« Je voulais partir. Je voulais être effacée. »
Amélie (tous les prénoms ont été modifiés), grande blonde de 18 ans, revient de loin. La première fois qu’elle tente de mettre fin à ses jours, elle a 12 ans et avale tous les médicaments qu’elle trouve dans l’armoire à pharmacie familiale avant de se tailler les veines. Même si elle avait lancé quelques signes d’alerte, en dessinant par exemple des cercueils sur ses devoirs, c’est la sidération pour ses parents.
« Ils étaient en pleine embrouille entre eux, et ne faisaient pas vraiment attention à moi. En plus, à la maison, je faisais tout pour cacher mon mal-être », raconte la jeune femme.
Suivie au centre Jean-Abadie depuis cette première tentative de suicide – elle en fera deux autres ensuite – elle parle d’une voix posée de cette période de grande souffrance :
« Je me trouvais trop grosse, je me scarifiais, j’étais très seule, je voulais rester dans ma bulle. Maintenant je me sens mieux, je suis en terminale, j’ai découvert la philosophie, ça m’a beaucoup aidé. »
Comme Amélie, les très jeunes adolescents (moins de 16 ans) et notamment les filles entre 13 et 15 ans, sont de plus en plus nombreux à tenter de se suicider : au centre Jean-Abadie, où 350 adolescents séjournent chaque année, les moins de 15 ans représentent désormais la moitié des patients (alors que la moyenne d’âge y était, il y a encore quelques années, de 17 ans).
Branchez les guitares
Aujourd’hui, Amélie est venue participer, comme tous les mardis, à l’atelier Live, une séance de médiation par la musique de deux heures, orchestrée – au sens propre et figuré – par le psychiatre Xavier Pommereau : avec cinq autres jeunes, qui ont tous en commun d’avoir tenté de mettre fin à leur jour il y a quelques mois ou plusieurs années, Amélie mettra son mal-être de côté pour brancher micro, guitare, basses et batterie et enchaîner les tubes de rocks.
D’une voix profonde, elle qui lors de ses premières consultations au centre, restait muette, entonne les premières paroles de « Eye of the Tiger ». Le résultat est bluffant. Ces jeunes ont la musique dans la peau. Tout comme le psychiatre, Xavier Pommereau, qui les accompagne à la guitare.
Cela fait désormais 4 ans que cet atelier live, fort en décibel, a été créé au Centre Jean-Abadie, explique le psychiatre :
« On a face à nous des adolescents nouveaux, qui ne fonctionnent pas comme les ados d’avant, on ne peut pas juste leur proposer des échanges verbaux : le psy retranché derrière son bureau qui analyse leurs paroles en faisant “hum”, ça ne marche pas avec eux. Les jeunes d’aujourd’hui font partie de la génération du numérique, du virtuel. Il faut leur mettre la main à la pâte. C’est pour ça que nous avons mis en place cet atelier Live. Bien sûr, les adolescents suivis ici continuent à être entendu par un psy, mais il fallait que nous adaptions nos méthodes si nous ne voulions pas être à côté de la plaque. »
Pour Amélie, l’atelier live a en effet vraiment fait pencher la balance :
« A mon arrivée au centre, mes rendez-vous avec un psychiatre ne donnait rien. Je ne parlais pas. Je ne posais aucun mot sur ce que je vivais. C’est quand le docteur Pommereau m’a proposé d’intégrer cet atelier de musique que j’ai commencé à m’ouvrir et à me sentir mieux. »
Couleurs tristesse
Dans la même optique, d’autres ateliers ont également été mis en place. L’un baptisé Métamorphoses, permet aux jeunes de jouer sur leur apparence, leur identité, et par exemple, comme l’explique Xavier Pommereau « de se maquiller aux couleurs de leur tristesse ». C’est également une manière d’aborder de manière ludique, les troubles de l’identité de genre : un phénomène qui touche de très nombreux jeunes.
« Ici, quand vous demandez à un ado s’il se sent hétérosexuel ou homosexuel, la plupart répondent qu’ils sont bisexuels, constate Xavier Pommereau, qui y voit là une conséquence des évolutions sociétales et scientifiques. Or le risque suicidaire chez les adolescents qui ont une identité sexuelle mal définie est plus élevée que dans la population générale. Notamment en raison des problèmes de harcèlement dont ils peuvent être les victimes. Le harcèlement en général, pour des raisons d’apparence physique ou autres, est d’ailleurs un problème qui s’amplifie aujourd’hui, en partie en raison de l’importance des réseaux sociaux. »
Léa, 17 ans, enfouie dans un sweat-shirt trop grand pour elle, a été harcelée dans son collège, jusqu’à ce qu’elle craque à 15 ans et demie et tente de mettre fin à ses jours par overdose médicamenteuse. Humiliée, mise de côté par les autres élèves et agressée, elle a du mal à mettre des mots sur ce qu’elle a vécu :
« Je suis petite, alors les gens se moquaient de moi. Et puis les jeunes aujourd’hui font ça pour se sentir puissants, pour être appréciés. Mes parents ? Ils ne voulaient pas comprendre, ils ne se rendaient pas compte et puis je n’arrivais pas à dire ce que je ressentais. »
« Souvent, les parents sont en effet très mal placés pour voir ce qui se joue, ils sont trop près de leur enfant », note Xavie Pommereau. Aujourd’hui, Léa a réussi à parler vraiment avec ses parents et estime « avoir pris de la graine », notamment grâce à l’atelier live : « j’ai toujours hâte de venir ici. »
A ses côtés, Antoine, assis derrière sa batterie, 16 ans, manie les baguette avec un plaisir non feint. Suivi au centre Abadie depuis septembre 2016, il ne parvient pas encore à dire ce qui ne va pas dans sa tête. C’est son père qui l’a retrouvé chez lui, une corde autour du cou. « C’est un vrai rescapé », raconte Xavier Pommereau. Au centre Jean-Abadie, les garçons ne représentent que 30% des effectifs :
« Ce n’est pas parce que les garçons passent moins à l’acte, mais tout d’abord parce qu’ils y restent plus souvent, précise le psychiatre. Ils utilisent des méthodes souvent plus radicales, comme la pendaison ou les armes à feu. S’ils sont ici moins nombreux, c’est aussi parce que les garçons, quand ils sont en souffrance s’en prennent davantage au corps social et tombent plus souvent dans une approche disons policière de leur mal-être. Alors que les filles s’en prennent davantage à leurs propres corps. »
C’est le cas de Marie, 18 ans, à peine plus grosse que sa basse. Hospitalisée pour anorexie profonde, il y a un an, elle s’est servie de son corps pour sonner l’alarme. Née en Russie, de mère inconnue, elle a été adoptée par un couple bordelais.
« Sa souffrance est liée au fait qu’elle ne sait rien de sa primo-histoire, analyse le psychiatre, alors même qu’elle y pense beaucoup. Ça la questionne, ça la travaille, elle ne sait pas si sa mère biologique est vivante, pourquoi elle l’a abandonnée. Et comme dans de très nombreux cas de jeunes suicidaires, on voit une corrélation entre une vive souffrance existentielle et une grande capacité à penser. Les adolescents suicidaires sont souvent des jeunes très intelligents qui ne parviennent pas à se mettre en valeur, qui ont une faille dans la manière de se sentir reconnu au monde. »
En leur proposant de jouer d’une certaine manière les rocks stars, Xavier Pommereau et son équipe veut leur donner les moyens d’arrêter de se dénigrer. En les écoutant jouer « Stairway to Heaven », on se dit qu’ils y arrivent.
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