ou d’un dirigeant plus jeune ; il y achève sa carrière ou, s’il est encore vaillant, il repart vers une autre société pour en prendre les rênes.

N’y aurait-il pas eu de dauphin prometteur à Bordeaux ? Chacun jugera de l’épaisseur du relativement jeune Nicolas Florian, adjoint aux finances, pourtant chargé de tonifier la droite en banlieue et à Bordeaux, sur le champ du militantisme politique et de l’adhésion partisane. Mais on devine qu’Alain Juppé n’a pas perçu en lui l’homme d’envergure dont il rêvait. Le « club des femmes » si dynamique à la Mairie ne paraît pas lui non plus receler des successeures putatives, quels que soient leurs mérites et leur punch – et Véronique Fayet est partie à Paris présider le Secours catholique.

Vive le parachutage !

Alors, ce serait le « parachutage » qui l’emporterait ! Chaban-Delmas avait fait appel à Alain Juppé, précisément, en 1994. Mauroy avait lui aussi choisi de faire monter Martine Aubry à Lille. Raymond Barre était descendu à Lyon et y avait occupé deux mandats, après la chute de Michel Noir pour cause d’affaires louches. François Baroin lui aussi a émigré vers Troyes, d’abord comme député, puis pour y prendre la succession du gaulliste historique Robert Galley en 1995.

Néanmoins, on notera une différence de poids avec le cas Virginie Calmès. En effet, Raymond Barre avait été Premier Ministre et ministre des Finances, et il avait été élu député du Rhône en 1978, puis réélu jusqu’en 2002 : son parachutage était parlementaire, comme celui de son prédécesseur, le gaulliste Louis Joxe ; c’est donc sur le tard qu’il était devenu maire de Lyon en 1995, pour empêcher la gauche de profiter des frasques de Michel Noir.

Martine Aubry, quant à elle, avait été ministre du Travail ou de l’Emploi (quoi qu’on en pense ex-post) en 1991-1993 et 1997-2000 et disposait d’une aura forte – et sa démission du gouvernement lui aura permis de mener sa bataille électorale victorieuse en 2001 et de s’appuyer sur la légitimité du suffrage universel pour devenir maire, tandis que Mauroy conservait un temps la présidence de la communauté urbaine. François Baroin était devenu député de l’Aube dès 1993. Et le parachuté Alain Juppé avait été secrétaire général du RPR et ministre. Bref, leur stature commune était imposante ! L’arbitraire de leur choix avait pu choquer ou décevoir des prétendants locaux ; mais, au moins, ils pouvaient se dire que le/la parachuté-e) présentait un profil compétitif indéniable.

« Le bon choix » ?

Le cas Virginie Calmels est tout autre : au-delà des pesanteurs des débats autour du genre en politique, on doit reconnaître que son épaisseur politique est bien mince, avec cette percée soudaine aux élections régionales puis un choix tout aussi imposé et monarchique comme adjointe au maire chargée de l’économie.

Hugues Martin, premier adjoint à d’Alain Juppé chevronné, et même son remplaçant pendant les deux ans de son inéligibilité, a dû grommeler devant un tel parachutage – et peut-être cela explique-il qu’il soutienne François Fillon pour les primaires de la droite et du centre… On pourrait arguer du cas de Nantes : là, on l’a dit, Jean-Marc Ayrault laisse son siège en 2012 à son adjoint Patrick Rimbert, pour assurer l’intérim ; mais c’est bel et bien par le suffrage universel que sa successeur Johanna Rolland, déjà conseillère générale depuis 2011, conquiert en 2014 sa légitimité.

L’historien doit tout de même rappeler que le parachutage est dans la tradition d’un certain gaullisme : quand celui-ci a souhaité partir à la conquête électorale d’une France trop à gauche ou contrôlée par la droite modérée ou le centre d’opposition, l’UNR, le parti gaulliste de l’époque, avait missionné des dizaines de jeunes louveteaux dans les circonscriptions et dans les grandes villes afin d’en évincer les notables sortants – comme Jean Charbonnel à Brive, Yves Guéna à Périgueux, Jacques Chirac en Corrèze ou Robert Boulin à Libourne. Beaucoup ont d’abord conquis des mairies avant un mandat de député, ou vice-versa.

Seule l’histoire à venir nous dira si ce parachutage de la communication parisienne à la vie politique bordelaise permettra à Virginie Calmels d’exercer durablement des mandats électoraux dans une Gironde marquée en tout cas par de profonds renouvellements, déjà effectués (au Conseil départemental, à Pessac) ou à venir (à Bègles, à Bordeaux, etc.). On ne saura qu’aux prochaines élections municipales, donc en 2020, si Virginie Calmels aura été « le bon choix » pour cette succession programmée d’Alain Juppé !


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