Ce plaidoyer, déjà publié par son auteur sur son blog No Wine Is Innocent, réunit toutes les réponses aux questions que vous vous posez sur le vin naturel, à commencer par sa définition. Après sa lecture, vous saurez tout sur cette philosophie en plein essor dans le monde viticole comme alternative à l’utilisation des pesticides.
Il ne vous restera plus qu’à venir déguster ces vins, portés par leurs producteurs venus des quatre coins du monde, au salon Sous les pavés la vigne qui aura lieu le 11 et 12 février aux Vivres de l’Art à Bordeaux.
1- Non, le vin naturel n’a pas de définition officielle
So what ?
Le vin naturel n’est pas reconnu par les autorités, les instances, les officiels, pour lesquels « le terme naturel n’a pas de définition réglementaire » [PDF]. Mais il a une définition admise, suffisante et nécessaire, mise en mots par l’Association des vins naturels (AVN) ; une association fondée notamment par Marcel Lapierre, vigneron historique de ce mouvement. Une définition simple, qui évite toute ambiguïté.
2- Oui, le vin naturel est bio
Sinon, c’est pas trop cohérent, hein.
Dans cette définition de l’AVN, le doute est immédiatement levé : un vin naturel doit être bio. C’est à la base de la charte, le premier engagement des vignerons. Ce choix cultural s’inscrit dans une logique globale, qui va de la terre cultivée jusqu’à la bouteille de vin (à noter qu’un viticulteur m’a un jour assuré pouvoir faire des vins sans sulfites ajoutés précisément parce que ses raisins n’étaient pas bio ; mais là, on marche sur la tête).
3- Non, le vin naturel ce n’est pas du vin « sans soufre »
Mais ça peut.
Le soufre, les sulfites, sont produits naturellement lors de la fermentation. Par ailleurs, l’AVN autorise l’addition de faibles doses de sulfites dans les vins naturels :
« Aucun intrant n’est ajouté, le soufre demeurant l’exception. Un vin AVN contiendra donc pas ou peu de sulfites ajoutés [pour un total de 30 ou 40 mg/l maximum, fonction de la couleur du vin, loin des doses autorisées en vinification conventionnelle qui grimpent jusqu’à 200 ou 250 mg/l au total, ndlr]. »
L’absence de sulfites ajoutés est un objectif mais pas une obligation.
4- Non, le vin naturel n’est pas une mode
Une mode, ça ne dure pas des décennies, OK ?
La tecktonik est une mode, pas le vin naturel. Les modes passent, le vin naturel a toujours été là. Aujourd’hui, il est seulement plus visible, plus exposé, mieux défini aussi – d’autant mieux défini que les vins conventionnels s’en sont nettement éloignés (de par l’important arsenal de produits œnologiques auquel on peut recourir lors de leur conception).
5- Non, le vin naturel ce n’est pas (que) du marketing
Et le marketing, ce n’est pas sale.
Pas plus que tout le reste, en tout cas. Les vignerons naturels sincères dans leur démarche – la majorité – font d’abord du vin comme ils l’entendent. Ils utilisent ensuite les codes du vin naturel pour se démarquer de la masse des vins conventionnels. Souvent sans appellation, déclassés, ils s’appuient par exemple sur des étiquettes ou des noms de cuvée décalés, différents. Cela s’inscrit dans une démarche alternative globale.
6- Oui, le vin naturel inspire toute la filière viti-vinicole
Peace and love ?
Situé à l’avant-garde des vins « propres », le vin naturel est surexposé : qu’il soit critiqué, dézingué ou idéalisé, il fait régulièrement parler de lui. La tendance, si elle reste minoritaire, n’en est pas moins réelle et installée. Parfois même récupérée. Ainsi, elle affecte la filière, elle indique une direction, un idéal (salutaire ou naïf, selon les commentateurs) qui n’a pas vocation à être généralisé mais peut constituer une source d’inspiration concrète.
7- Oui, le vin naturel est clivant parce qu’il (s’)impose la transparence
On l’appelle aussi « vin nu ».
L’expression « vin naturel » dérange, agace, clive. D’abord par ce qu’elle sous-entend : si ces vins sont plus naturels, c’est que les autres le sont moins. Pourtant, c’est un fait : les vins naturels, en s’interdisant 99% des additifs et procédés œnologiques autorisés par ailleurs, font du vin avec du raisin (bio) et presque rien d’autre. En cela, ils jouent la carte de la transparence – et pointent en creux le manque de transparence du vin en général, dont les étiquettes ne disent pratiquement rien des additifs utilisés (contrairement à la plupart des autres produits alimentaires).
8- Oui, les journalistes tradi y viennent aussi
Et ils en boivent plein en loucedé.
Les journalistes du vin, installés dans leur revue ou leur guide, se doivent d’appréhender le vin globalement, sans parti pris. Dans les faits, cela se traduit souvent par un soutien à la filière tradi et à l’establishment ; ils peuvent en revanche difficilement célébrer le vin naturel – trop minoritaire, trop clivant – et ne l’évoquent pas en tant que tendance ou mouvement (sinon pour le minimiser ou le nier). Mais ils vont parfois mettre en avant un vigneron naturel, ou encore un type de vin habituellement associé aux vins naturels (comme les vins oranges). La qualification « naturelle » de ces vins restera au second plan, sera délibérément zappée. De plus en plus de journalistes réticents à employer cette expression finissent cependant par la tolérer.
9- Oui, le vin naturel, c’est bon
Et parfois, c’est même une pure joie liquide.
Le vin naturel contient des idées, c’est certain ; mais il se doit avant tout d’être bon dans la bouche, bon à boire. Les défauts et déviances aromatiques qu’on lui reproche régulièrement sont le plus souvent relatifs, anecdotiques. Les ratés sont rares. Dans l’ensemble, la qualité est là.
En bouche, les vins naturels manifestent des différences qui leur sont propres : ils font des vins plus digestes, accessibles, au fruit préservé ou sublimé, et souvent intenses d’expression.
10- Oui, le vin naturel a un rôle à jouer en dehors des bars à vin
Même si les bobos ne boivent pas que de l’eau.
Dans son film, « Résistance Naturelle », Jonathan Nossiter crée des liens, des passerelles, entre ces vignerons naturels, en marge de l’industrie viti-vinicole, et les cinéastes indépendants qui, selon lui, doivent s’en inspirer.
Le vin naturel est ici perçu comme le résultat d’un processus de création libéré : libéré des produits chimiques de synthèse, du carcan des appellations standardisées, des grands réseaux de distribution, des guides à papa et des médailles en toc… ; libéré, en bref, du long tunnel de l’industrie dominante.
En cela, le vin naturel pourrait être un modèle pour toute forme de création artisanale, toutes disciplines confondues… Le vin naturel, mode d’emploi pour recouvrer une liberté égarée dans les rayons de notre société de l’hyper-consommation ? Et pourquoi pas.
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