Dans la nuit du 16 au 17 janvier dernier, les autorités douanières d’Arcachon ont intercepté un convoi particulier en provenance d’Espagne, contenant pas moins de 520 kilos de pibales braconnées, selon la direction interrégionale des douanes de Bordeaux. Cela constitue un record historique dans le département.
L’alevin de l’anguille (également appelées civelles), classé espèce vulnérable par l’Union européenne, est protégé par la convention de Washington depuis qu’il a intégré le cercle fermé des espèces menacées d’extinction de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) en 2009. Seuls les pêcheurs professionnels munis d’une licence ont le droit de le pêcher, en s’engageant à respecter un quota annuel sur la saison de pêche qui se déroule de novembre à la mi-mars.
La marchandise, que l’on qualifie d’ « or blanc », serait estimée à un chiffre record de 600 000 €. Elle était cachée à l’arrière d’un camion banalisé, immatriculé en France, mais provenant de San Sebastian en Espagne.
Le camion a été contrôlé au péage de Saugnacq-et-Muret sur l’A63, dans le cadre d’un contrôle routier ordinaire. La marchandise déclarée faisait état d’un chargement de 400kg de crevettes roses réparties en 22 caisses. Il se trouve que toutes les caisses, ou presque, étaient en réalité remplies de pibales. Le conducteur a nié être au courant de quoi que ce soit et ne saurait pas grand chose.
Braconnage massif
On sait que l’entreprise, qui l’a rémunéré 500€ pour la course, est dirigée par son frère. Le chauffeur avait pour ordre de livrer la marchandise jusqu’à Châtellerault, où un autre camion l’attendait pour transférer la marchandise à l’aéroport de Roissy Charles de Gaulle. Les enquêteurs ont retrouvé un bon de livraison de crevettes roses en direction de Bangkok, en Thaïlande. L’espèce étant protégée par les conventions européennes, il est formellement interdit d’exporter « l’anguille européenne » hors de l’UE, notamment en Asie, principale destination des braconniers.
Peu après sa saisie, le colis a été remis aux services des Affaires maritimes de la Direction départementale des territoires et de la mer (DDTM) de la Gironde qui, avec l’aide de l’Agence française pour la biodiversité (AFB), a remis à l’eau ces spécimens de cette espèce migratoire. Julian Virlogeux, chef de l’unité Encadrement et contrôle des usages de la DDTM, mesure l’ampleur de la tâche :
« Ce genre de trafics est difficile à tracer et le braconnage est malheureusement massif. »
Il n’est pas étonné de cette prise et affirme l’utilité des contrôles à l’improviste. La DDTM concentre toutes ses forces à la préservation de cette espèce, en réalisant des patrouilles de nuit, principalement dans les marais du Médoc, en compagnie de la gendarmerie nautique et de l’Office national de l’eau en milieux aquatiques (ONEMA).
Si la direction recense bien de petites prises – quelques kilos sur le mois de décembre –, il n’y a aucun précédent à la saisie récente des douanes. Selon Julian Virlogeux, ces grosses prises permettent généralement de remonter à de plus gros réseaux comme ce fut le cas l’année dernière en Loire-Atlantique où 9 personnes furent interpellées, démantelant ainsi un trafic avec 645 000€ d’avoirs.
Dans son communiqué de presse, la préfecture se félicite du succès de cette opération « qui montre la détermination de l’État à lutter contre la pêche illégale et le trafic international, qui mettent en péril la capacité de cette espèce à se renouveler durablement ». On annonce d’ores et déjà des opérations conjointes similaires dans les semaines qui suivent, entre les différentes administrations telles que la gendarmerie maritime et les douanes, l’AFB, la DDTM ou encore l’Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS).
Le Comité national des pêches maritimes et des élevages marins (CNPMEM) et le Comité national de la pêche professionnelle en eau douce (Conapped) ont salué l’année dernière le démantèlement de la filière clandestine de Loire-Atlantique, et ont appelé à des sanctions exemplaires. Malgré tout, ils redoutaient les amalgames que ce genre de faits divers pourraient provoquer, en décrédibilisant la profession entière. Les deux comités rappelaient alors les efforts consentis par les professionnels français depuis 2006 avec une réduction de presque 60% de la flottille, soit une implication plus élevée que leurs obligations.
Des pêcheurs concernés
Ces comportements hors-la-loi font écho à la mise en garde en janvier 2013 de la sénatrice PS de Gironde Françoise Cartron à Frédéric Cuvillier, alors ministre délégué chargé des Transports, de la Mer et de la Pêche, sur l’épuisement précoce des quotas de pêche deux mois avant la fin de la saison :
« La baisse sensible des ressources de pibales, soumise à une forte mortalité ces dernières années, est une réalité inquiétante qui s’explique par de nombreux facteurs, par la pêche, mais également par l’assèchement de zones humides, l’artificialisation, l’introduction d’espèces invasives et de parasites et, bien entendu, la pollution. »
Les pêcheurs critiquaient alors les normes européennes et des réglementations alors différentes entre États membres.
Jacqueline Rabic, figure reconnue dans la profession et membre de l’Association de repeuplement de l’anguille (ARA), s’offusque du braconnage à destination de l’Asie. Très remontée, elle tient à préciser que ce ne sont pas des pêcheurs français qui sont concernés dans cette saisie, mais bien des espagnols. Elle considère que certains aspects de la réglementation européenne devraient être revus, notamment vis-à-vis de la libre circulation des anguilles, condition indispensable à leur reproduction. Cette circulation serait bloquée selon elle par les turbines électriques des barrages de pays voisins qui ne respectent pas la réglementation sur le sujet.
Chargement des commentaires…