Le fond de la scène est bleu, les drapeaux français et européen de sortie, le pupitre dressé. Dans le salon de l’hôtel de ville de Bordeaux, toute la presse nationale attend Alain Juppé, suspendue à l’annonce du maire : va-t-il ou non répondre aux nombreux appels qui lui sont lancés pour remplacer François Fillon comme candidat de la droite et du centre ?
Le maire arrive l’air grave et pénétré. L’instant est solennel. Alain Juppé commence par livrer son analyse catastrophée d’une élection présidentielle, qui ne s’est « jamais présentée dans des conditions aussi confuses ».
Entre une gauche « déboussolée, fracturée entre plusieurs sensibilités irréconciliables » et un Front national « empêtré dans des démêlés judiciaires », cette situation profite d’abord à Emmanuel Macron, « pourtant inspirateur et acteur de la politique économique de François Hollande », selon Alain Juppé, qui critique l’ « immaturité politique et la faiblesse du projet » de l’ancien ministre de l’économie.
Obstination
« Quant à nous, la droite et le centre, quel gâchis ! », lance l’ex-candidat à la primaire, qui estime que son vainqueur, François Fillon, « avait un boulevard devant lui ». Mais après le déclenchement des investigations judiciaires dans l’affaire de l’emploi d’assistant parlementaire, présumé fictif, de sa femme, « son système de défense fondé sur la dénonciation d’un prétendu complot et d’une volonté d’assassinat politique l’ont conduit dans une impasse », estime Alain Juppé.
Rappelant avoir « reçu de très nombreux appels [lui] demandant de prendre la relève », qui l’ont fait « hésiter », l’ex Premier ministre dit aujourd’hui niet :
« A mes yeux la condition sine qua non, c’est le rassemblement le plus large possible de la droite et du centre. Je n’ai pas réussi à le faire lors de la primaire. Aujourd’hui le rassemblement est devenu plus difficile encore car une partie du centre, que certains ont rudement stigmatisé, nous a quitté (François Bayrou, rallié à Emmanuel Macron, NDLR). Le noyau des militants et sympathisants Les Républicains s’est radicalisé. Et François Fillon n’a cessé d’affirmer son obstination (à maintenir sa candidature). Si des pressions le contraignaient à renoncer, le passage de témoin se ferait dans la douleur. (…) Je ne suis donc pas en mesure aujourd’hui de réaliser le nécessaire rassemblement, c’est pourquoi je confirme une fois pour toutes que je ne serai pas candidat. »
Démolisseurs de réputation
Ironisant sur le fait d’être devenu un recours pour certains qui, il y a quelques mois encore, ont « vivement critiqué [sa] ligne et [son projet] », Alain Juppé avance deux autres raisons à son refus, tirées de son expérience malheureuse à la primaire, de son analyse des surgissements de Macron et Hamon, et du débat sur la corruption des élus :
« Les Français veulent un profond renouvellement classe politique et à l’évidence je ne l’incarne pas. Les récentes péripéties ont accru l’exigence d’exemplarité. Et, ici encore, je ne peux répondre pleinement à cette exigence, même si la justice qui m’a condamné m’a exonéré de tout enrichissement personnel (contrairement à ce qui est reproché à François Fillon, NDLR). Je ne veux pas livrer mon honneur et la paix de ma famille en pâture aux démolisseurs de réputation. »
A l’issue de cette brève allocution, Alain Juppé s’éclipse, refusant de répondre aux questions des journalistes. Un peu plus tard, lors du traditionnel point presse précédant le conseil municipal, interrogé sur l’éventuel plan B qui permettrait à la droite de sortir de l’ornière, il n’en dit pas davantage, si ce n’est pour confirmer que sa décision est « irrévocable ».
Le maire de Bordeaux laisse par ailleurs à sa première adjointe, « si elle est encore juppéiste », le soin de le représenter au conseil politique des Républicains, ce lundi soir. Et il ne confirme pas s’il participera à une réunion avec François Fillon et Nicolas Sarkozy, censée se tenir demain. Face au chaos à droite, la tentation de Venise est plus forte que jamais.
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