Le directeur-adjoint de la chambre des métiers de la Gironde, Sébastien Chenot, l’admet :
« C’est difficile d’avoir des chiffres précis. Jusqu’il y a peu de temps, il n’y avait pas de définition claire. La loi du 16 avril 2014 a permis de définir légalement ce qu’est un métier d’art et la nouvelle nomenclature datant du 24 décembre 2015 a permis de fixer la liste des métiers d’art. C’est tout nouveau, d’à peine un an. »
Cette nouvelle liste ainsi établie compte 198 métiers et 83 spécialités, soit 281 activités recensées au total. Mais les métiers d’art ne se défont pas pour autant de leur particularité : ils restent à cheval sur plusieurs champs, celui de l’artisanat et celui de l’artistique. Et cette double identité dessert autant qu’elle nourrit leur pratique. Un professionnel peut alors avoir plusieurs statuts ou formes juridiques : artisan affilié à une chambre des métiers, artiste à la Maison des artistes, profession libéral ou auto-entrepreneur, ou tout simplement salarié dans une manufacture d’art.
« Il y a cependant des critères retenus pour définir les métiers d’art, rappelle Sébastien Chenot. Il y a celui de la technique, celui de la production – objet unique ou petit série –, et celui de la maîtrise de la création dans sa globalité. Il faut un vrai apport personnel à la création. »
Toujours est-il que l’impact du secteur des métiers d’art se fait sentir. Il rassemble près de 38 000 entreprises en France et génère un chiffre d’affaires de 8 milliards d’euros, tous les champs de la création confondus, ainsi que dans ceux de la reconstitution, de la réparation et de la restauration du patrimoine. Car si les activités les plus visibles relèvent de la création (mosaïque, ébénisterie, ferronnerie, céramique, bijoux…), « les métiers de tradition et ceux de la restauration du patrimoine mobilier et immobilier sont de grandes familles d’activité », précise Sébastien Chenot.
Se diversifier
Pour les professionnels des métiers d’arts, les salons sont une véritable vitrine. Même si 47,1% d’entre eux n’y participent pas, selon l’observatoire 2014 des Ateliers d’Arts de France, mettant pour la plupart en cause le coût, ces événements se multiplient, notamment à Bordeaux, et s’affichent à l’approche des fêtes comme des marchés de Noël.
Anne Malécot-Boutin, céramiste-créateur à Castelnau-du-Médoc a loué un stand au salon Ob’Art dont la neuvième édition se tenait du 9 au 11 décembre.
« On ne sait jamais à l’avance si on va rentrer dans nos frais ou pas, mais c’est aussi l’occasion de montrer notre création. Certains de mes amis qui sont créateurs hésitent à participer à des salons. »
L’ancienne éducatrice possède un statut d’auto-entrepreneur. Comme beaucoup de ses confrères, elle diversifie ses activités pour multiplier ses sources de revenu : elle donne des cours de céramique.
Julie de Terssac, illustratrice et créatrice de bijoux à Saint-Loubès, fait de même :
« Lors d’une formation pour me reconvertir, j’ai rencontré plusieurs professionnels dont une qui m’a donné un conseil que j’ai gardé : celui de diversifier mes activités. »
Trois à quatre fois par an, la jeune femme intervient dans des écoles, l’occasion pour elle de parler de ses livres jeunesse auprès du public idoine. De la même manière, elle donne dans son atelier des cours à des adultes.
La créatrice, ancien ingénieure-chimiste, a pris la tangente du monde des molécules en 2011. Et ce n’est que récemment qu’elle arrive à se dégager un vrai salaire :
« Depuis l’année dernière seulement et parce qu’en attendant j’ai pu compter sur le soutien de mon conjoint. »
Anne-Malécot Boutin, quant à elle, n’a pu tenir plus de deux ans sans son salaire d’éducatrice. Si aujourd’hui, elle arrive à vivre de ses activités artistiques, elle a dû jongler pendant plusieurs années entre deux métiers.
Pour Corinne Puyo, la tâche a été encore plus compliquée. Après plusieurs vies professionnelles dans le marketing puis l’immobilier, elle a décidé de lancer Lairial, sa propre activité en néo-ébénisterie, au bout de 6 ans de réflexion. Aujourd’hui, même si ses créations plaisent, elle est confrontée à la difficulté de faire connaître sa production, d’où son choix de participer à des salons et marchés d’art car ils offrent, en plus d’une visibilité publique, le moyen de développer un réseau professionnel.
« On fait ce qu’on a envie de faire »
Georges Baudot, tourneur sur bois installé à Sadirac depuis 25 ans, est aussi présent au salon Op’Art :
« Participer à un marché, ça a un coût. Ici, j’ai payé la location du stand 850 euros, j’ai eu une réduction parce-que je suis adhérent au syndicat des Artisans des métiers d’arts (organisateur du salon, NDLR). Quand je participe à un salon en région parisienne, je sais que je devrais payer minimum 500 euros pour payer le logement, le péage, la nourriture plus le stand. »
Pour l’ancien technicien de l’armée de l’air, ça fait partie du jeu :
« On fait ce qu’on a envie de faire. On ne gagne pas beaucoup d’argent, mais on n’a pas beaucoup le temps non plus pour le dépenser. Et puis si l’on veut gagner de l’argent, mieux vaut vendre des frites ou des pizzas… »
Ou bien moduler sa production ! Les artisans d’arts peuvent en effet travailler avec d’autres professionnels : des architectes, des designers ou des restaurateurs par exemple. Dans ce cas, pour reprendre l’expression de Georges Baudot, « l’artisan permet à l’artiste de vivre ».
Oscar Galea est installé depuis 12 ans à Bordeaux. Ses revenus fluctuent et il assume :
« Je peux gagner 200 euros un mois et le suivant 3000 euros. Je crée mes bijoux et si ça plaît tant mieux sinon tant pis. »
Il faut dire qu’aujourd’hui, ce bijoutier designer s’est constitué au fil des années un réseau de points de vente, en France mais aussi à l’international comme aux Etats-Unis, au Japon et en Belgique, et travaille également avec des musées. Par ailleurs, l’andalou, qui est aussi musicien, se sent avant tout créateur et non pas artisan d’art, « un mot qui fait vieillot » et dans lequel il ne se reconnaît pas.
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